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Un habile Orateur toûjours modefte & sage
Proposant son sujet, s'observe, se ménage,
De ces airs faftueux fçait humble s'abstenir,
Et promet toûjours moins qu'on ne luy voit tenir.
Plus exact qu'autrefois notre fiécle condamne
Ce mélange brillant du faint & du prophane,
Si chéri, fi commun au fiécle de
Quand par un Cambifés commençoit le Sermon.
Ces traits que nous fournit & la Fable & l'Hiftoire,
Des grands Prédicateurs faifoient alors la gloire;
Peut-être en avons-nous encor d'accoûtumez
A ce bizare usage, & fçavans eftimez;

Coton,

Sçavans à peu de frais ; dans cent & cent Ouvrages
On trouve à point nommé ces traits & ces paffages.
Et quel est l'ignorant qui ne puiffe au besoin
Les fournir à milliers fans les chercher bien loin?
Souvent pris de trop loin un Exorde bizare,
Jette hors du fujet, l'Orateur qui s'égare,
Et fouvent trop pompeux il dérobe l'éclat
Au refte du Sermon qu'il fait paroître plat,
Il faut donc que toûjours le fujet le fournissfe,
Et qu'au corps du difcours il prépare & s'uniffe.
Quelquefois le fujet dès l'Exorde traité
Ne laiffe pour Sermon qu'un difcours répété.

* Fameux Prédicateur de la Cour d'Henry D.

B v

On tombe en ce défaut par cette erreur groffiere,
On croit que dans l'Exorde abrégeant fa matiere,
On donne à fon Sermon dans ce précis pompeux,
Un plus brillant début, un début plus heureux.
Cet ufage fur tout dans des difcours funébres
Semble prefque adopté par des Auteurs célébres,
Qui par un tel début font tomber tous les jours,
Ou languir ennuyeux le refte du difcours.

Il eft vray le début eft brillant, il m'applique ;
Mais je m'ennuye après quand je vois qu'on n'explique
Que le même fujet que j'ay d'abord conçu ;
Qu'on ne me montre rien que je n'eusse apperçû,
Et que de point en point on ne fait que reprendre
Ce qu'en deux mots d'abord on m'avoit fait entendre.
Fais ton Exorde fimple, & laiffe à deviner
Quelle preuve au fujet, quel tour tu dois donner.
C'eft peu d'exécuter ce que tu fais attendre ;
Tu dois faire encor plus, & fçavoir nous furprendre.
Du Ciel après l'Exorde invoque le fecours;
Mais n'imite jamais par de burlesques tours,
De ces Prédicateurs l'éloquence fleurie,
Qu'une chûte de mots jette aux pieds de Marie,
Et qui fans la faveur d'une tranfition,
N'oferoient implorer fon interceffion.

Choifis pour tes Sermons une heureuse matiere, Ne la propose point fans la fournir entiere, Souvent au dernier point on n'a pû parvenir, Que l'horloge fonnant avertit de finir,

On a beau s'échauffer, c'est en vain qu'on exhorte
Un Auditeur laffé qui regarde la porte.

Aux points les plus touchans attache-toy toujours,
Et fçache en points égaux partager ton discours,
L'antithese long-temps en a fait le partage,
Le bon fens a toûjours condamné cet usage,
Et n'a pû fans gémir voir des mots badiner,
En tête d'un discours qui doit nous consterner.
O! quand viendra celuy qui sçaura plus habile
D'un tirannique ufage affranchir l'Evangile,
Et rendre à nos Sermons l'heureuse liberté
Que donne à fes difcours la fage antiquité.
De la division elle ignore la gêne,

Et jamais Orateur dans Rome ou dans Athene,
Partageant avec art les fujets proposez,
N'en diftingua d'abord les membres oppofez.
Chaque point à fon rang arrivoit de luy-même,
Du premier fans le dire on paffoit au deuxième,
Et l'on n'attendoit pas que du premier laffé
Pour paffer au fecond l'Auditeur eût touffé.

Le fujet fimple & clair n'enfermant qu'une chofe,
S'avançoit vers la fin fans détour & fans pause;
Et fur cette unité l'Orateur scrupuleux,
Jamais pour un difcours n'en fit entendre deux.

Ainfi d'un feul objet plus long-temps occupée,
L'ame étoit du difcours plus vivement frappée,
Et fur le même point l'Auditeur attaché
En fentoit mieux la force, & fortoit plus touché.
C'est ainfi que fixée au même point de vûë
On voyoit autrefois une affemblée émûë,
Se livrant aux confeils que l'Orateur donnoit,
Courir impatiente où sa voix l'entraînoit,
Inftruite des complots d'un Citoyen rebelle,
Se hâter d'en punir l'audace criminelle,
Et ne laiffer jamais à force de lenteur,
Sans fuccès & fans fruit haranguer l'Orateur.
Tel est l'effet foudain qu'auroit produit peut-être,
La voix qui nous exhorte à ne fervir qu'un Maître,
A fecoüer le joug du monde & du peché,
Si fur un fujet fimple elle eût toûjours prêché.
Dans la divifion du fujet qu'on propose,
Et dans chaque intervalle où la voix se repose,
On voit fe refroidir les plus faints mouvemens,
Et fe perdre fans fruit de précieux momens.

C'est la mode, il faut bien que la voix se soulage, Ét le beau du Sermon fouvent c'est le partage. Curieux de deffeins, de propofitions,

Chaque Prédicateur court les divifions;

Et fouvent tout l'effort, tout le fruit de fon zele,
Eft d'en trouver quelqu'une éclatante & nouvelle.
Suis donc la mode, Abbé, mais méprise pourtant
Le ridicule foin d'un partage éclatant:
Divife tes Sermons, puifque c'est la maniere;
Mais crains, la partageant, de changer ta matiere;
Evite ce défaut; tous les points jusqu'au bout
Doivent être liés, & compofer un tout.

Non, qu'à cette méthode aucun devoir te lie,
Fais, fi c'est ton talent, une fimple Homelie,
Et de chaque Evangile embraffant les fujets,
Applique ta morale à differens objets.

C'eft ainfi qu'autrefois ont prêché les faints Peres,
Ainfi dans leurs Sermons fçavans, mais populaires,
A differens fujets ils fçavoient appliquer
Les grandes veritez qu'ils venoient d'expliquer;
Et dans chaque Homelie une morale utile
Accompagnoit toûjours le fens de l'Evangile.
Heureux, fi de nos jours tant d'Orateurs fameux
Reprenoient cet ufage, & Saints,prêchoient comme eux,

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