Connois mieux le genie & le tour du langage, Apprens de chaque terme & la force & l'usage, Toûjours en écrivant exact & retenu Donne-nous un Sermon égal & foutenu. Noble fans te guinder, naturel fans baffeffe,
Tu dois semblant la fuir rechercher la jufteffe, Et dans un ftile pur, où rien n'eft affecté,
Conferver l'élégance & la fimplicité.
Va te former ce ftile en lifant L'ECRITURE, Là tu reconnoîtras la voix de la nature ; Chaque mot, chaque trait te fera démêler Comsient on parle au coeur, & le coœur doit parler. Là tu pourras fentir d'une phrase énergique, Et des mots bien placez la force pathétique. Là tu pourras apprendre à mettre dans fon jour Ce qui doit infpirer ou la haine ou l'amour, Etablir du Dieu fort l'empire & la parole, Et confondre l'erreur qui court après l'idole. C'eft-là que fous des traits fimples & naturels Chaque objet fe préfente, & qu'aux cœurs criminels Un fidéle miroir offre par tout l'image Des fers durs & honteux d'un pefant esclavage. C'eft-là que par des tours au Prophete infpirez, Tu verras d'un feul mot les méchans aterrez,
Et le Jufte exalté trouver dans un seul terme La paix & le bonheur que la vertu renferme. Nulle phrafe inutile, & nul terme affecté. Là tout eft grand & fimple, & de la verité On y fent l'éloquence & la voix naturelle, Et le langage enfin que doit prendre le zele. Quelque foit le fujet que tu veüilles traiter, Le divin Livre feul te peut plus profiter, Plus t'aider à trouver le fublime du ftile, Qu'Homere ou que Platon, Ciceron ou Virgile. C'eft dans ce Livre faint qu'eux-mêmes ont puisé Le fublime, le tour noble, élégant, aifé, Que tout bon Ecrivain doit prendre pour modéle. Rends-toy donc à le lire attentif & fidéle. Pourtant judicieux garde-toy d'imiter
La pieufe fureur, qui pour trop affecter De ne parler jamais que comme l'Ecriture, En compofe un jargon qui nous la défigure. Toujours en termes pris de ces Livres facrez, Nous propofe des tours & des traits figurez, Qui loin de l'éclaircir rendent la phrase obscure. Scache mieux employer les mots de l'Ecriture, Et ne t'en fers qu'autant que du peuple connus, Tes Sermons en feront par tout mieux foutenus.
Ce ne font point les mots que l'Ecrivain habile Tire des Livres faints, c'eft la force du stile, C'est le tour naturel, fimple, vif, élevé, Par où d'abord faifi le coeur eft enlevé.
Mais au lieu d'y chercher ce ftile pathétique, Le froid Prédicateur les lifant ne s'applique Qu'à parer fes Sermons du terme d'Ifraël, Ou qu'à donner à Dieu le nom de l'Eternel, Croyant voir des pecheurs l'ame à fa voix foumife, Quand il les a traitez de race circoncife,
Et que dans l'Ecriture il doit fembler verfé Pour en fçavoir fournir un terme déplacé. De ces termes heureux fi tu veux faire usage, Que ce foit à propos; & du divin langage Prens garde d'abufer par l'inutile amas
De termes que fouvent le peuple n'entend pas. Du genre de ton ftile ayant fait une étude, Sçache en étudier encor l'exactitude.
Il en eft une, Abbé, pour le Prédicateur; Mais du fimple Ecrivain diftingue l'Orateur. Quand Ciceron dans Rome armé contre le vice, D'Antoine ou de Verrés accufoit l'injustice, Il parloit autrement, que quand plus familier Il railloit d'un Plaideur l'équipage guerrier. *L. 7. Epift. famil
Apprens-donc en prêchant à parler de maniere Que ni mot trivial, ni phrase familiere
N'abaiffe notre efprit à d'indignes objets ; Exprime noblement jusqu'aux moindres fujets. Heureux l'homme éloquent qui connoît le fublime! Il peut tout faire entendre; il n'eft vice ni crime, Il n'eft aucun défordre, aucun égarement, Qu'il n'exprime & ne fçache exprimer noblement. Mais qui n'a point ce don, cette heureuse éloquence, Jamais d'un noble tour il ne dit ce qu'il penfe. Des maux qu'il doit combattre il paffe la moitié, Et dans ceux qu'il attaque il fait honte ou pitié. C'eft-là ce don du Ciel que l'on ne peut apprendre, Qu'à peine à qui l'ignore on peut faire comprendre; Mais qui touche, qui plaît, & fans fçavoir comment, Fait même aux plus groffiers fentir fon agrément.
Prens garde que des mots la fcrupuleuse étude N'énerve ton difcours par trop d'exactitude. Sois exact, fi tu peux; mais tu peux en prêchant Etre un peu moins exact pour être plus tonchant; Hazarder une phrase où l'oreille eft bleffée, Plutôt que d'affoiblir ta preuve ou ta penfée; Compter pour rien des mots rudes & mal placez, Dans des raifonnemens avec force énoncez.
Et malheur à l'oreille aux termes attachée,
Qui fe révolte alors, & fe trouve écorchée. J'aime mieux dans la Chaire un heureux mouvement, Que d'un difcours poli le fec arrangement.
Loin ces Prédicateurs dont la froide élégance, A l'oreille ennuyée offre tout en cadance: Cette égale harmonie & me berce & m'endort. Mais auffi ne va point, toûjours dans le transport, Méprifant follement toute délicate fse, Nous donner des Sermons fans ordre & fans jufteffe. Du difcours en prêchant fçache observer les loix, Il ne t'eft pas permis de t'en faire à ton choix. Prens-les du fonds de l'art, mais cache l'artifice.
Ne commence jamais d'un air qui m'ébloüiffe, Et d'un ton orgüeilleux ne viens point, promettant Dès l'abord un discours, un Sermon important, Sermon qui doit remplir & paffer notre attente, Renouveller la Fable où la montagne enfante.
Par ces airs faftueux l'imprudent Orateur En garde contre luy met d'abord l'auditeur; Et rarement auffi l'Orateur qui nous vante La piece qu'il promet, nous la donne excellente. Tel échauffé d'abord foudroye en commençant, Qui bien-tôt refroidi me glace en finissant.
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