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Aux dépens du prochain, s'il fit rire les gens,
Le prochain à fon tour fait rire à fes dépens,
Luy renvoyant à luy ses Sermons, ses scrupules,
On en fait tous les jours cent contes ridicules;
Tout le monde s'en mêle, & je ne peux icy
Moy-même m'empêcher de faire celui-cy.

Un homme affez connu par ce vain caractere,
L'autre jour dans Paris prêchoit à l'ordinaire,
Et venant au détail, fe mit à condamner
Les pecheurs qui fe font en carroffe traîner;
Il répéta vingt fois que c'étoit chose atroce,
Et de peché mortel traita chaque carrosse.
En carroffe d'ami luy-même étoit venu;
Heureux fi dans la Chaire il fe fut fouvenu,
Que l'ami l'entendoit affis dans l'Auditoire;
Mais le zele fouvent fait perdre la mémoire.
Enfin le Sermon fait, chacun pense au retour,
L'ami monte en carroffe, & luy-même à fon tour
Veut monter, mais l'ami l'arrête, & luy demande
Ce qu'il veut? moi? ma place,hé quoi qu'on vous la rende,
Oubliez-vous fi-tôt que ce feroit pecher.

Non, non, venez à pied, Monfieur... touche Cocher.

Fin du troifiéme Chant.

L'ART DE PRÉCHER.

H

CHANT QUATRIÈME.

EUREUX furent ces tems libres du foin de plaire,

Où l'homme impunément pouvoit être fincére,

Et n'avoit point encor, avec sa liberté,

A la crainte, à l'efpoir vendu la verité.

De ces temps trop heureux courte fut la durée,
Bien-tôt vint la fortune, & du monde adorée,
Elle enfanta le fourbe, inftruifit le flateur,
Mit par tout en ufage un langage impofteur,
Bannit la verité, luy déclara la guerre,
Et ne luy laiffa plus d'azile que la Chaire.

Ce fut là qué, du Ciel nous annonçant les loix,
A la voix du menfonge elle oppofa fa voix,

Et que les Grands flattez apprirent à la craindre;

Mais les Grands à leur tour oferent la contraindre, La Chaire en leur faveur admit les complimens, Pour eux eut des égards & des ménagemens,

Et jufqu'après leur mort prenant foin de leur gloire, D'un éloge funebre honora leur mémoire.

Oferois-je blâmer un ufage établi?

Va tirer, fi tu peux, un grand nom de l'oubli,
Va te joindre à Fléchier dans cet employ funebre,
Et par là, comme luy, rendant ton nom célébre,
Tu verras ton talent brigué par les Héros,

Et

que

fûrs de ta voix ils mourront en repos.
Je raille, mais, Abbé, que veux-tu que je dife?
Sur cet art impofteur, veux-tu que je t'inftruise,
Qui tous les jours en Chaire ofe, aux piés de l'Autel,
Faire un Héros, un Saint, d'un coupable mortel.

Refuse à ces flatteurs & vains Panégyriques,
Une voix destinée aux loix Evangeliques,
Et pour louer un mort cherche d'autres garants
Que la foy des amis & l'orgueil des parens.

De fa vie au Public demande les mémoires:
En vain fur fes ayeux feüilletant nos hiftoires,
Et le flattant d'un nom qu'il foutenoit fi mal,
Tu l'appelles vaillant, généreux, liberal;

Cet éloge impofteur que ton coeur défavouë,

Condamne & ton Héros & ta voix qui le louë.
Cherche donc un Héros qui t'offre plus qu'un nom,
Qui foit tel que Turenne, ou tel que *Lamoignon,
De qui, de fon vivant par tout la voix publique,
Ait long-temps avant toy fait le Panégyrique.

Fais alors fans fcrupule un éloge ordonné;
Mais qu'à ton Héros feul ton difcours terminé,
Laiffe des lieux communs la route générale,
Tout doit rouler fur luy, loüanges & morale.
Je dis morale, Abbé, car un Prédicateur,
Ne doit pas même alors parler en Orateur.
Ce n'eft point Pline icy dont la voix mercenaire,
Veut fe faire payer l'encens dont il doit plaire;
Ou qui dans le Sénat chargé de haranguer,
Par de frivoles fleurs cherche à fe diftinguer.
Ne te propofes point de fuivre ce modele;

Tu parles dans le Temple, où, victime immortelle,
Immolé fur l'Autel ton Dieu même eft préfent.
Et qui viens-tu loüer? immobile & pesant
Cadavre en proye aux vers, ton Héros te présente
Du néant des grandeurs la preuve convaincante.
Pourrois-tu donc alors, aux yeux de l'immortel,
Ayant la mort en face, en face de l'Autel,

* Premier Prefident du Parlement.

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Oubliant le deffein auquel on te destine,

Faire un Panégyrique à la façon de Pline?

Double abus, dont fouvent fe rendent criminels
Ceux qui dans le lieu faint à louer les mortels,
Prodiguent une voix qu'adopte l'Evangile :
Complaifans, pleins d'égards, pleins d'un refpe&t fervile,
Ils viennent nous vanter de profanes mondains,
Et plus prophanes qu'eux, dans leurs éloges vains,
On ne trouve que traits, que tours & que pensées
Des profanes Auteurs en pompe ramassées,

Veux-tu voir dans la Chaire un éloge goûté,
Laiffe-là des pecheurs périr la vanité,
Pleure fur leur tombeau, donne-leur tes prieres,
Et cherche dans les Saints de plus dignes matieres.
Sçache donc les loüer, c'eft ce qu'en ton employ,
L'Eglife attend encor & demande de toy.

Travaille, & ne crois pas dans une piece unique,
Avoir dequoy fournir chaque Panégyrique.

Souvent dans un éloge un Saint eft enchâffé,
Comme l'eft un tableau dans fon cadre placé ;
Otez l'un, bien-tôt l'autre en remplira la place
Et le Prédicateur pareffeux a l'audace
D'être prêt de prêcher, n'en changeant que le nom,
Tous les Saints qu'on voudra fur le même Sermon.

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