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Ignorez l'art groffier de ces lâches refus ;
Et dès que votre Ami s'adreffe à vous, confus,
Accourez liberal: montrez que la fortune
Doit entre les Amis fe partager commune,
Et que, tout fur le champ avec joye accordé,
Il reçoive de vous plus qu'il n'a demandé.

De l'Amitié l'argent eft la pierre de touche,
C'est par-là, des fermens que jure votre bouche,
Et de ce dévoûment fi fouvent protesté,
Qu'on juge la valeur, qu'on fonde la bonté ;
C'est par-là, du clinquant d'une vaine promeffe,
Qu'on démêle bien-tôt l'or fin de la tendreffe.
O combien, éprouvez par cet essai certain,
Sous des paroles d'or, voit-on de cœurs d'airain?
Toujours de l'Amitié cette épreuve décide,
Qui la fouffre eft fidéle, & qui la craint, perfide.
Il n'eft donc point d'Amis, car enfin en est-il,
Qu'on puiffe à cette épreuve expofer fans péril
Qui, quand à fes fecours un trifte Ami s'adreffe,
Ne fente refroidir & pâlir fa tendreffe?

Ce n'eft point aux Amis, fi l'on veut les garder, Qu'ayant befoin d'argent on en doit demander. C'est par là qu'on les perd, dit-on, & ce langage Comme maxime fûre, eft par tout en ufage;

Par tout l'homme réduit à chercher du fecours,
Plutôt qu'à fes Amis à d'autres a recours.

Oui, c'est ainsi, dit-on, qu'un Ami sage en ufe,
Craignant que fon Ami ne donne, ou ne refuse,
Il doit également fuir, d'un coeur généreux,
Et refus accablant, & bienfait onéreux.

D'ailleurs de ces emprunts on fçait quelle eft la fuite;
Ils changent des Amis & l'air & la conduite
L'Ami qui doit, rougit; l'autre a l'air plus glacé,
Et chacun de le voir fe trouve embarraffé.
Qui ne s'acquitte pas, fuit fon Ami, l'évite;
Celui même, celui qui, fidéle, s'acquitte,
Trouve que froidement fon Ami lui répond,
Et qu'un premier emprunt en fait craindre un fecond.
C'est donc pour les Amis une conduite fage,
D'épargner cette épreuve aux Amis qu'on ménage,
De ne leur rien devoir, de n'en rien emprunter:
Oui, mais quand pour Amis devons-nous les compter?
Quelle est cette Amitié qui veut que ma fageffe
Aille chez l'Ufurier trafiquer, ma promesse?
Que fervent les Amis, fi c'eft à l'étranger.
A me prêter la main qui me doit foulager?
En quels lieux a-t'on vûs l'Amitié définie
Une fociété par des dehors unie

Où jamais les Amis ne doivent s'entr'aider,
Mais doit à l'interêt toute union ceder?

Si telle eft l'Amitié dont s'uniffent les hommes,
Choififfons pour Amis, loin des lieux où nous fommes,
Dans les climats glacez du froid Septentrion,

Chez l'Afriquain brûlant & l'Ours & le Lion.

C'est-là que nous verrions cette maxime atroce,
Etonner l'animal que nous nommons féroce,
Et que l'Ours poursuivi fans honte appelle l'Ours,
Qui vient, accourt d'abord, & vole à fon fecours.
Parmi ces animaux que le feul instinct guide,
On n'a point établi la maxime perfide
Qui fait également, & craindre d'emprunter,
Et fuir tout homme à qui l'on a peur de prêter.
Craignant de ces emprunts une attaque imprévûë,
D'un Ami malheureux tout Ami fuit la vûë;
Prévoit-on fes malheurs, on s'en défait de loin,
Pour n'être pas tenu de l'aider au besoin.

Autrefois de Philante, Eudoxe inféparable,

Partageoit fes fecrets, fes plaifirs & fa table;
Mais ce n'eft plus de même, & depuis quinze mois
A peine Eudoxe a pû voir Philante une fois.
Il prend, pour le trouver, une peine inutile,
Un mensonge éternel répond qu'il eft en Ville.

D'où vient ce changement? le voulez-vous fçavoir ?
Philante, en homme habile, a de loin sçu prévoir,
Que privé de ses biens, pour unique refsource,
Eudoxe d'un Ami n'avoit plus que la bourse.
C'eft-là de fes froideurs le principe outrageant,
Il a repris fon cœur pour garder son argent.
Ayez une fortune heureuse & floriffante,
Vous trouverez par tout l'Amitié careffante;
Sans cela, point d'Amis, on le dit tous les jours,
On l'a dit autrefois, on le dira toujours.

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Mais ce n'eft pas affez qu'une main toujours prompte Prévienne d'un Ami la priere & la honte Et foulage à propos fes importans befoins; L'Amitié veut encor des égards & des foins.

Il en eft dont le coeur à d'importans fervices, D'une féche Amitié borne les bons offices, Et banniffant les foins qu'on fe plaît à leur voir, Se retranche aux bienfaits qu'on craint d'en recevoir. D'autres pleins d'une ardeur toujours officieuse, Semblent exacts à tout, la rendre gracieuse; Mais dans les petits foins, renfermant leur ardeur, Par tout l'effentiel ils ont de la froideur.

Des deux on peut former un Ami veritable: Soyez folide & fûr, mais foyez agréable;

Sçachez unir en yous ces devoirs differens,

Et par les petits foins faire aimer les plus grands.

*

Jeune & fage VERMONT, c'eft-là ton caractere, C'est ainfi (car enfin je ne puis plus le taire) Que depuis ton enfance ayant daigné m'aimer, Tes foins à tes bienfaits ont fçû m'accoûtumer.

O! vous, qui comme lui, voulez vous rendre aimables,
Honorez toujours ceux qui vous font redevables,
Que jamais dans votre air on ne découvre rien,
Qui faffe deviner qu'ils vous doivent leur bien:
Que votre accueil ouvert, votre bouche difcrette,
Soulage en eux le poids d'une éternelle dette ;
Qu'ils puiffent fans chagrin, fans honte vous devoir,
Et qu'après vos bienfaits ils aiment à vous voir.
Il est un art d'unir l'agréable & l'utile;

Cet art en Amitié, comme ailleurs, difficile,
Souvent eft inconnu, plus fouvent négligé.
Faites donc qu'un Ami qui vous eft engagé,
Jamais ne trouve en vous rien d'amer ni de rude,
Ni pareffeux oubli, ni brufque promptitude,
Mais craignez, partageant avec lui vos plaisirs,
D'un plaifir criminel de flatter les défirs,
Et parmi les excès du luxe & des délices,
D'autorifer chez vous fa débauche & fes vices.

C'est le nom que M. le Préfident Lambert avoit en fa jeunesse.

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