Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Je conviens, lui dit le démon, que ce spectacle n'est pas fort réjouissant pour vous; mais, quand on fréquente les dames galantes, on doit s'attendre à ces aventures: elles sont arrivées mille fois en France aux abbés, aux gens de robe et aux financiers. Si j'avais une épée, reprit don Cleophas, je fondrais sur ces coquins, et troublerais leurs plaisirs. La partie ne serait pas égale, repartit le boiteux, si vous les attaquiez tout seul : laissez-moi le soin de vous venger; j'en viendrai mieux à bout que vous. Je vais mettre la division parmi ces spadassins, en leur inspirant une fureur luxurieuse; ils vont s'armer les uns contre les autres : vous allez voir un beau vacarme.

A ces mots il souffla, et il sortit de sa bouche une vapeur violette qui descendit en serpentant comme un feu d'artifice, et se répandit sur la table de dona Thomasa. Aussitôt un des convives, sentant l'effet de ce souffle, s'approcha de la dame, et l'embrassa avec transport; ·les autres, entraînés par la force de la même vapeur, voulurent lui arracher la grivoise : chacun demande la préférence ; ils se la disputent; une jalouse rage s'empare d'eux ; ils en viennent aux mains; ils tirent leurs épées, et commencent un rude combat. Cependant dona Thomasa pousse d'horribles cris : tout le voisi

nage est bientôt en rumeur; on crie à la justice; la justice vient; elle enfonce la porte; elle entre, et trouve deux de ces bretteurs étendus sur le plancher; elle se saisit des autres, et les mène en prison avec la courtisane. Cette malheureuse avait beau pleurer, s'arracher les cheveux et se désespérer, les gens qui la conduisaient n'en étaient pas plus touchés que Zambullo, qui en faisait de grands éclats de rire avec Asmodée.

Eh bien! dit ce démon à l'écolier, êtes-vous content? Non, non, répondit don Cleophas. Pour me donner une entière satisfaction, portez-moi sur les prisons, que j'aie le plaisir d'y voir enfermer la misérable qui s'est jouée de mon amour; je me sens pour elle plus de haine en ce moment que je n'ai jamais eu de tendresse. Je le veux bien, lui répliqua le Diable: vous me trouverez toujours prêt à suivre vos volontés, quand elles seraient contraires aux miennes et à mes intérêts, pourvu que ce soit pour votre bien.

Ils volèrent tous deux sur les prisons, où bientôt arrivèrent les deux spadassins, qui furent logés dans un cachot noir. Pour Thomasa, on la mit sur la paille avec trois ou quatre autres femmes de mauvaise vie qu'on avait arrêtées le même jour, et qui devaient être transfé

rées le lendemain au lieu destiné pour ces sortes de créatures.

Je suis à présent satisfait, dit Zambullo, j'ai goûté une pleine vengeance : ma mie Thomasa ne passera pas la nuit aussi agréablement qu'elle se l'était promis. Nous irons où il vous plaira continuer nos observations. Nous sommes ici dans un endroit propre à cela, répondit l'esprit. Il y a dans ces prisons un grand nombre de coupables et d'innocens : c'est un séjour qui sert à commencer le châtiment des uns et à purifier la vertu des autres. Il faut que je vous montre quelques prisonniers de ces deux espèque je vous dise pourquoi on les retient dans les fers.

ces et

[ocr errors]

CHAPITRE VII.

Des prisonniers.

Ayant que j'entre dans ce détail, observez un peu les guichetiers qui sont à l'entrée de ces horribles lieux. Les poètes de l'antiquité n'ont mis qu'un Cerbère à la porte de leurs enfers; il y en a ici bien davantage, comme vous voyez, Ces guichetiers sont des hommes qui ont perdu

tout sentiment humain : le plus méchant de mes confrères pourrait à peine en remplacer un. Mais je m'aperçois, ajouta-t-il, que vous considérez avec horreur ces chambres où il n'y a pour tous meubles que des grabats : ces cachots affreux vous paraissent autant de tombeaux. Vous êtes justement étonné de la misère

vous y remarquez, et vous déplorez le sort des malheureux que la justice y retient; cependant ils ne sont pas tous également à plaindre : c'est ce que nous allons examiner.

Premièrement, il y a dans cette grande chambre à droite quatre hommes couchés dans ces deux mauvais lits : l'un est un cabaretier accusé d'avoir empoisonné un étranger qui creva l'autre jour dans sa taverne. On prétend que la qualité du vin a fait mourir le défunt; l'hôte soutient que c'est la quantité : et il sera cru en justice, car l'étranger était Allemand. Hé! qui a raison du cabaretier ou de ses accusateurs? dit don Cleophas. La chose est problématique, répondit le Diable. Il est bien vrai que le vin était frelaté; mais, ma foi, le seigneur allemand en a tant bu, que les juges peuvent en conscience remettre en liberté le cabaretier.

Le second prisonnier est un assassin de profession, un des scélérats qu'on appelle valientes, et qui, pour quatre ou cinq pistoles, prêtent

obligeamment leur ministère à tous ceux qui veulent faire cette dépense pour se débarrasser de quelqu'un secrètement; le troisième, un maître à danser qui s'habille comme un petitmaître, et qui a fait faire un mauvais pas à une de ses écolières; et le quatrième, un galant qui a été surpris la semaine passée par la ronda, dans le temps qu'il montait par un balcon à l'appartement d'une femme qu'il connaît, et dont le mari est absent. Il ne tient qu'à lui de se tirer d'affaire en déclarant son commerce amoureux; mais il aime mieux passer pour un voleur, et s'exposer à perdre la vie, que de commettre l'honneur de sa dame.

Voilà un amant bien discret, dit l'écolier; il faut avouer que notre nation l'emporte sur les autres en fait de galanterie. Je vais parier qu'un Français, par exemple, ne serait pas capable, comme nous, de se laisser pendre par tion. Non, je vous assure, dit le Diable; il monterait plutôt exprès à un balcon pour dés– honorer une femme qui aurait des bontés pour lui.

discré

Dans un cabinet auprès de ces quatre hommes, poursuivit-il, est une fameuse sorcière, qui a la réputation de savoir faire des choses impossibles. Par le pouvoir de son art, de vieilles douairières, trouvent, dit-on, des jeunes

« AnteriorContinuar »