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Ce foir je reviendray... Non, c'est peine inutile,
Monfieur n'y fera pas, il doit joüer en ville.
Et demain? Oüy demain, venez à fon lever,
Comme il fe leve tard vous pourrez le trouver.
Elle vient à midy. Vous demandez mon Maître,
Dit le Valet, bien-tôt vous le verrez paroître,
Attendez... Quoy! fi tard, il est encore au lit?
Non, pour aller aux champs Monfieur change d'habit.
Change d'habit, dit-elle, adieu, je me retire.
Puis qu'il a deux habits je n'ay rien à luy dire..
Elle fort auffi-tôt,, & va faire an logis:

Le conte du repas, du jeu, des deux habits,
Et l'exemple aisément diffipa le scrupule
Que donnoit le Sermon à ce Bourgeois credule.
C'est ainfi qu'en prêchant on fait fi peu de fruit ;
Le Sermon édifie, & l'exemple détruit.

En vain, exact aux loix pour la Chaire prefcrites,
Tu dis, tu fais valoir tes Sermons hypocrites;
Si tu veux me toucher, fais que je trouve en toy
Les vertus qu'en prêchant tu veux produire en moy.

Chacun en t'écoutant pense à toy, te contemple, Et cherche à chaque mot ta preuve en ton exemple; Le difcours plaift, inftruit, gagne l'attention; L'exemple perfuade, & fait impression.

T'en es-tu fouvenu? joindras-tu la pratique
Aux leçons des vertus que ta voix nous explique,
Et voulant du falut nous ouvrir le fentier,
Ty verra-t'on paroître & marcher le premier?
As-tu dans une vie humble, mortifiée,
Une ame, aux paffions, aux fens crucifiée ?
As-tu prié, veillé, jeûné, pour obtenir

De pouvoir dans la Chaire, humble te foutenir,
Méprifer du fuccès la gloire ébloüissante,

Souffrir qu'on la partage, & d'une ame contente,
Loin d'en être jaloux, toy-même encourager,
Ceux qui, non moins goûtez pourroient la partager?
Es-tu für
que ton cœur foit fi libre d'envie,
Que quand une autre voix également suivie,
Viendra te dérober ta vogue & ton fracas,
On ne juge à ton air que tu ne goûtes pas
Les fruits, les plus grāds fruits dont tu n'es pas l'Apôtre,
Et même le falut procuré par un autre.

N'imiteras tu point ceux qu'on voit s'oublier,
Venir trancher du grand dans cet humble métier,
Et du moindre fuccès que la Chaire leur donne,
Prendre un air fuffifant, qui ne trouve perfonne
Digne d'être connu, cultivé, visité,

S'il n'offre à leur orgüeil un nom de qualité ?

Tu le vois, de quel air vient, parle, & fe prefente
Celuy que fi fouvent tu trouves chez Chryfante;
Il arrive, & déja trois fois il a cité

Le Duc qu'il vit hier; trois fois a raconté
Ce qu'eft venu tantôt luy dire en confidence
Un de fes bons amis, un Maréchal de France.
Infatué des Grands qu 'il nomme à tout propos,
A peine aux noms bourgeois il peut dire deux mots,
Croyant avoir acquis des titres de noblesse,

En prêchant de la Croix l'opprobre & la baffeffe.
Quoy fans honte à Paris ou fans faire pitié
Un grand Predicateur peut-il aller à pié ?
La bouë & la fueur à fon nom, à fa gloire
Imprimeroient fans doute une tache trop noire.
Il faut donc que traînez par un double cheval
Soit le petit collet, ou l'habit monachal.

C'eft ainfi, tels que foient leur nom & leur naiffance,
Qu'aller à pié feroit pour eux une indécence.

A tant d'autres abus dans la Chaire expofé,

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Comment à la fournir t'es-tu donc difpofé?
As-tu mis à te vaincre, à te changer toy-même,
Autant d'attention, qu'à faire ton Carême ?
Non, ce point eft le feul qui te foit échapé,
Sans prendre d'autres foins, tu ne t'es occupé

Qu'à faire des Sermons, les polir, les'apprendre,
Et trouver une Chaire où l'on voulût t'entendre.

Ce n'est qu'à ces moyens qu'on se croit obligé,
Et le plus important eft le feul negligé.
Souvent même, fouvent, loin de la prendre à tâche,
En prêchant la vertu, la vertu fe relâche,

Et l'on croit même encor devoir s'en relâcher,
Par la peine & le foin qu'on prend à la prêcher.

Mais quoy? peut-on, dis-tu, joindre une vie auftere Au fatiguant travail de ce dur miniftere;

Aux veilles de l'étude, où l'on fe doit entier?
La poitrine d'ailleurs s'épuise en ce métier.

Si l'on ne fe ménage, enfin on s'y confume.
Voit-on prêcher quelqu'un qui jamais ne s'enrhume?
Voudroit-on que fon lit ne fût pas étoffé,

Et qu'un Predicateur ne prît point de caffé?
Vivra-t'il en reclus, quand chez luy fon mérite
Attire chaque jour visite fur vifite?

Veut-on que de fon air on forte rebuté ?

Qu'il ne vifite point, quand il eft vifité?....

Non, j'accorde qu'il doit être honnête, acceffible; Qu'une retraite entiere eft alors impoffible;

Que fon zele a befoin de voir & d'être vû;
Que de certains fecours il peut être pourvû ;

Difpenfé des devoirs, qui font incompatibles
Avec le dur travail & les veilles penibles,
Et qu'un Sermon enfin doit être préparé;
Ce n'eft point ce qu'en luy l'on verra censuré.

Il peut voir fes amis fans fe rendre coupable,
Les fuivre à la campagne, & paroître à leur table;
Mais qu'à tous ces plaifirs, ces foins & ces repas,
Il fe prête à regret, & ne fe livre pas;

Que par tout fa conduite à ses Sermons réponde,
Et qu'il prêche d'exemple au milieu du grand monde.
Tes Sermons font tous prêts, mais toy-même l'es-tu,
De faire en te montrant honorer la vertu ;
De faire condamner jusqu'à l'ombre du crime ;
D'exprimer par tes mœurs ce que ta voix exprime;
Ne point donner enfin fujet de foupçonner,
Que tu fais ce qu'en Chaire on t'entend condamner?
Pour peu que l'on te voye au grand monde te plaire,
Chercher l'amusement, goûter la bonne chere,
En Ville, à la Campagne, en Caroffe amené,
Nourri de mets exquis, dorloté, promené,
On ne pourra t'entendre attaquer la molesse,
Louer la pauvreté, réprouver la richesse,
Sans rire des Sermons que tu crois applaudis,
Et te croire femblable à l'homme aux deux habits.

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