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Sans m'égarer dans des routes fublimes,
De ce vernis je colore mes rimes;
Et de ce fimple & naïf coloris,

Mes petits Vers ont tiré tout leur prix.
Par ce fecours emprunté fi ma Muse
Ne charme pas, pour le moins elle amuse;
Et par le vrai, qu'elle joint au plaifant,
Quelquefois même inftruit en amusant.
Je m'en tiens-là, sans toucher à la Lyre,
Qu'au Dieu des Vers il plût de m'interdire.
Pour fes cheris il réferve ce don:

Laiffons chanter fur ce fublime ton

Et qui? La Motte, & tel autre genie
Qui de la Lyre a conçû l'harmonie;
Et n'allons pas, Poëtes croaffans,

De leurs concerts troubler les doux accens.

De nos François, je ne fçaurois m'en taire, C'eft la folie & l'écueil ordinaire.

Dès qu'en un genre un Auteur réüffit,
D'imitateurs un nuage groffit:

Vous les voyez bientôt, quoiqu'il en coûte,
En vrais moutons fuivre la même route,
Entrer en lice, & courant au hazard,
Le diputer prefque aux Maîtres de l'art.
Depuis le tems, La Motte, que ta plume

Sçut nous donner d'Odes un beau volume
Combien d'Auteurs, s'attribuant tes droits,
Au ton de l'Ode ont ajusté leurs voix !
Plus d'autres Vers, ils ne riment qu'en Odes;
Et déformais, comme autant de Pagodes,
A ce feul point fixez également,

Ils n'ont plus tous qu'un même mouvement.
Je ris de voir leurs Mufes pulmoniques,
Impudemment,
, pour Odes Pindariques,
Nous frédonner, fur des tons prefqu'ufez,
Des Madrigaux en ftrophes divifcz.
Que dans fon vol le Poëte s'égare;
Tout eft permis en invoquant Pindare,
Qui des enfers fe plaint qu'à tout propos
Un froid rimeur vient troubler fon repos.
Ce n'est donc plus qu'en Odes qu'on foûpire,
Qu'on rit, qu'on pleure, & même qu'on refpire
De ce Démon tout paroît obfedé,

Et le Parnaffe eft d'Odes inondé.

Irois-je encor, me perdant dans la nuë,
De ces Meffieurs augmenter la cohuë?
Non, j'aime mieux, avec moins de fracas,
Me contenter d'un étage plus bas.

Quant à Maror, il me plaît, je l'ayopë,
Pour bon Poëte en tous lieux on le louë;

Je le voudrois encore homme de bien,
Et me déplaît qu'il fût un peu vaurien.
Vous l'imitez tel qu'il eft: Je l'imite,

Dans fon style, oüi, mais non dans fa conduite:
Et n'a-t-il pas, ce ftyle, quoique vieux;

Je ne fçai quoi de fin, de gracieux ?
Depuis long-tems Marot plaît, on le goûte;
Si je fais mal en marchant fur fa route,
Je fuis, helas! par un pareil endroit,
Bien plus coupable encor que l'on ne croit.
Tant que je puis avec la même audace
J'ofe imiter Virgile, Homere, Horace,
Grecs & Romains; Auteurs qui dans leur tems
Vêcurent tous Payens & mécréans.

Si je l'ai fait fans en être blâmable;
Pourquoi Marot me rend-t-il plus coupable?
Un héretique eft-il pis qu'un Payen?
Marot, du moins, Marot étoit Chrétien.
Qu'on le condamne, & que l'on fe récrie,
Et fur l'Erreur & fur l'Idolatrie;

J'en fais de même, & ma foi, ni mes mœurs
Ne prendront rien jamais de ces Auteurs.
Mais pour cet art, cette noble fineffe,
Prifée en France, à Rome & dans la Grece,
Que je voudrois pouvoir dans mes écrits

Suivre de loin ces merveilleux Efprits;

Et recueillant des beautez chez eux nées,
Mais dans leurs Vers trop fouvent prophanées,
Sur de meilleurs & plus dignes fujets
D'un pinceau chafte en répandre les traits!
Telle au Printems voit-on la fage abeille,
En voltigeant fur la rose vermeille,
Laiffer l'épine, & du fuc de la fleur
Tirer pour nous un miel plein de douceur.
Sur ces leçons que l'abeille lui donne
A petit bruit ma Mufe fe façonne,
Et d'un Auteur, dont elle prend le ton,
N'imite rien que ce qu'il a de bon.
Qu'il foit méchant, fcelerat, hypocrite,
De fes talens fans risque l'on profite;
Et n'y pût-on réuffir qu'à demi,
Toûjours autant de pris fur l'ennemi.
Déformais donc fur Marot qu'on fe taise,
Je n'en prends point de teinture mauvaise:
Qu'on me le laiffe avec foin écrêmer,
Et que fans trouble on me fouffre rimer.
J'y fuis fort fobre, & quoique l'on en dise,
Je n'en fais pas métier & marchandise.
A ces petits, mais doux amusemens,
Ce que j'ai mis quelquefois de momens,

Qu'on le raffemble en heures & journées,
Ne fera trois mois fur dix années.

Ce

pas

peu de tems n'eft point un tems perdu, L'efprit ne peut être toûjours tendu. L'un fe repole, un autre fe promene: Fais-je pis qu'eux en exerçant ma veine? Las d'un travail plus noble, ou plus Chrétien, Je fais des Vers quand d'autres ne font rien, Changeant de grain la terre fe repose: En travaillant je fais la même chose; Et changement de travail, ou d'emploi, Fut de tout tems un vrai repos poar moi.

Personne enfin n'est parfait dans la vie, Jaime à rimer quand il m'en prend envie. De maints défauts, dont je fuis dominé, Pour mon malheur c'eft le plus obstiné: Défaut fâcheux, mais qui, bien qu'on en gronde, Ne déplaît pas pourtant à tout le monde ; Je me fuis vû pour tels vers dénigré, Dont en bon lieu l'on m'a fçu quelque gré; Si j'ole même ici pour ma défense, Sur ce point-là dire ce que je penfe, Tel me cenfure & me damne tout haut, Qui dans le coeur m'abfout fur ce défaut.

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