ACTE II I. AMÉLIE penfive dans un jardin, FRANÇOIS arrive. Ils font tous deux en grand deuil. FRANÇOIS. ENCORE ici, petite tête exaltée? Tu t'es dérobée à mes heureux convives, & tu as troublé leur joie. A MÉLI E. Troublé leur joie? Les chants funebres qui ont accompagné ton Pere au tombeau doivent retentir encore dans ton oreille. (1) (1) Hamlet, dans un monologue ( scene ive, acte Ia.) apoftrophe fa mere, qui a ófé prendre un nouvel époux: E'er thofe shoes were old with which she follow'd my poor father's body, &c. « Avant même d'avoir ufé ces fouliers, qui ont fuivi corps de mon pauvre Pere, &c. » Hamlet dit à Horatio, dans une autre fcene: The funeral bak'd meats did coldly furnish forth the marriagetables. « Les mets funébres, fervis aux noces, pas refroidis, &c. » n'étoient FRANÇOI S. Veux-tu donc éternellement larmoyer? Laiffe les morts dormir, & rend les vivans heureux. Je viens. AMELI E. Quand t'en iras-tu ? FRANÇOIS. Oh, que cette fierté fombre n'obscurciffe point tes regards! Tu m'affliges, Amélie. Je viens te dire..... AMÉLI E. Il faut bien que j'entende, François de Moor eft aujourd'hui fouverain maître. FRANÇOI S. Justement; voilà fur quoi je voulois te parler. -Maximilien eft defcendu dormir au tombeau de fes peres. Je fuis maître. Mais je voudrois l'être tout-à-fait, Amélie. Tu fais ce que tu étois à notre maison. Tu as été regardée comme la fille de Moor; fon amitié pour toi furvit même à sa mort. Je pense que jamais tu ne l'oublieras ? AMÉLI E. Jamais, jamais. Je ne fuis pas affez peu fenfible pour écarter un fi doux fouvenir par des idées de fêtes & de festins. FRANÇOIS. Tu dois récompenfer mon Pere dans fes fils; & Charles eft mort.-Tu t'étonnes? & la tête semble tourner, n'est-ce pas ? Cette espérance eft fi flatteufe & fi haute, qu'elle étonne même la fierté d'une femme. François foule aux pieds les vœux fuperbes des plus nobles familles. François vient offrir à une orpheline, pauvre, qui n'a pas un appui, fon cœur, fa main, tous fes trésors, les châteaux & les forêts, François, qu'ils envient, qu'ils craignent, fe déclare volontairement l'efclave d'Amélie. AMÉLI E. Pourquoi la foudre ne fend-elle pas la fcélérate langue qui a prononcé ces horreurs. Tu as affaffiné mon amant, & tu pourrois espérer d'être mon époux? Tu...... FRANÇOI S. Pas tant d'emportement, très-gracieuse Princeffe. -Penfe donc que François ne peut ramper devant toi comme un Céladon, roucoulant les amours. Pense donc qu'il n'a point appris, comme tes languiffans bergers d'Arcadie, à foupirer fes plaintes amoureuses aux échos des forêts, des antres & des rochers. - François parle, & fi l'on ne veut pas répondre, François-commande. AMÉLI E. Ver impur, toi commander? commander à moi? -Et fi l'on méprise tes ordres? FRANÇOIS. Tu ne le feras pas. Je fais encore plier l'orgueil opiniâtre. Un cloître & des murs. Je ferois donc à l'abri de ton regard d'afpic, & je pourrois enfin recueillir toute ma vie pour aimer Charles. Que ton cloître me femble doux. Viens donc me féparer de toi pour l'Eternité. FRANÇO I S. Ha! ha! C'est cela? -Prends garde. Tu viens de m'enseigner l'art de te désespérer. Ma tête hériffée de ferpens & de flammes, comme une furie, armé de fouets vengeurs, chaflera ton Charles de ta pensée. Comme un dragon enchanté, couché fur un tréfor, l'horrible image de François fera toujours entre toi & le fouvenir de ton Bien-aimé. - Par les cheveux, tu feras traînée aux autels, je leverai fur toi mon poignard, & de ton âme épouvantée, je ferai fortir le ferment nuptial. A MÉLIE Prends d'abord ceci lui donne un foufflet. pour dot. FRANÇOIS s'irrite. Ha! comme j'en ferai vengé dix fois, & encore dix fois. Non, tu ne feras point mon époufe. Tu n'auras point cet honneur. Tu ne feras que ma concubine, & les honnêtes villageoises te montreront au doigt, quand tu feras affez hardie pour traverser la rue. Grince les dents! que ton œil s'allume de tous les éclairs de la vengeance. (1) La fureur d'une femme me ravit, elle en devient plus belle, plus désirable• Viens, cette réfiftance ornera mon triomphe, ces jouissances arrachées à la beauté font plus délicieuses. Viens à l'autel,- je veux que tu viennes à préfent. (Il veut l'entraîner. ) Oui, je le veux. AMÉLIE Se jettant à fon col. Pardonne-moi, François. (Lorfqu'il veut l'em. braffer, elle lui arrache fon épée & s'éloigne avec audace.) Vois-tu, fcélérat, ce qu'à présent je pourrois faire de toi? dans fa fureur. Je fuis femme; mais une femme Ofe donc; & ce fer.... & la main de mon oncle conduira la mienne pour l'enfoncer dans ton fein. Fuis fur le champ. (Elle le chaffe.) (1) Il y a dans le texte : Speie feuer und Mord aus den Augen, CRACHE feu & meurtre PAR LES YEUX. |