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Mr de Brillat qui venoit d'entendre dire que les Anti quoique du nombre des Satires n'avoient pourtant rien qui approchât du caractére de celles des Anciens Grecs ou de celles des Romains, me dit en me regardant qu'il fe fouvenoit pourtant que Varron avoit introduit parmi les Romains une efpéce nouvelle de Satire où la Profe fe trouvoit mêlée parmi les Vers.

Je l'avouë, dit Mr de Rintail, mais ce mélange de Profe & de Vers, de Philofophie & de belle Litérature, n'empêchoit pas que ces Satires ne fufsent toujours de vrais Poëmes, comme Ciceron appelle celle de Varron, Poëma elegans & varium (1). Quoique nous ayons perdu ces agréables Satires de Varron, il nous en eft refté néanmoins affés de morceaux pour juger de la variété des fujets que ce favant homme y avoit traités. Ce qui nous fuffit pour faire voir que les Auteurs de nos Anti ne doivent rien prétendre à la gloire de ces ingénieux Ecrivains de l'Antiquité.

Je crus que Mr de Rintail alloit intéreffer l'honneur de tous les Satiriques modernes dans celui de fes Anti. Je voulus donc le prévenir en lui difant que j'étois très-perfuadé que beaucoup d'Auteurs de ces deux derniers fiécles foit dans leurs Satires de Profe pure, foit dans celles de Profe mélée qui portent ordinairement le nom de ce Menippe de Gadare ancien Philofophe Cynique, avoient attrapé un peu le goût de Varron, de Seneque (2), de Petrone, de Lucien, & de Julien l'Apoftat. Je m'offris même à lui en nommer fur le champ plus d'une trentaine des plus belles.

Sic'eft pour me convaincre, repartit Mr de Rintail, je vous en dif penfe. Je fuis entiérement de votre avis pourvû que vous ne prétendiés pas faire entrer nos Anti dans ce nombre. Au lieu de cette délicateffe, de ce fel ingénieux, de cet enjoument de style, de cette agréable raillerie, de ces maniéres fines & adroites qui font le prix de ces belles Satires dont vous voulés me parler, vous ne trouverés dans la plupart de nos Anti que des traits de colére, des déclarations de chagrin, des effufions de bile, fouvent de la malignité, & de la médifance, quelquefois des injures, des calomnies, des excès de brutalité que nous ne pouvons point pallier plus favorablement qu'en les appellant des duretés de ftyle, & des groffiéretés de maniéres.

Iln'importe, dit Mr de Brillat, voyons toujours la liste de vos Anti; nous n'éxigerons pas d'eux ce qu'ils n'ont pas reçû de leurs Auteurs..

Academ. q. lib. 1.

Tome VII.

2. Sur la mort de Claudius.

B

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I

A

ANTI des Anciens.

ANTI-CATO N.

Lors Mr de Rintail prit fon premier cahier, & nous dit: Je n'en ai point encore pû trouver de plus anciens que les deux Anti-Catons. S'il y en a eu, la Poftérité s'eft fi peu intéreffée à leur confervation, qu'elle en a laiffé perdre la mémoire, fans en fauver même les noms. Il faut avouer qu'elle n'a pas été beaucoup plus curieuse au fujets des Anti-Catons: mais au moins n'a-t-elle pû empêcher que le nom n'en foit venu jufqu'à nous par les foins de Suetone (1), de Quintilien (2), de Juvenal (3), de Plutarque (4), & de Servius (s), que je vous nomme tous cinq avec honneur par une efpéce de reconnoiffance pour nous en avoir confervé la mémoire.

Si l'on fe fouvient que l'Auteur de ces deux Piéces étoit Jules Cefar, doutera-t-on que la réputation d'un fi grand homme n'ait un peu aidé le Titre de ces Piéces à paffer avec elle jufqu'à ces derniers fiécles?

Vous me furprenés, dit Mr de Brillat : Quoi, Cefar se donner le 1oifir de faire des Satires? Oui Cefar, repartit Mr de Rintail, & pour vous étonner davantage, Cefar occupé de toutes les affaires de l'Empire, embaraffé dans les guerres civiles entre la défaite de Pompée le Grand, & celle de fon fils. Car il étoit à la veille de la bataille de Munde en Espagne. lorfqu'il y travailla lorfqu'il y travailla, fi nous en croyons

Suetone.

Pour reprendre la chofe un peu plus haut, vous me permettrés de vous dire qu'au mois d'Octobre de l'année que fe donna la bataille de Pharfale, Ciceron (6) qui ne s'y étoit pas trouvé fous prétexte d'une maladie qui lui étoit furvenuë, ayant appris que Cefar étoit arrivé à Tarente pour revenir à Rome, partit de Brindes où il s'étoit retiré depuis le mois de Juin pour aller au devant de lui. Vous favés T'accueil que lui fit Cefar, & la diftinction honorable qu'il mit entre lui & les autres qu'il reçût dans fes bonnes graces dès qu'il fut arrivé à Rome. Ciceron voulut profiter de cette favorable conjoncture, & s'étant renfermé dans fon cabinet pendant que Cefar étoit allé en

1 Suet. Vit. Jul. cap. 56.

2 Quintil. Inftit. lib. 3. cap. 7. 3 Juvenal. Sat. 6.

4. Plut. vit. Ciceron.

5 Servius in 8. Æneid.

6 Cicer. lib. 14. Epift. ad Famil. xx.

Afrique contre Caton, Scipion, Petrejus, & le Roi Juba, il s'appliqua à faire des Livres, & à écrire des Lettres aux uns & aux

autres.

Ayant appris la mort de Caton, il compofa un Livre des louanges de ce grand homme; & fans éxaminer s'il feroit dans l'approbation de Cefar, il donna aux vertus de Caton tout le jour, & tout l'éclat que fon éloquence fut capable de produire. L'Ouvrage portoit le nom même de Caton pour Titre. Mais ce beau Titre joint à l'excellence dti Livre, & au mérite de fon Auteur, ne l'a pû garentir de la perte que nous avons fait de cet Ouvrage. Cependant Cefar étoit de retour à Rome au milieu des honneurs de quatre triomphes qu'il venoit de remporter, & dans les commencemens embaraffans de fa nouvelle dignité de Dictateur perpétuel. Il étoit occupé à lire, & à écouter tout ce qui l'abordoit de tous les côtés de l'Empire, à écrire, & à répondre à toute la terre. Il étoit actuellement enfoncé dans des opérations abftraites de Mathématiques, dans les fupputations épineufes d'Aftronomie & de Chronologie pour régler le cours du Soleil , pour réformer les Faftes & l'année des Romains. Enfin il falloit partir inceffamment pour la Guerre d'Espagne contre le jeune Pompée. Toutes ces occupations ne l'empéchérent pas 'd'éxaminer le Caton de Ciceron. Et quoiqu'il s'y trouvât intéreflé d'une manière qui lui faifoit connoître que Ciceron s'étoit peu foucié de l'offenser indirectement en faisant le Panégyrique du plus ancien & du plus envénimé de fes ennemis ; quoiqu'il n'y remarquât aucune des mesures que l'Auteur auroit dû prendre pour les égards dûs à fa nouvelle Souveraineté, il voulut faire voir encore en cette rencontre qu'il favoit auffi-bien se vaincre lui-même que fes ennemis, & n'employer que la plume contre Ciceron. Il s'y comporta avec autant de foin&de zèle que s'il avoit eu le loifir de Ciceron.Et ce qu'il y a de bien remarquable, c'eft qu'en attaquant les mœurs de Caton & en faifant la peinture de ses vices, il épargna toujours Ciceron, contre lequel il auroit dû ce femble décharger particuliérement fon chagrin, s'il en falloit juger par la conduite déréglée de nos derniers Faifeurs d'Anti qui n'ayant pas la modération au moins apparente de Cefar, n'auroient pas manqué d'appeller un Ouvrage de cette Nature AntiCiceron plutôt qu'Anti - Caton. Mais Cefar jugeoit fagement que ce n'étoit point la perfonne qui avoit fait le Livre, mais le fujet même du Livre qu'il falloit combatre.

Loin de cela (1), Plutarque nous fait remarquer que Cefar donna de.

L Plut.. Vit. Ciceron..

grands éloges d'ailleurs à Ciceron, & qu'il loua hautement dans l'AntiCaton, les mœurs & l'éloquence de Ciceron comme étant femblable à celle de Pericles de Theramenes.

Ce témoignage, dis-je en interrompant Mr de Rintail, fuffit feul pour faire voir que l'Anti-Caton ne devroir pas être mis au rang des Satires perfonnelles. Si nos Modernes n'ont point trouvé d'autre modéle que celui-là pour établir leurs Satires d'Anti dans l'Antiquité Romaine, je les plains de s'être trompés fi lourdement : & fil'Anti-Caton n'eft point une Satire faite contre la perfonne de Ciceron, je les tiens déchûs en éxemples de plufieurs centaines d'années, & je les crois réduits à placer leur origine dans la barbarie des fiécles les plus groffiers.

Quelque chofe que nous puiffions dire de la prudence, & de la circonfpection prétendue de Cefar, reprit Mr de Rintail, Ciceron n'en a point paru moins inquiet que s'il eût été Caton lui-même. A voir l'embarras qu'il fit paroître dans fes Lettres au fujet de l'Anti-Caton, vous diriés qu'il s'y agiffoit de fa vie & de fes moeurs, & que Cefar y avoit fait une information de fes vices & de fes déréglemens, plutôt que de ceux de Caton. Mr de Saint Yon nous pourra dire les termes aufquels il marque fes inquiétudes fur ce fujet à fonami Attique.

Alors le jeune Mr de Saint Yon dit qu'il fe fouvenoit fort bien que c'étoit à Hirtius que Ciceron, Attique, & les autres devoient la connoiffance qu'ils avoient de l'Anti-Caton de Cefar, & que Ciceron avoit été amplement informé du fujet de cette Satire par un Ecrit qu'Hirtius lui avoit adreffé exprès, & qu'il appelle tantôt un Livre, & tantôt une fimple Lettre. Mr de Saint Yon favoit tous ces endroits de Ciceron par cœur. Néanmoins comme il eft déja grand ennemi de l'oftentation pour un enfant de fon âge, il aima mieux prendre à la tablette de Mr de Rintail, le volume des Epitres à Attique, & nous lire les endroits qu'il avoit remarqués touchant l'Anti-Caton. J'eus la curiofité de les copier fur la lecture qu'il nous en fit, & je vous les envoye pour vous épargner la peine de les chercher dans l'original. Le premier porte (1): Hirtii Epiftolam fi legeris, quæ mihi quafi póλaoua videur Πρόπλασμα ejus vituperationis quam Cefar fcripfit de Catone, facies me, quid tibi vifum fit.fi tibi erit commodum, certiorem. Le fecond vous fera peut-être conjecturer qu'Attique lui en ayant mandé fon fentiment, lui remplir l'efprit de confiance & de courage au fujet de l'Anti-Caton. C'est pourquoi il lui récrit pour le porter à divulguer l'Ecrit d'Hirtius, & à

Epiftola 41. lib. 12. ad Atticum.

en faire multiplier les copies par fes gens, afin que la maniére dont il étoit traité dans l'Anti-Caton, pût contribuer à rehauffer encore le mérite & le prix de fon Panégyrique de Caton, Illius (Hirtii ) Librum quem ad me mifit de Catone proptereà volo divulgari à tuis, ut ex iftorum vituperatione fit illius major laudatio (1). C'est à quoi il l'éxhorte dans une autre Lettre (2) en ces termes: Tu verò pervulga Hirtium ; id enim ipfum putaram quod fcribis ; ut cùm ingenium amici nostri probaretur, væóðeσis vituperandi Catonis irrideretur.

Vous jugeriés peut-être fur ces expreffions que Ciceron auroit pris l'Anti-Caton pour un Ouvrage qui lui auroit été injurieux, ou qu'il fe feroit rangé du côté de ceux qui ne l'approuvoient pas. Mr de Saint Yon nous lût encore quelques paffages qu'il avoit retenus, pour nous ôter cette pensée, & pour appuyer ce que Mr de Rintail avoit avancé de la modération de Cefar. Voici les termes aufquels Ciceron (3) s'en eft expliqué fur la feule lecture qu'il avoit faite de l'Ecrit d'Hirtius ( qui étoit auprès de Cefar à la guerre d'Efpagne lorsqu'il le lui envoya ) avant que d'avoir vû l'Anti-Caton. Qualis futura fit Cæfaris vituperatio contra laudationem meam perfpexi ex eo libro quem Hirtius ad me mifit, in quo colligit vitia Catonis, fed cum MAXIMIS LAUDIBUS MEIS. Itaque mifi librum ad Mufcam, ut tuis Librariis daret. Volo enim eum divulgari, quod quò faciliùs fiat imperabis tuis.

Vous voyés, Monfieur, que l'amour propre de Ciceron trouvoit une bonne partie de fon compte dans la maniére dont Cefar l'avoit traité, & que tout Panégyrifte qu'il s'étoit fait des vertus de Caton, l'intérêt de cer ami mort lui étoit un peu moins précieux que le fien.

Ciceron étant parvenu, enfin à pouvoir lire l'Anti-Caton, ne rétracta point l'approbation qu'il lui avoit donnée par avance. Il voulut même la confirmer par une Lettre de compliment qu'il en écrivit à Cefar, & il en donna avis à fon ami Attique (4), après que Balbus & Oppius qui avoient marqué à Cefar la fatisfaction que Ciceron avoit reçuë de la lecture de l'Anti-Caton, lui eurent mandé qu'ils n'avoient jamais rien lû de meilleur que cette Lettre qu'il leur avoit adreffée (s), & qu'ils n'avoient pas manqué de la faire tenir à Cefar par le moyen de Dolabella, comme Ciceron les en avoit priés.

Il mande encore à Attique dans une autre Lettre qu'il lui écrivit

Epift. 44. libri 12. ad Atticum.

2 Epift. 45. lib. ejufd.

3 Epift. 40. lib. ejufdem.

4 Epift. 50. lib. 13. Me legiffe libros con

tra Catonem, & vehementer probaffe.
5 Refcripferunt nihil unquam fe legiffe
melius, &c. ibidem.

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