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Encor, fi ne faisant qu'en railler & qu'en rire,
Aux feuls Predicateurs fe bornoit la fatire:
Mais la foy même en fouffre, & l'incredulité
Autorife par là fon indocilité

Le Philosophe Athée, & la femme mondaine,
Cherchant à s'étourdir fur la foy qui les gêne,
Qui parle en dépit d'eux, & prêche au fond du cœur,
Saififfent ce prétexte, & vont d'un ton mocqueur
Demander: Croyez-vous, Meffieurs, ce que vous dites?
Des veritez qu'il voit par leurs moeurs contredites,
L'impie en fes erreurs aimant à perfifter,

Prend & l'occafion & le droit de douter;

Trop aveugle pour voir, que la foy dont il doute
Nese mesure point à la voix qu'il écoute;
Mais à celle de Dieu, qui luy-même a dicté,
Et des préceptes faints fait voir la verité.

Sans remonter plus haut, quand celuy qui l'annonce
Semble trahir fa foy, le pecheur la renonce.

Peut-il aveugle & fourd en ufer autrement?
On croira qu'un pecheur; faux dans fon jugement,
Et toujours ennemy, quelque femblant qu'il faffe
De la voix qui l'inftruit, l'accufe & le menace,
Voit un Predicateur partager des mondains
La table, les plaifirs, les amusemens vains,

Paffer chez eux oifif les beaux jours de l'Automne,
Sans croire que la voix qui le prêche & l'étonne,
Prend contre luy des tons, des tours exagerés,
Et que tous les Sermons font des difcours outrés?
C'eft-là le trifte effet, qu'en ce faint ministere
Produit fouvent l'exemple aux préceptes contraire:
Ainfi, qui dans la Chaire eft monté fans vertu,
Et dans un corps toujours fragile & combattu,
Ne s'eft pas efforcé par de faints exercices
D'arracher de fon coeur jufqu'à fes moindres vices,
Court rifque d'affoiblir la foy qu'il vient prêcher,
Et d'endurcir les cœurs qu'il auroit dû toucher.
C'eft-là ce que fur tout, puifqu'il ne faut rien feindre,
Un homme comme toy, doit plus qu'un autre, craindre,
Toy, qui d'un vain orgüeil t'étant laiffé flatter,
Dans la Chaire foudain cours te précipiter.
Pour la derniere fois réfous-toy de te taire,
Et d'aller retournant fans honte au Seminaire,
Renfermer pour cinq ans cet aveugle defir,
Et de tous tes devoirs te convaincre à loifir.

Là, t'étant fait un fond de vertu veritable,..
Là, devenu devot, humble, droit, charitable,
Libre enfin des defauts qu'on te peut reprocher,
Je te croiray du Ciel envoyé pour prêcher.

Ce confeil te fait peur. Quoy? cinq ans de retraite !
Non, non, je veux prêcher, c'eft une affaire faite,
Mercredy l'on m'attend; la Paroiffe, je croy,
Recevroit joliment qui s'offriroit pour moy.
Et puis, vous le fçavez, ma parole est donnée,
Je l'ay fur le registre avec mon nom fignée.
Voulez-vous que manquant au Carême promis,
J'afflige mes parens, j'irrite mes amis,

Qui tous avec chaleur ont brigué cette Chaire,
Et pour me l'obtenir remué ciel & terre ?
Enfin elle est à moy, je la veux conferver,
Une Chaire n'eft pas fi facile à trouver.

Je n'ay pas, il eft vray, les vertus d'un Apôtre;
Mais je fuis honnête homme, & je vis comme un autre,
Tel, qui n'eft pas meilleur, voit la foule aprés luy,
Et la vertu n'eft pas ce qu'on fuit aujourd'huy.
Acheve, & puis qu'enfin ta Chaire eft retenue,
Découvre-nous, Abbé, ton ame toute nuë;
Apprens-nous par quel art tu prétens attirer
Des Auditeurs en foule, & t'en faire admirer;
Car tu n'efperes pas que ce foit ton merite;...
Tu fçais d'autres moyens de te faire une fuite,
Et d'avoir chaque jour certain nombre invité,
Chargé de t'applaudir fans t'avoir écouté.

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Tu rougis & tu crains que ma mufe fincere N'aille de ta cabale éclairant le myftere, Montrer de quels refforts tu te feras fervi Pour attirer la foule & te croire fuivi.

Il est vray qu'en un champ fi propre à la fatire,
A tés dépens, Abbé, je pourrois faire rire;
Mais tu n'es pas le feul. Peu de Predicateurs
Auroient, fans un peu d'art, des foules d'auditeurs.
Du moins en voyons-nous de qui l'heureufe adreffe
Sçait d'une forte brigue appuyer leur foibleffe,
Et qui d'amis puissans en Chaire protegés,
Ont toujours en prêchant des auditeurs gagés.

Tu peux les imiter fans honte & fans fcandale;
Va, fois Predicateur par brigue & par cabale,
La mode en eft par tout, & l'on n'en rougit plus.
Ce fut par là qu'Harpage accrut ses revenus,
Et rendit autrefois fa famille puiffante.

Il fut riche, il avoit dix mille écus de rente,
Par tout de bons contrats affuroient fes deniers,
Deux fils d'un fi grand bien étoient feuls heritiers,
Dix mille écus pour deux, c'eft trop peu, dit Harpage,
L'Eglise à mon cadet ouvre un autre heritage.'
Qu'il prêche, c'eft ainfi que l'on devient Prelat.
Mais a-t'on la vertu comme l'Epifcopat

L'éloquence, l'efprit, la Cour la donne-t'elle ?
Il faut à ce haut rang que le Ciel nous appelle.
Le Ciel? hé bien, le Ciel ainfi l'a destiné;
Mon fils fera Prelat, puis qu'il n'eft pas l'aîné.
Le Ciel regla fon fort reculant fa naiffance;
Allons-donc, qu'à l'Eglife on tourne fon enfance.
Luy faut-il des talens? hé bien, il en aura;
Faut-il prêcher? hé bien, un jour il prêchera.
Engagé de la forte, enfin le jour arrive,
Qu'accourt pour l'écouter la famille craintive,
Et que le jeune Abbé fait admirer en luy
Le gefte, l'air, le ton, & le Sermon d'autruy.
D'où vient cet embarras, ces carroffes de file,
Quel fpectacle nouveau fait accourir la ville!
Quoy donc l'ignorez-vous ? chacun court au Sermon,
C'est l'Abbé, Qui ?FAbbé... vous connoiffés fon nom,
Le fils d'Harpage. Il prêche? Ouy. C'eft affez; de grace,
Son pere eft mon amy, faites-moy donner place.
C'est ainsi que l'on parle, & n'ofant y manquer
Chacun court au Sermon se faire remarquer.
D'une pareille foule on ofe tirer gloire !
On ofe fe vanter d'un nombreux Auditoire,
Dont la moitié fe doit au fang, à l'amitié,
Et dont la politique a fait l'autre moitié.

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