C'est de faire à loifir, d'apprendre leurs Sermons, Et ne point préfumer qu'ils foient folides, bons, Quand négligeant le foin d'en charger sa mémoire, Téméraire on s'expofe aux yeux d'un Auditoire, N'apportant avec foy que l'audace & le bruit D'un discours fur le champ mal tourné, mal construit. Ne va point jufque-là pouffer ta hardieffe, Et d'un prétexte faint déguiser ta pareffe. Apprens-donc à loifir, travaille tes difcours, Mais n'en attens le fruit que du divin fecours, Et crois-toy d'autant plus ferviteur inutile, Que tu prens plus de peine à devenir habile. Choifis dans tes fujets ce qu'ils ont de meilleur ; Mais pour le bien choifir interroge ton cœur. Ce qui dans l'oraison & te plaît & te touche, Doit & plaire & toucher, quand il eft dans ta bouche. Du Sermon là-deffus difpofe le projet.
Traite differemment un different fujet. Tantôt c'est un éloge, & tantôt un mystere, Tantôt fur la vertu j'ai befoin qu'on m'éclaire, Tantôt par invective on combat le peché. Que tout foit avec foin diverfement touché.
Par le choix du sujet ne viens point nous surprendre, Traite toûjours celuy que l'on a droit d'attendre,
Et ne t'avife pas de prendre un faux détour, Pour quitter fans befoin l'Evangile du jour. Quand l'Eglife propofe une Fête, un Mystere, Il ne t'eft pas permis de prêcher, & le taire. Je veux que l'on m'en parle, & ne peux t'écouter Si fur d'autres fujets tu prétends m'arrêter. Aujourd'huy du Sauveur on fête la naiffance, Et toy tu viens du luxe attaquer la licence: Quand pour nous dans la crêche un Dieu s'anéantit, Quand d'un bienfait fi grand l'Eglise retentit, Toy feul tu n'en dis rien; la foule révoltée Ne prête à t'écouter qu'une oreille irritée. Explique le Myftere, & fais-en voir l'esprit. Pour fournir un Sermon tout Mystere fuffit; Ne le quitte donc point. Souvent on le propose, Et bien-tôt on le laiffe, & l'on prêche autre chose.
Un jour de Pentecôte un bon Curé prêchant, Fit voir dans fon Exorde, en ftile affez touchant,
Que Dieu n'avoit jamais fait présent à la terre
,, D'un plus grand don,que,quand au bruit de fon tonerre,
Parmi les tourbillons, il donna son esprit :
» Que cet efprit étoit, felon qu'il eft écrit,
Aux pauvres destiné. Partant c'est une aumône, Dit-il, en finiffant l'Exorde de fon Prône,
De l'aumône, Meffieurs, parlons donc amplement, Puifqu'elle vient s'offrir fi naturellement.
Tu ris, mais ce détours eft pourtant ordinaire, On voit peu de Sermons prêchez fur un Myftere, Où le Myftere foit exactement traité :
C'est un autre fujet fur le Myftere enté.
O! des Prédicateurs ignorance, ou paresse! Aucun Mystere n'a, ni plus de fecheresse, Ni moins de beauté propre à se faire goûter, Cue les autres fujets où l'on va s'écarter.
Mais ne t'appliques pas à le faire comprendre, Ne pense feulement qu'à nous bien faire entendre, (Soit qu'on le puiffe, ou non, comprendre & concevoir) Ce qu'un Chrétien doit croire, & ce qu'il doit fçavoir. Prens du fonds du Myftere une morale utile,
En morale toujours un Myflere eft fertile,
Et fans que fottement on le tire aux cheveux, On y trouve à placer des mouvemens heureux. Ainfi fur un Myftere on peut, fans qu'on le quitte, Plaire, inftruire; toucher, pourvû qu'on le médite; Mais le Prédicateur qui fçait peu méditer,
Préférant ce qu'il croit plus heureux à traiter, De la Religion laiffe-là les Mysteres?
Et toûjours des pecheurs s'attache aux caracteres.
Il s'égaye à les peindre, il crie, il fait grand bruit, Pendant que de fa foy le peuple mal inftruit, Après tant de Sermons le plus souvent ignore, Ce qu'eft & le Chrétien & le Dieu qu'il adore. Penfe donc à l'inftruire, on ne peut avec fruit Peindre & blâmer fes moeurs qu'après l'avoir inftruit. Veux-tu prêcher par tout une morale utile ? Tu dois étudier & la Cour & la Ville, Connoître l'homme tel, qu'en differens états, La fortune le montre, ou le cache icy-bas: Sçavoir de fes humeurs les goûts & les caprices, De fon cœur corrompu les erreurs & les vices, De fes états divers reconnoître l'écüeil,
Et de la volupté, l'avarice & l'orgüeil, Démêler dans fon cœur les routes déguisées, Et les loix hautement du monde autorisées.
Tu dois peindre autrement les Pauvres, les Bourgeois, Que les Riches, les Grands, les Princes & les Rois; Attaquer dans les uns l'envie & la paresse, Dans les autres, l'orgueil, le luxe & la molleffe; En rendre un plus foumis à la main qui l'abbat, Pour la main qui l'éleve un autre moins ingrat; Et leur montrer à tous qu'ils courent à leur perte Quand la route du Ciel leur est à tous ouverte.
Mais tu ne dois jamais & du mal & du bien Parler en Philofophe, où je te veux Chrétien. Garde-toy d'infpirer une vertu payenne, Enseigne les motifs qui la rendent chrétienne, Que Socrate ou Platon prêche la probité, Toy, vien, avec faint Paul, prêcher l'humilité; Et tâche, en condamnant la probité stérile, De changer en chrétien l'honnête homme inutile.
Ne peins jamais les gens autrement qu'ils ne font, Ne combats point un mal que jamais ils ne font, C'eft au Prédicateur une erreur ordinaire,
Il feint pour la combattre, il forge une chimere. Il a beau s'efcrimer, fes coups portent à faux. Connois, vois qui t'entend, pour blâmer les défauts. N'imite point celuy qui prêchant au Village Crioit qu'on réformât table, train, équipage,
Vafes, criftaux, lambris, trumeaux, glaces, plafonds, Chofes dont l'Auditeur ignoroit jufqu'aux noms. Que toûjours tes portraits foient peints d'après nature; Mais du cœur feulement donne-nous la peinture, Et que dans tes difcours on ne trouve aucun trait, Qui défigne celuy dont tu fais le portrait. Dans la Chaire jamais n'introduis la fatyre ; Jamais en badinant n'y cherche à faire rire.
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