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taché à lui faire sentir que la création de ces nouveaux magistrats ruineroit entièrement l'autorité des anciens, il s'étendit sur-tout, en parlant au peuple, sur les articles qui pouvoient blesser sa liberté, et le droit que chaque citoyen avoit de concourir par son suffrage dans toutes les élections, et de décider par sa voix des lois qu'on devoit recevoir ou rejeter.

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« (a) Le premier article de la loi, dit-il, ordonne que «< celui qui l'aura proposée établisse des décemvirs par «<les suffrages de dix-sept tribus tirées au sort, et que « celui-là soit déclaré décemvir auquel neuf tribus au«<ront déféré cette dignité. Je demande d'abord pourquoi ce tribun audacieux ose priver dix-huit tribus «< du droit de suffrage? Y a-t-il un seul exemple dans << la république qu'on ait créé des triumvirs ou des dé<«< cemvirs sans le concours des trente-cinq tribus? Quel « est le dessein de ce tribun en voulant introduire «< une nouveauté si surprenante dans notre gouverne<«< ment? (a) Vous l'allez voir tout à l'heure. Il n'a pas « manqué de projets : il a manqué seulement de fidélité envers le peuple romain. Il a manqué de justice; <«< et vos droits et vos intérêts ne lui ont pas été respectables.

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«< Rullus veut ensuite que l'auteur de la loi préside « à l'assemblée du peuple romain, c'est-à-dire que « Rullus ordonne que Rullus tiendra l'assemblée. Le <«< même Rullus, qui ne veut rien abandonner à tout «<le corps du peuple romain, ordonne qu'on tirera au

(a) Cicero in Rullo, oratio 2, cap. 7. · cap. 8, 9.

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- (b) Idem, ibidem,

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<< sort les tribus; et comme il y doit présider, et qu'il << est très heureux, il ne sortira de l'urne que les noms <<< des tribus qui lui seront les plus agréables; et par << une suite de collusion, ceux que ces neuf tribus choi<<< sies par Rullus auront nommés pour décemvirs, se<< ront, sous l'autorité de Rullus, nos seigneurs et nos << maîtres, et les maîtres absolus de nos biens. Vit-on << jamais un projet plus injuste, plus audacieux, et plus opposé à toutes nos lois! Quel est l'auteur de cette << loi nouvelle? Rullus. Qui est celui qui prétend pri« ver du droit de suffrage la plus grande partie du peu«< ple? Rullus. Qui est-ce qui a un secret tout prêt, << pour ne faire sortir de l'urne que les noms des tribus << où il croit avoir le plus de crédit? Rullus. Qui nom<< mera les décemvirs selon ses vues et ses intérêts? << Rullus. Qui sera le premier de ces décemvirs? faut<< il le demander? Rullus. Enfin qui sera le maître ab<< solu de tous les biens de l'état? Le seul Rullus. Voilà, << messieurs, comment on vous traite, vous qui êtes les << maîtres et les rois des nations : à peine une si hon<«< teuse prévarication seroit-elle soufferte sous l'empire << d'un tyran, et dans une société d'esclaves. »

Cicéron, ayant tâché d'exciter l'indignation du peu ple contre cette entreprise sur ses droits les plus légitimes, passa aux différents articles de la loi. Il en examina successivement l'injustice et les inconvénients. Il répéta dans ce second discours une partie de ce qu'il avoit déjà dit à ce sujet en plein sénat. Il ajouta qu'un homme, sans autorité légitime, et après s'être fait élire pour décemvir, contre les formes ordinaires, se croi

roit en droit de vendre le domaine de la république au prix qu'il voudroit et à qui il lui plairoit. «Quel bri«< gandage, s'écrie le consul! qui doute que le vendeur << et l'acquéreur ne soient souvent qu'une même per<< sonne, quoique le véritable acquéreur ne paroisse «< sur la scène que sous un nom supposé? Mais où se « passera cette scène? Sera-ce dans la place, à la vue <<< de nos citoyens, comme les censeurs en usent quand «ils donnent à ferme les revenus de la république? « Non, messieurs, Rullus et ses collègues n'ont pas besoin d'un si grand jour. Ils cherchent des lieux obscurs << qui favorisent leurs fraudes et leur brigandage; l'au« teur de la loi, qui a pourvu à tout, ordonne qu'ils << auront la liberté de faire cette vente en tel endroit «< qu'il leur plaira. »

«

Il faudroit traduire entièrement les trois oraisons que Cicéron prononça à ce sujet, si on vouloit rapporter dans un détail exact toutes les raisons que cet excellent orateur opposa à l'établissement d'une loi si dangereuse. Enfin il parla avec tant de force, qu'il convainquit le peuple qu'il ne la pouvoit recevoir sans détruire sa liberté, et ruiner la république. Tous les projets de Rullus et de ses collègues furent rejetés d'un commun consentement. « (a) Je délivrerai, dit Cicédans son oraison contre Pison, dès le premier «< jour de janvier, le sénat, et tous les gens de bien, « de la crainte de cette loi. »

«< ron,

Mais il n'eut pas tant de facilité à dissiper l'appré

(a) Cicero in Pisone, cap. 2. Plin. lib. VII, cap. 30.

hension que causoient les mauvais desseins de Catilina et de ses partisans. Ce n'est pas que tout le monde fût également informé de ses vues. On en parloit différemment dans Rome : ceux qui étoient les plus favorables à ce chef de parti prétendoient qu'il n'en vouloit qu'à Cicéron, qui lui étoit odieux, disoient-ils, par la préférence qu'il avoit remportée sur lui dans la dernière élection pour le consulat. D'autres publioient que ce patricien ambitieux, et élevé sous la domination absolue de Sylla, aspiroit pendant l'absence et l'éloigne-ment de Pompée à faire revivre, à son exemple, une dictature perpétuelle; et des bruits sans auteurs mêloient des choses fausses avec les vraies, et augmentoient l'inquiétude du sénat et la crainte des gens de. bien.

Cicéron étoit mieux instruit. Fulvia, dont nousavons parlé, ne lui cachoit rien de ce qu'elle apprenoit de Curius son amant, un des chefs de la conjuration. Mais la déposition seule d'une femme perdue de réputation ne suffisoit pas pour procéder par la rigueur des lois contre un homme de la naissance de Catilina, qui avoit pour parents et pour amis les premiers de Rome et du sénat. Le consul vit bien qu'il lui falloit d'autres preuves, et des témoins qu'on ne pût récuser. Il répandit secrètement des espions dans toutes les cabales. Il gagna même quelques uns des conjurés, qui, de con-cert avec lui, paroissoient les plus ardents à faire réussir la conjuration. Ce fut par leur secours qu'il découvrit les desseins de Catilina, les sentiments différents de ceux qui étoient entrés dans son parti, le nombre

et la qualité de leurs partisans, et les vues générales et particulières de tous les conjurés.

Comme il tenoit toujours parmi ces furieux des oreilles fidèles, il étoit en quelque manière présent à leurs discours, à leurs conseils, et pour ainsi dire à leurs pensées. Il apprit avec autant de surprise que de douleur, que cette troupe de scélérats avoit formé le dessein de mettre le feu en différents endroits de la ville; que pendant la confusion et le tumulte que causeroit un incendie presque général, ils étoient convenus d'aller poignarder les principaux du sénat jusque dans leurs maisons, et qu'en même temps on feroit avancer les troupes commandées par Manlius pour s'emparer de Rome et du gouvernement. Pendant que les conjurés se flattoient de trouver dans le succès de leurs funestes desseins des richesses immenses et une autorité sans bornes, la nouvelle se répandit à Rome que Pompée, après avoir subjugué la plus grande partie de l'Orient, revenoit en Italie à la tête d'une armée victorieuse, Catilina épouvanté d'un contre-temps qui ruinoit tous ses desseins, résolut d'en précipiter l'exécution. Il confère avec les principaux de son parti; il parle à chacun en particulier; il renouvelle ses promesses, et les espérances qu'il leur avoit données de leur faire trouver dans le changement du gouvernement la satisfaction de leurs désirs. Enfin il les assemble tous la nuit dans un endroit écarté de la maison de M. Lecca, et leur représente que le retour de Pompée déconcertoit tous leurs desseins, s'ils n'avoient le courage de le prévenir; que leur entreprise étoit d'autant

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