'N ANTI-BELLAR MIN. E croyés pas, Meffieurs, continua Mr de Rintail, que fous le Titre d'Anti-Bellarmin je veuille vous faire l'Histoire des Ecrits qu'on a publiés contre le célébre Cardinal Bellarmin, ou même vous donner une lifte de fes Adverfaires. Vous en trouverés des Catalogues tout faits lorfque vous en ferés en peine, mais je vous confeille d'y joindre en même tems celui de ses Défenseurs qui a été compofé par Berald Italien. Il ne s'agit ici que de cinq ou fix de fes Adverfaires qui femblent avoir voulu prendre à partie le nom ou la perfonne de Bellarmin, au lieu de fe réduire à l'éxamen de fes Ecrits. S. I. Le premier de ces Adverfaires outrageans qui foient venus à ma connoiffance, eft un Luthérien du commencement de notre fiécle nommé Samuel Huber qui voulut divifer fon ANTI-BELLARMIN en fix Livres & le publia l'an 1607. in-8°. à Goflar Ville Impériale de la Saxe dans le Duché de Brunswick fous le Titre d'Anti-Bellarminus, id eft, confutatio corum que adverfus Chriftianam Fidem difputavit Rcbertus Bellarminus (1). Voilà le Titre d'une Edition que je n'ai point vûë, & pour vous dire, ce que j'en pense, cette Edition in-8°. ne m'eft pas moins fufpecte que le Titre. Si je n'avois eu l'avantage, dit Mr Terlaine, de connoître Bellarmin d'ailleurs, j'aurois juré fur l'expreffion de ce Titre que cet Auteur étoit quelque Juif ou quelque Déifte du caractère de ce Spinofa que nous avons vû mourir en Hollande depuis dix ou onze ans (2). C'est ainsi que de faux Titres impofent à ceux qui ne connoiffent point d'ailleurs les Livres aufquels on les fait porter. Je donnerois volontiers ma voix pour condamner ces Fauffaires, & j'eftime que l'on devroit confidérer plus qu'on ne fait, les fàcheufes conféquences que peut produire la licence qu'on fe donne de mettre dans un Titre tout ce que l'on veut, ou ce qu'une paffion déréglée peut fuggerer à un Auteur. Ilfe peut faire, continua Mr Terlaine, que ce Samuel Huber ait 1 L'édition in-fol. porte un Titre un peu différent, 2 Spinola mourut Pan 1677. dans la 45. année. Anti-Bellarmin. montré fur fon étiquette plus de fiel & de malignité qu'il ne s'en trouve dans le fond de fon fac ; & je n'ai pas oui parler de lui comme d'un Adverfaire capable de faire grand tort à la réputation de Bellarmin, moins encore à la caufe de l'Eglife Catholique. C'étoit un efprit affés chagrin, reprit Mr de Rintail, fujet à tomber de tems en tems dans la mélancholie. Il ne fe pouvoit peut-être rien ajouter au zèle qu'il témoignoit pour fon Luthéranifme. Cependant vous diriés que les Catholiques lui étoient plus indifférens que les Calviniftes, & qu'il avoit entrepris une guerre irréconciliable avec ces derniers. Mais fes Ecrits étant compofés pour la plus grande partie en Allemand, ils n'ont pas fait grand bruit parmi les Calvinistes de France & d'Angleterre. Après tout, Meffieurs, je crois que Mr Terlaine auroit témoigné un peu plus de compaffion pour Huber, s'il avoit vû le Titre de l'Edition de fon Anti-Bellarmin in-folio. Du moins ne le foupçonneroit-il pas d'avoir voulu donner lieu aux Ennemis de l'Eglife Catholique d'accufer un fi docte & si pieux Cardinal d'Athéïsme ou de Déïsme comme Jofeph Scaliger avoit l'effronterie de le publier (1). Car enfin s'il prétend dans ce Titre que Bellarmin a écrit contre la Foi de JESUSCHRIST, au moins reconnoît-il au même endroit que ç'a été pour la défenfe de la Religion Romaine. Je vous ai marqué plus haut que l'Edition in-8°. m'eft fort suspecte auffi-bien que fon Titre, nonobftant l'autorité de deux ou trois favans d'Allemagne & d'Angleterre fur laquelle on prétend qu'il eft en cette forme dans la Bibliothèque d'Oxford. Quelle apparence y a-t-il qu'un Livre d'une groffeur auffi monftrueufe qu'est l'Anti-Bellarmin de Huber ait été imprimé en deux formes différentes dans une même année & dans une Ville où le commerce des Lettres n'est pas fort grand. Mes yeux me montrent tous les jours que l'Edition in-folio eft de l'an 1607. à la réserve des deux derniers Tomes ou Livres qui font de 1609. Draudius qui nous donne d'ailleurs un détail affés éxact de l'impreffion des fix Tomes in-folio, nous en représente encore une autre Edition faite à Francford chés Feyrabendt en la même forme & en la même année de 1607. Cela ne fert qu'à multiplier nos difficultés fur un Ouvrage qui devoit ce femble être auffi incommode à fes Libraires qu'il l'a été au Public, à moins qu'on ne dife que le Libraire de Goflar fe feroit accommodé avec celui de Francford, & que celui-ci auroit fait une premiere feuille pour lui. Dans le 2. Scaligerana au mot Bellarminus, Ce Ce Huber, ou Hubern comme il eft appellé dans les Livres écrits Anti-Dellarmin en Allemand, étoitun Suiffe de la Ville de Berne; mais ayant quitté fon pays, il fe fit Luthérien & alla profefler la Théologie à Wittemberg en Saxe. Il fe brouilla avec fes Collégues & divers autres Théologiens de fa propre Communion fur le fujet de l'Election ou de la Prédeftination qu'il croyoit univerfelle tant pour les enfans du Diable que pour ceux de Dieu. Il n'étoit pas moins extraordinaire fur la Juftification & la Rédemption: de forte qu'ayant fait beaucoup d'Ecrits pour la défense de fes opinions, il eft devenu Chef d'un Schifine & d'une Secte nouvelle parmi les Luthériens qui porte le nom de Huberianifme. S. II. Le fecond ANTI-BELLARMIN dont j'ai à vous dire un mot eft le dernier de tous dans l'ordre des tems: mais grace à la réputation de fon Auteur, il devient infenfiblement le premier dans l'efprit des Proteftans de l'Allemagne. Cet Auteur eft feu Mr Schertzer mort depuis cinq ou fix ans, chargé de titres & de dignités. Il publia fon Anti-Bellarmin à Leipfick l'an 1681. in-. fous le titre de Johannis Adami Scherzeri ingenui Præfulatus Mifn. &c. Anti-Bellarminus, five in quatuor Tomos controverfiarum Rob. Franc. Rom. Bellarmini Polit. Fel. E. R. Card. Presb. & Archiep: Capuani Difputationes Academice (1). Mais vous, Mr de Verton, que vous femble d'un fi beau Titre où l'on donne quatre noms propres, & quatre appellatifs à Bellarmin? Pure turlupinade, lui répondis-je, mais il eft probable que Mr Schertzer vouloit nous apprendre que Bellarmin s'appelloit François Romulus. Paffons-lui cela, reprit Mr Terlaine: mais croyés que fi j'étois en peine de favoir de quel pays, ou de quelle profeffion étoit ce Cardinal, je ne m'aviferois pas d'aller chercher un Anti-Bellarmin. Pour moi, dit le jeune Mr de Saint Yon, quand j'ai entendu prononcer tant de noms, & tant de qualités au commencement de l'Anti-Bellarmin, j'ai conçut auffi-tôt l'idée de quelque Oraison funébre qu'on auroit voulu faire de Bellarmin. J'ai vû, dit Mr de Brillat, le petit Extrait que Meffieurs Menken, Rechemberg, &c. ont publié de l'Anti-Bellarmin de Scherzer au premier Tome de leurs Actes des Savans à Leipfick: mais le Titre qu'ils en repréfentent, n'a rien de cette affectation à laquelle vous donnés tous un tour fi ridicule." I Witten Memor. Theolog. Tome VII. F Anti Bellarmin. Ces Meffieurs, repartit Mr de Rintail, avoient des liaisons particuliéres avec Mr Scherzer; ils ont employé leur prudence pour ménager la réputation de leur ami, fi bien qu'ils fe font contentés de rapporter les noms, & une partie des qualités de l'Auteut de l'AntiBellarmin en retranchant celles de Bellarmin, fachant bien qu'on devoit les chercher ailleurs. Mais fi quelque zélé du nombre de ceux qui ne fauroient fouffrir qu'on ait ainfi profané le grand nom de Bellarmin, avoit quelque Anti-Scherzer en tête, il pourroit pour vanger Bellarmin de Scherzer en explication de fon Titre, ranger ainfi les qualités de Mr Scherzer à la tête de fon Ouvrage. Majoris Principum Collegii collegiatus, ejufdem Decanus Procancellarius, Alumporum Electoralium Ephorus. Ah, le grand homme, m'écriai-je! qui a sû réunir tant d'offices & tant de bénéfices fans incompatibilité: il ne falloit pas un homme 1 Nom de l'Univerfité de Leipfick. 2 Mifnie ou Meiffen. 3 A Bautzen dans la Luzance. 4 Dans l'Univerfité de Leipfick. 5 Saxoniæ moins bien escorté contre un Bellarmin. Un homme fi qualifié mé- Anti-Bellarmi rite bien que vous nous difiés un mot de fa vie, afin de nous faire mieux connoître fon mérite. C'est une justice que je dois à sa mémoire, me répondit Mr de Rintail. Vous faurés donc que Mr Scherzer étoit un Bohémien fils d'un Avocat d'Egra ; qu'il vint au monde l'an 1628. que fon Pere ayant été chaffé du pays pour le fait de Religion, il fut le compagnon de fon éxil n'étant encore qu'un enfant ; qu'il fit fes études comme il put en diverses Villes d'Allemagne, jufqu'à ce qu'en 1550. il vint à Leipfick qui devoit être le lieu de fa ftabilité. Au bout de quelque tems il fut incorporé à l'Univerfité, & déclaré capable d'entrer dans toutes les Charges. En 1658. il fut fait Profeffeur en Hébreu; il paffa Docteur en Théologie l'an 1666. après quoi on le fit Profeffeur dans la facrée Faculté où tous les honneurs & les plaisirs vinrent le chercher. Il avoit épousé deux femmes, l'une en 1659. & l'autre en 1670. mais il eut le déplaifir de les voir mourir toutes deux devant lui avec la plupart des enfans qu'il en avoit eus. On prétend que ces malheurs domeftiques contribuérent un peu à lui avancer fes jours. C'étoit dommage: car Mr Scherzer étoit l'un des plus galants Théologiens, & des plus mignons Eccléfiaftiques que les Luthériens euffent encore eus parmi eux. J'ai oui dire à un Gentilhomme de Saxe qui avoit étudié fous lui en Théologie, qu'il appréhendoit tellement de rien faire qui parût indigne du nom qu'il portoit, qu'il n'oublioit rien pour mériter la qualité de courtifan, & pour s'attirer les bonnes graces du beau féxe (1). Après cela, interrompit Mr Terlaine, je ne ferai pas furpris que l'on vienne nous dire que l'Anti-Bellarmin de Scherzer eft plus enjoué que celui de Huber que l'on nous fait paffer pour un mélancholique. Vous jugés bien, reprit Mr de Rintail, qu'un homme qui fait fon étude de la complaifance, ne doit pas être fi févére en matiére de confcience, & qu'il ne croit pas devoir s'affujettir aux maximes étroites de la bonne foi. Il met fon induftrie & fon mérite à favoir dupper agréablement; & pour revenir à l'Auteur de l'Anti-Bellarmin, j'ajouterai que le Gentilhomme dont je vous ai parlé, me témoigna être dans une étrange furprife de voir qu'un auffi honnête homme que Mr Scherzer, pour lequel il avoit eu une eftime prefque infinie, eût impofé dans fes Ecrits, & dans fes difcours mille fauffetés aux Ca 1 Scherzer, veut dire un homme qui fait l'agréable, le poli, le plaifant, le r'eur, &c. |