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MONSIEUR ESTIENNE Libraire de Paris.

Sur ce qu'il avoit priè l'Auteur de lui permettre d'imprimer fes Poëfies.

ONSIEUR Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.

MAu nom de Dieu quartier, Monsieur Estienne.

Jamais en rien, vous le fçavez, helas!

Ne vous fis tort, au moins qu'il me fouvienne;
Et fi l'ai fait, encor, posez le cas,

Gardez-vous bien que rancune vous tienne,
Les rancuniers font mál menez là-bas.
Si ne voulez que tel mal vous avienne,
Pardonnez-moi d'une ame bien Chrétienne,
Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.
Je fçai, qu'en l'art de bien mouler un livre,

A

Vous égalez ces Eftiennes fameux
Que vous comptez au rang de vos ayeux;
Et qui dans vous commençant à revivre,
Nous font trouver dans un de leurs neveux
Ce que leur fiécle a tant prisé dans eux;
Mais quand bien même, en dépit de la Parque,
Pour m'imprimer, revenant fur leurs pas,
Ils fe pourroient échaper de la barque,
Où tous mortels vont après leur trépas;
Fût-ce Robert, ou fût-ce Charle Eftienne,
Je lui dirois toûjours la même antienne,
Monfieur Eftienne, ch! ne m'imprimez pas.
Ne croyez pas qu'un chagrin milantrope
Me faffe ici le prendre fur ce ton:
J'aime la gloire en enfant d'Helicon ;
Mais tel fouvent après elle galope,
Dont le Pegase à chaque moment chope,
Et qu'elle fuit, comme on fuit un larron.
Je la connois, j'ai fait fon horofcope,
Quand on dit oui, la quinteuse dit ́non.
Or, s'il vous plaît, en pareil acceffoire
Irois-je faire un procès à la gloire ?

Procès fur quoi ? D'ailleurs, c'est un grand cas
Si par procès la Dame s'aprivoise;

Mais faisons mieux, & pour éviter noise, Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.

Vous me direz: Cela vous plaît à dire,
Je fçai le cas qu'on fait de vos écrits :
Les ai souvent oüi priser & lire,

Par maints quidams, foi difant beaux efprits;
La preffe eft grande à les faire décrire,
Or mieux vaudroient moulez que manufcrits.

Graces vous rends de votre courtoisie;
Car c'eft de vous que part le compliment,
Honteux ferois de mentir fi crûment
A mon profit, de vous c'eft Ambroifie
Que je favoure affez bénignement.

Mais que mes vers foient bonne marchandise
Comme prêchez, ou de mauvais alloi,
Comme entre nous me le paroît à moi;
Quand feroit vrai qu'à Paris on les prife,
Ne laifferois de vous dire tout-bas,
Pour des raifons que trouverez de mife,
Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas.
Quelque parfait que puiffe être un ouvrage,
En l'imprimant on lui fait mauvais tour;
Prefque toûjours il en reçoit dommage,
Maint en ai vû fe hâler au grand jour.

moi je recole :

Sur quoi fouvent à par
Petit écrit donné fous le manteau,

Qu'on fe dérobe, & qui vient par

bricole,

Ou bien moulé chez Pierre du Marteau,

3

Fût-il mauvais, nous paroît toûjours beau,
Et pour
l'avoir on ne plaint la pistole ;
Qu'il ceffe d'être & fecret & nouveau,

On n'en voudra débourser une obole.

J'ai ce fonnet, mon voisin ne l'a pas,
Voilà où le fonnet m'a fçû plaire,
par

Ce point de vûë en fait le grand appas;
Eft-il public, n'en fait-on plus mystere?
11 perd fon fel dès-lors, & tombe à bas :
Monfieur Eftienne, eh! ne in'imprimez pas.
Vers manufcrits fouffrent des négligences
Qu'à vers moulez on ne pardonne pas:
Dans les premiers on les nomme licences,
Là tout s'excufe & fe paffe au gros fas;
Dans les seconds la moindre tache est crime.
Point de quartier de la part d'un Lecteur,

Qui fur le tour, la cadence & la rime

Ne fait jamais nulle grace

à l'Auteur.

Tant que mes vers fous la fimple écriture

N'étant moulez, ni reliez en veau,

Dans les reduits iront incognitò,

.

Pour eux ne crains de fâcheufe avanture:

La pitié feule en dépit des malins,
Garantira ces pauvres orphelins,

De coups de bec: mais fur votre boutique
Si me mettiez jamais en rang d'oignon,

Point ne feroit de petit compagnon, Point de grimault qui ne me fit la nique ; Tels en fçavez qu'on a mis en beaux draps: Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas. Dès qu'à Paris on affiche un ouvrage, C'est le tocfin que l'on fonne fur lui ; Gens du métier, à qui tout fait ombrage. Et toûjours prêts à donner fur autrui,- Pour l'accabler l'attendent au passage. Nouvel Auteur qui fe met fur les rangs, A fon debut doit compter, s'il eft fage, De bien payer à ces petits Tyrans Sa bien-venue & fon apprentissage; k Pour les lauriers, & la gloire & l'encens, Qu'aux fiens Phœbus affigne pour tout gage Qu'il ne prétende être admis à partage, Leur part en fouffre, & c'eft, felon leur fens, Soupe de pain' qu'on ôte à leur potage. Sur ce pied-là que de gens fur les bras! Leur tenir tête, & montrer bon visage, Seroit le mieux fi javois du courage; Mais il me manque, & je crains les combats. Monfieur Eftienne, eh! ne m'imprimez pas. Je le vois bien, contre toute avanture L'espoir flateur du débit vous raffûre; Car encor bien que foyez gracieux,

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