dormi;

La nuit avons point ou peu
Car à grand-peine échapez de la boue
Trouvions des lits où l'on eft fur la rouë;
Et cependant malgré le mauvais temps,
Les mauvais lits, fommes gais & contents;
Si qu'on croiroit à voir notre visage
Que n'avons eu que biens dans le voiage;
Qu'en gens heureux avons prefque toûjours,
Hors quelques heurts, roulé fur le velours;
Tant eft bien dit, tant eft vrai ce qu'on chante
Que tout va bien lorsque l'ame eft contente.
Or vous devons un tel contentement,
Et qui plus eft l'avoüons hautement;
Et vous disons pleins de reconnoissance,
Si tant de bien faites en votre absence
Combien doit-on s'en promettre de vous
Quand à Paris vous vous rendrez à nous!
Fait à Mormant dans notre hôtellerie;
Nous attendons prompte réponse à Brie.

5*253523232315232323

A MONSIEUR

DE R***

SOUS LE NOM

DE MADAME SA SOEUR,

Pour accompagner la Bibliotheque bleue qu'elle lui envoioit en guife de Bouquet le jour de la Fête de Saint Gerard fon Patron,

Q

U'en direz-vous, Seigneur Gerard,
N'est-ce point venir un peu tard

Célébrer votre heureuse Fête ?

Pour le bien faire il me faloit des fleurs : En vain pour en trouver de toutes les couleurs Je me fuis fouvent mise en queste;

Bien fçavez que les vents toûjours pleins de rigueurs Durant ce trifte temps, & plus d'une tempête

En ce pays-ci, comme ailleurs,

Ont tout raflé : cela pour nous n'eft guere honnête. Faute donc d'autres fleurs, faute d'autres bouquets Il faut, Seigneur, il faut à ma requête,

Vous contenter d'un nombre de Bluets.

Bluets, non tels que ceux que la badine Flore
Comme un premier effai de fes dons au Printemps
Dans les campagnes fait éclore,

Et que l'on néglige en tout temps;
Mais Bluets de plus noble espece,
Et qui par leurs attraits puiffants,
Par leur douceur, leur gentillesse
Charment plus l'efprit que les fens.
On vante comme belles chofes
Les Lys, les Jafmins & les Rofes,
Et toutes ces fleurs qu'à grands frais
Les Bouquetieres nous apprêtent;
Mais ces fleurs fi belles entêtent :
Les Bluets n'entêtent jamais.
Des autres fleurs la beauté paffagere
Se flétrit & ne dure guere:

Le Printemps qui les vit fleurir

Les voit l'une après l'autre, & fécher & mourir.
De mes Bluets la fraîcheur immortelle

Se conferve toûjours, foit qu'il vente ou, ou qu'il

gele;

Qu'on les tienne en campagne, ou bien près des tìfons,

Ils font de toutes les faifons.

On nous fait bien valoir dans la Métamorphofe
Certaine fleur où l'on nous dit

Que le nom d'un Héros fe trouvoit en pétit;
Peut-être qu'en ce point Ovide nous impofe;
Mais quand il diroit vérité,

Mes Bluets, qu'à bon droit je vante,
L'emportent de beaucoup encor de ce côté.
On y trouve tracé d'une main élégante
Non deux lettres du nom d'un Héros furieux
Qu'on devine, faute de mieux;

Mais les geftes, les faits & l'hiftoire éclatante
De Charlemagne & de fes douze Pairs,
Des quatre fils Aymon, & d'autres Preux divers,
Gens d'honneur, mais un peu larrons que je ne mente.
Et quelle fleur pourroit encor
Avec de tels Bluets entrer en parallele?
Confervez-les plus cherement que l'or:
Pouvois-je mieux chommer votre Fête nouvelle
Qu'avec un tel Bouquet, qui vaut seul un tréfor!
. Pour adoucir l'acrimonie

Des foucis & du noir chagrin

C'eft un remede admirable & divin.
Contre la plus fiere infomnie
C'eft un foporatif fpécifique & certain.

En vous couchant flairez fans autre chofe
Un de fes Bluets bienfaifants;

Ou, fi vous l'aimez mieux pour cause,
l'oreille une petite dose,

Prenez-en par

335

Vous aurez dans la nuit des rêves triomphants. Vous croirez voir par tout des Huons, des Rolands, Chevaliers toûjours prêts à pouffer l'eftocade, Hacher des fierabras, détrancher des Geants,

Et les mettre en capilotade.

Que dis-je, des Rolands, des Huons !

par

hazard

Y rencontrerez-vous auffi plus d'un Gerard.
Mais quoiqu'on raconte de rare

Des Héros d'autrefois, & des Gerards passez,
Vous les avez chez moi tous effacez;

Et s'il faut opter, je déclare

Que je fuis & ferai fans ceffe pour celui
Que je chante & fète aujourd'hui.