EPITRE XV.
A MONSIEUR
A***. D D M****
U'eft-ce donc, entre-nous, que cette fluxion, Qui fur vos pieds fe coulant par surprise, Les a mis depuis peu fous fa fujettion?
En vain fur ce point-là mon efprit fubtilise; Après un jour entier de méditation,
Cette importante question
Chez moi refte encore indécise.
Je compatis beaucoup à votre affliction; Mais comment, s'il vous plaît, faut-il, qu'on la baptife? On attend fur cela votre décifion.
Ne feroit-ce point une entorce? Les Medecins difent que non.
Je les contredirois, fi j'en avois la force; Pourtant faut-il que ce mal ait un nom. Ne le pourroit-on pas qualifier d'enflure? Ce nom qui conviendroit, ce me semble, affez bien ? Met à couvert de la cenfure,
Et n'engage d'ailleurs à rien.
On pourroit même encor, s'ajuftant au theâtre, Le décorer du nom de crampe opiniâtre,
De foulure de nerfs, de maligne tumeur :
Je ne fçais de ces noms lequel eft le meilleur.
Vous me direz, & que m'importe ?
La douleur qui m'accable occupe tous mes foins; Qu'on baptife mon mal ou d'une ou d'autre forte, Couché fur mon grabat je n'en fouffre pas moins. Fort bien; mais ai-je tort pourtant, quand je fuppofe Qu'un beau nom dans nos maux foulage notre ennui ? Quelque douleur que le mal cause,
J'ai cru fouvent remarquer qu'aujourd'hui On s'inquiete plus du nom que de la chofe. Mais lorfque vous aurez obtenu guerifon De ce mal douloureux que fous maint fynonyme J'indique doucement & qu'enfin pour raifon Dans mes Vers je laiffe anonyme;
Informez-vous un peu, fi, comme je le crains, Mon payeur que je crois galant homme fans doute, N'auroit point par hazard, je ne dis pas la goute, Mais du moins quelque crampe ou quelque enflure
PIECES CRITIQUES
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LA VALISE DU POËTE, Ou Caprice au voyage de Lucienne, proche de Marly.
ORSQUE je parts pour la
Je fais toûjours de grands projets ? Poëtes font aflez fujets
A bâtir châteaux en Espagne,
Et bâtiffent à peu de frais.
Pour moi d'abord je me figure, Que quand je verrai des forêts, Des colines, de la verdure, Et que j'entendrai le murmure Des ruiffeaux, qui dans les Guerets Vont promener leur onde pure,
Les Vers ne târiront jamais.
Pourrai-je voir une fontaine Entre des cailloux ruiffeler Şans m'imaginer que ma veine S'en va tout de même couler ? Cherchant des routes inconnuës, J'irai me perdre dans les bois, L'Echo doit répondre à ma voix, Et la renvoyer dans les nuës : Sans qu'il foit befoin d'implorer Apollon ni fes neuf compagnes, Dans les bois & dans les campagnes, La moindre fleur va m'inspirer. Ainfi je garnis ma valise
De plumes, d'encre, & de papier; Fort peu de livres & de mife, Que j'ai grand foin de bien trier. Chacun a fon goût, mais Horace Par droit, ou par entêtement, Tient chez moi la premiere place. Peut-être les rangs au Parnasse, Se trouvent reglez autrement; Mais quoiqu'on dise, & quoiqu'on false, Je lui donne, fans compliment, Le premier lieu dans mon bagage;
Et fur cela point de langage, Je prétends qu'il ait fon étui; C'est mon compagnon de voyage, Et je ne marche qu'avec lui. Quand je lui donne compagnie; Terence en datte est le premier; Avec ces deux, fans m'ennuyer Je pafferois toute ma vie.
Mais à ces mots j'entends crier, Hé quoi donc, l'élegant Catulle, Le fier & pompeux Juvenal, Le tendre & délicat Tibulle;
Properce, Ovide & Martial, à traiter fi mal?
Si je comprens votre visée,
On laiffera pour la prifée
Virgile qui n'eut point d'égal :
Oh! fçachez que
fur le Permeffè
Votre Horace avec la fineffe
N'est tout au plus que fon vaffal; Appollon apprendra la chofe, Le crime eft grand & capital, Et je vais fur le champ, pour cause, En dreffer mon procès verbal. Je crains quiconque verbalife, Et n'aime point les différens:
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