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L'ART DE PRÉCHER.

A UNA B BE'.

CHANT PREMIER.

NFIN tu vas prêcher: la Lifte le publie.
Et fait voir imprimez ton nom & ta folie.

Mais de tous les métiers où l'on peut s'attacher,
Sçais-tu que le plus rude, Abbé, c'est de prêcher?
Ce métier, diras-tu, n'a rien pour moy de rude,
J'ay des forces, du feu, de l'efprit, de l'étude,
On m'a vû fur les bancs; & jamais Bachelier
N'a fçu, ni mieux que moy, ni plus fouvent crier.
Je poffede la langue; & pour l'air & la grace,
Il n'eft point à la Cour d'Abbé qui me furpasse;

A jj

J'ay le gefte....il faut voir; la main belle, l'oeil vif
Je rends à mes difcours l'Auditeur attentif,

Ma voix d'un ton perçant le frappe & le réveille,
Et jufqu'aux derniers rangs va chercher fon oreille,
Avec moins de talent vingt Abbez ont prêché,
A qui bien-tôt la Chaire a valu l'Evêché.
J'attens de mes Sermons la même récompense,
En un mot, c'en eft fait, Mercredy je commence.
Abbé, laiffe-moy là ce deffein imprudent,
Ou differes du moins, & viens en attendant
T'inftruire dans mes Vers, & te prêcher toy-même,
Affez d'autres fans toy prêcheront ce Carême,
Affez, qui fe trouvant fans Chaire & fans employ,
Viendront briguer l'honneur de fuppléer pour toy,
PRECHER n'eft point un Art dont la haute fcience
S'acquiere par l'étude ou par l'experience;
Dieu qui le connoît feul, qui feul peut le donner,
Ne le donne qu'à ceux qu'il veut y deftiner.

Ces beaux, ces grands talens que tu viens de décrire, Le gefte, l'air, la voix, nous fervent pour bien dire ; Par là fur le Théatre on applaudit l'Acteur,

Par là dans le Palais on vante l'Orateur;

C'est par là, du bon droit que prenant la deffense, * Lamoignon fe diftingue & charme l'Audience,

* M. le President de Lamoignon étoit alors Avocat General,

Quand d'un efprit fi jufte & d'un ftyle fi net,
D'une cause embroüillée il expose le fait,
Et laiffant des plaideurs la longueur inutile,
Il ramaffe en deux mots ce qu'ils ont dit en mille.
Mais ce qui rend ailleurs l'Orateur excellent,
N'eft du Predicateur que le moindre talent,
Et fi l'Esprit de Dieu n'anime fa parole,
C'est un Déclamateur, un Orateur frivole.
Tu ne l'ignores pas, que l'on doit en prêchant
Convaincre l'incrédule, étonner le méchant,
Et loin des paffions où l'ame est égarée,
Faire fuivre aux pecheurs une route affurée.

Or, dis-moy par quel art ce miracle est produit?
Dieu, te répondra-t'on, Dieu feul produit le fruit.
Seul il tient en fa main cette grace puiffante,
Et l'homme feulement arrofe, feme, plante.
Mais il arrofe, feme, & plante vainement,
Si Dieu de fes deffeins ne le fait l'inftrument,
Et fur le tronc fterile où le fruit doit paroître,
Ne répand la vertu qui feule le fait croître.

Voilà ce qu'un Docteur, Abbé, te répondra, Et que mieux qu'un Docteur la raison t'aprendra.

Crois-tu donc, qu'à ta voix, Dieu fur le tronc fterile Faffe naître le fruit, & germer l'Evangile ?

*5, Paul, 1. Cor. 3. 6,

A iij

Confulte-toy, répons: hé bien, qu'en penfes-tu?
Si ta voix a du Ciel reçû cette vertu,

Si ton cœur eft brûlant des ardeurs de ce zele,
Dont l'Apôtre envoyé chez un peuple infidele,
Déploya ces difcours, ces tons, ces traits vainqueurs,
Qui gagnerent foudain, & changerent les cœurs:
Je ne t'arrête plus, va prêcher, monte en Chaire,
A l'erreur, au peché, cours déclarer la guerre,
Et tu verras bien-tôt, prompts à fe convertir,
Les pecheurs à tes pieds porter leur repentir.

Mais de tant d'Orateurs fi tu fuis la maxime,
Du public en prêchant fi tu brigues l'estime,
Si tu veux, peu fenfible au progrès de ta foy,
Quand tu parles de Dieu, qu'on ne pense qu'à toy;
Ce n'eft point là prêcher, c'est faire dans l'Eglife
Le métier, qu'au Theatre à peine on autorise,
Et mieux que toy * Baron, moins

que toy criminel, Dans le même métier réuffit à l'Hôtel.

*

Hé qui fçait, diras-tu, fi l'ardeur qui m'enflâme,
N'est point ce feu divin allumé dans mon ame ?

Et fi Dieu, qui toujours fut maître de fon choix, Pour convertir les coeurs n'a point choisi ma voix? *Fameux Comedien.

* L'Hôtel de Bourgogne, où étoit la Comedie..

Sur ce doute, en deux mots,veux-tu qu'on t'éclairciffe, Écoute encor, répons, parle fans artifice.

Toy qui veux réformer les vices des Chrétiens,
As-tu pris foin, dis-moy, de corriger les tiens è
Et fi la mode étoit à la fin du Carême,

De prêcher à son tour le Predicateur même,
Crois-tu qu'on ne pût pas, fans ailleurs en chercher,
Far tes propres fermons toy-même te prêcher?
Certain Predicateur, homme éloquent, habile,
Et qui d'un air touchant annonçoit l'Evangile,
Contre l'excès du luxe ayant un jour prêché,
Un Bourgeois, homme fimple, en eut le cœur touché;
Et fortant du Sermon, alla dire à fa femme
Qu'il alloit tout quitter, voulant fauver fon ame.
Tout quitter, reprit-elle ! Oüi : c'eft ce qu'il a dit,
Il faut pour se fauver n'avoir qu'un feul habit;
J'en ay deux, j'en garde un; pour l'autre, va le prendre,
Et porte à l'Hôtel-Dieu l'argent qu'on peut le vendre.
Ne peut-on adoucir ce fevere Docteur,

Dit-elle, & voir un peu ce beau Predicateur ?
Elle va, court chez luy; mais, Monfieur est à table,
Luy répond un valet, d'un ton peu charitable.
J'attendray : D'aujourd'huy vous ne pourrez le voir,
Dès qu'il fe met à table il en a jufqu'au foir.

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