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ANTI en général.

R de Rintail vid bien alors que nous ne demandions pas à perdre notre tems, & il prit le porte-feuille où étoient les cahiers dont il vouloit nous faire la lecture. Il nous fit connoître d'abord que ce que nous appellions les Anti, n'étoit autre chose que des Ecrits Satiriques pour la plupart, c'est-à-dire des Satires Perfonnelles, dont les Auteurs avoient eu intention de choquer leurs Adverfaires dès le premier mot du Titre.

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Sur ce que je témoignai être en peine de favoir s'il prenoit le mot de Satire dans le fens naturel & dans fa premiére fignification, & pourquoi il fpécifioit ces fortes de Satires par le nom de Perfonnelles, il nous dit que les Satires dont il nous parloit n'avoient rien de commun avec celles des Anciens Grecs, & qu'on ne pouvoit pas aisément les rapporter à aucune des espéces qu'on a vû introduites parmi les Romains, mais que la plupart pouvoient être appellées des cenfures accompagnées d'invectives & de médifances. Je les appelle Perfonnelles, continua-t-il, afin de les mieux diftinguer des Satires Réelles.

Monfieur, dit le jeune Mr de Saint Yon parlant à Mr de Rintail, je ne comprens pas bien la force de ces termes. Eft-ce que les Satires perfonnelles font moins réelles que les autres?

Ce n'eft point cela, repartit Mr de Rintail, le terme de Réel ne veut pas dire en cette occafion quelque chose de vrai, d'effectif, de folide. Réel doit fe prendre ici comme on le prend dans les Livres de Droit, & fuivant la notion que nous donne fon étymologie de la maniére que l'on dit Servitude réelle; Action réelle. Ainfi une Satire réelle est celle qui ne regarde que les chofes fans en vouloir à la perfonne ; elle ne s'en prend qu'aux vices de l'ame ou aux erreurs de l'efprit; au lieu que les Satires perfonnelles attaquent directement la perfonne du Vicieux ou de l'Errant, fi bien qu'elles paroiffent oppofées encore plus que les autres au premier inftitut de la Satire.

Je l'interrompis pour le prier de nous en nommer quelques-unes de l'une & de l'autre efpéce, afin de rendre encore plus nette & plus diftincte l'idée qu'il nous en vouloit donner.

Je ne prétens pas, me dit-il, m'engager préfentement à vous répondre du fonds de ces Ouvrages, dont quelqu'un de nos amis aura peut-être occafion de traiter plus à propos dans quelque tems.

Mais pour ne m'arrêter qu'au Titre, & pour me renfermer dans les bornes de notre espéce que vous appelés des Anti, je vous nommerai parmi les Satires perfonnelles des Anti Catons, des Anti-Choppins, des Anti-Cottons,& d'autres de cette nature que vous allés voir dans ma lifte: & parmi les Satires réelles, je mets les Anti-Paradoxes,les Anti-Sophiftiques, les Anti-Grammaires, les Anti Rofaires, &c. Si quelqu'un a eu raifon de dire (1) que le Titre d'un Livre doit en être l'abrégé, qu'il en doit renfermer tout l'efprit & tout le fens autant qu'il eft poffible: ou les Anti-Bellarmins, les Anti-Baronius, les Anti-Copernics, les Anti-Walenburchs font de méchans Livres, ou il n'y a pas un mot dans ces fortes de Livres qui ne foit directement contre la perfonne -de Bellarmin, de Baronius, de Copernic, des deux Wallembourg, &c. .

Je trouve, dit Mr de Brillat, votre argument fort embaraffant pour la réputation des Anti. Vous les réduifés avec votre dilemme à la néceffité d'être mal faits en qualité de Livres qui ne répondent pas à leur Titre, ou de paffer pour des Satires personnelles qui ne valent guéres mieux que des Libelles diffamatoires lorfque le corps du Livre eft conforme à la tête.

C'est pour lors, reprit Mr Rintail, qu'on peut confidérer les Anti aufquels on attache les noms des personnes à qui on en veut, comme des poteaux ou des pieux où font liés ceux contre lefquels on prétend décocher fes traits avec plus d'affurance. C'est ainsi qu'on se fait une butte de fon Adverfaire: c'eft le moyen de ne le perdre jamais de vûë; en un mot, c'est le fecret de le maffacrer à fon aise.

Vous êtes donc perfuadé, lui dis-je, que ceux qui ont attaché le nom de leur Adversaire à un Anti ( permettés-moi d'ufer de vos termes) ont eu deffein d'attaquer la perfonne de l'Adverfaire.

C'eft, repliqua-t-il, la premiére pensée que nous donne le Titre de ces fortes d'Ouvrages, & fi l'on veut fuivre les Maximes de la Jurifprudence qui fe pratique dans la République des Lettres à l'égard des Livres, on a droit de juger leurs Auteurs fur le feul Titre ; & ils ne pourront pas fe plaindre que leurs Juges commettent aucune injustice à leur égard.

Mais, dit Mr Brillat, s'ils étoient reçûs à prouver que leur Titre n'est pas juste, & que leur Ouvrage n'a rien de commun avec lui, ne devroit-on pas réformer le jugement qu'on auroit prononcé

contre eux?

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Je crois au moins que cela fe pourroit faire, répondit Mr de Rintail, Tom. 1. des Jugem. des Sav. pag. 259.

mais en même tems on ne pourroit fe difpenfer de les condamner fur un autre chef qui leur feroit beaucoup plus fenfible. On les obligeroit de renoncer à la qualité d'Auteur, ou de fe contenter de celle de méchant Auteur. De forte que pour peu que l'on connoiffe le génie de la plupart des Auteurs, on se perfuadera aisément qu'il y en a peu qui n'aimaffent mieux paffer pour des médifans, que pour de malhabiles gens; & qui ne vouluffent, pour ainfi dire, vendre leur ame afin de fauver leur efprit.

Mais tout perfuadé que je fuis que le Titre d'un Livre eft souvent la marque du jugement de fon Auteur : je ne voudrois pourtant pas accufer indifféremment d'inhumanité, & de malignité, tous les Ouvrages dont j'ai à vous parler dans notre Entretien, encore qu'il foit difficile de trouver plufieurs Anti en Titre de Livres, qui ne laiffent dans l'efprit l'idée de quelque chofe de cruel ou de malhonnête envers ceux qui en font le fujet. Il y a toujours dans un Anti de cette nature je ne fai quoi qui choque d'abord, ou du moins qui arrête l'efprit du Lecteur, & qui réveille rudement fon imagination. De forte que nous avons toujours quelque violence à nous faire pour tâcher de fufpendre le préjugé où nous fommes pour l'ordinaire à l'égard de ces fortes d'Ecrits, lors même qu'on eft perfuadé d'ailleurs qu'il n'y a rien de trop fatirique dans le corps de l'Ouvrage, & que leurs Auteurs ont eu intention de prendre les interêts de la juftice ou de la vérité, foit dans la Religion comme les Auteurs des Anti-Socins, & de l'Anti-Alcoran, foit dans la Politique comme l'Auteur de l'Anti-Machiavel, foit même dans la Philologie comme l'Auteur des Anti-Triftans. Je ne fuis pas au refte de l'opinion de ceux qui voudroient bannir les Anti du commerce des Lettres, fous prétexte qu'ils ont pour l'ordinaire une apparence monftrueufe. Quelques difficiles que foient ceux qui fe difent Gens de Lettres, je ne les crois ni plus délicats, ni plus dégoûtés que la Nature-même qui fouffre bien d'autres monftres parmi les Plantes & les Animaux, je ne dis pas feulement dans les déferts de la Libye, ou dans les Pays abandonnés du Genre humain, mais encore dans nos jardins (1) & dans nos baffe-courts où l'on a vû & fouffert de tout tems les Mulets (2) & les Burdons (3), pour me servir des termes des Latins ; les Hibrides, (4) les Mufmons (5), & les Tityres (6). Les Anti tirent pour la plupart leur origine de deux efpéces encore plus

1 Pefcheprune, Pommepoire, Arbres greffés.

2 D'm Afne & d'une Cavale.

3 D'un Cheval & d'une Afneffe.

4 D'un Verrat & d'une Laye, ou d'un Sanglier & d'upe Truie.

5 D'un Belier & d'une Chévre.

6 D'un Bouc & d'une Brebis.,

éloignée que celles qui compofent tous ces Monftres domeftiques dont nous venons de parler. La premiére de ces efpéces eft toujours grecque comme perfonne n'en doute : L'autre eft tantôt Latine comme dans l'Anti-Silvius, l'Anti-Claudien, l'Anti-Martin, l'AntiFontaine, &c. Tantôt Italienne, Françoife, Allemande, felon le nom de ceux qui en font le fujet ; quelquefois même Hébraïque & Arabes comme dans les Anti-Jéfuites, & l'Anti-Alcoran.

Je ne voulu's pas laiffer continuer Mr de Rintail, voyant qu'il com mençoit à tourner fes raisonnemens en plaifanterie, & qu'il étoit plus d'humeur à fe divertir fur les Anti, qu'à nous faire des leçons graves & férieufes. C'eft pourquoi je lui dis, comme fi j'euffe voulu enchérir fur fon rafinement, que je ne doutois pas que tous les Anti qui ne font pas compofés de deux efpéces Grecques ne fuffent au moins monstrueux par la tête:& qu'ainfi j'opinois à leur laisser le nom de Satires.

Quoi, dit le jeune Mr de Saint Yon, ces Satyres, ces monftres humains qui demeuroient dans les bois, qu'on faifoit paffer à nos Ancêtres pour des Demi-Dieux tout velus, qui avoient des cornes à la tête, & des pieds de chèvre ?

L'application n'eft pas mauvaise, repartit Mr de Brillat, & je fuis ravi que Mr de Saint Yon ait fi bonne grace dans fes jeux d'efprit. En effet je ne vois rien qui nous empêche de comparer le Titre des Anti à la tête des Satyres.

Mr de Rintail l'interrompit en difant qu'il nous falloit rentrer dans notre férieux, & laiffer de bonne foi aux Anti le Titre de Satires perfonnelles, qu'il leur avoit donné d'abord fans s'arrêter à des équivoques. Que cette expreffion étoit plus douce que celle de Libelles diffamatoires dont j'étois prefque d'avis que nous nous ferviffions, & qui dans le fonds ne convenoit pas à la moitié des Anti.

Mr de Brillat auroit été fort éloigné de me donner fon approbation, lui que le feul nom de Satire faifoit trembler, tant l'expreffion lui paroiffoit odieufe.

Je n'ai jamais pû, dit-il, réconcilier mon efprit avec l'idée que je me fuis autrefois formée des Ouvrages qui portent le Titre de Satires, qu'en y joignant des noms auffi heureux que ceux d'Horace, de Defpreaux, &c.

Vous voulés peut-être nous faire connoître par-là, reprit Mr de Rintail, que votre efprit s'apprivoiseroit plutôt avec des Satires en Vers, au moins celles qui auroient le fel & les agrémens de ces deux Auteurs, qu'avec des Satires en Profe. Si cela eft, j'ai grand fujet de

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craindre pour nos Anti, car je ne puis vous diffimuler que la plupart font écrits en Profe. Demandons à Mr de Verton, dit-il en fouriant, ce qu'il en penfe: & prions-le de nous dire ingénûment s'il n'auroit pas auffi bonne opinion d'un Profateur fatirique, que d'un Poëte fatirique.

Apprenés, lui dis-je, pour lui rendre fa plaifanterie, que Profateur ne vous appartient pas, & qu'il n'a point été fait pour vous. Il a été forgé dans la boutique de l'obfervateur de la Langue Françoise, & il n'en eft pas encore forti. Il y a même beaucoup d'apparence que fon Auteur foit par jaloufie, foit par amour propre, foit par honte, foit par tel autre motif qu'il vous plaira, l'a retenu pour lui feul, & qu'il s'eft réservé le droit de s'en fervir à l'exclufion des autres.

Mais, repartit Mr de Brillat, croyés-vous qu'obfervateur ne foit pas unique auffi-bien que Profateur. Etes-vous tellement ennemi des périphrafes, que de n'aimer pas mieux dire l'Auteur des Obfervations far la Langue Françoise, que l'obfervateur de la Langue Françoife.

Non, lui repliquai-je, le nom d'observateur ne me paroît pas unique, vous ne m'accuferés pas de l'avoir fait, ou de me l'être attribué par voie d'ufurpation, fi vous fongés qu'il s'eft communiqué dans le monde par l'usage qu'en ont fait d'Ablancourt, Patru, & plufieurs autres bons Ecrivains qui ont véçu devant, & après eux. Quand d'Ablancourt, Patru, & tous les bons Ecrivains viendront à me manquer, j'aurai mon recours à l'Auteur d'une groffe Lettre Apologétique forgée en 1688. fur l'enclume de Pierre Marteau dans la boutique duquel vous favés que la plupart des Libelles des Mécontens du tems ont pris naiffance; & je vous ferai voir en moins de vingtdeux pages dans la feconde partie de cette Lettre Apologétique, qu'on appelle Obfervateur unAuteur d'Obfervations dont on a voulu faire les éloges.

Quant au mot de Profateur, on fait affés dans le monde que celui qui s'étoit vanté de l'avoir fait, n'en a jamais pu avoir le débit, & qu'il n'a pas eu le crédit de le faire recevoir.

Ileft plus aifé, dit Mr de Rintail, de faire de la fauffe monnoie, que de lui donner du cours. Je vous trouve bien délicats fur la nouveauté, & fur la mine.érrangére de Profateur. Un petit mouvement de compaffion pour fa difgrace, m'avoit porté à l'exposer. Máis puisqu'il n'a point le bonheur d'agréer à Mr de Verton, renvoyons-le à fon Obfervateur fans le maltraiter: & au lieu d'appeller ceux des Auteurs de nos Anti qui ont écrit en Profe des Profateurs fatiriques, contentonsnous de les qualifier d'Auteurs de Satires en Prose.

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