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ressource de la république, s'étant assemblés chez un certain Metellus, et désespérant du salut de l'état, faisoient dessein de s'embarquer au premier port, et d'abandonner l'Italie. Un si indigne complot excita toute son "indignation : il résolut de s'y opposer, au péril même de sa vie; et se tournant vers d'autres officiers qui se trouvèrent chez lui: «Que ceux, leur dit-il, à «< qui le salut de Rome est cher me suivent. » Il sort, va droit dans cette maison où se tenoit ce conseil, il y entre, et, mettant l'épée à la main : « (a) Je jure, dit-il, «< que je n'abandonnerai jamais la république, et que «< je ne souffrirai point qu'aucun de nos citoyens l'a<<bandonne. >> Et, s'adressant ensuite à Metellus : « Il «< faut, lui dit-il, que toi et ceux qui sont ici fassiez les « mêmes serments, ou je vous tuerai tous. » Ces menaces, le feu et la colère qu'il avoit dans les yeux, son zèle pour sa patrie, son courage, son intrépidité, tout cela leur fit faire sur-le-champ les mêmes serments. La honte même d'avoir été surpris dans un pareil projet rappela leur ancienne valeur : ils se donnèrent la foi mutuellement, et ils se promirent de s'ensevelir plutôt sous les ruines de leur patrie que de l'abandonner. Chacun se dispersa dès le matin : les uns se rendirent à Rome pour la défendre si l'ennemi en formoit le siège; d'autres travaillèrent ou à rallier les fayards ou à faire de nouvelles levées à la campagne. Les habitants de Rome, qui croyoient voir à tous moments Annibal à leurs portes, commencèrent à respirer: le sénat se rassura, le petit peuple reprit cœur, et quoi(a) Tit. Liv. lib. II, cap. 53.

qu'il n'y eût à Rome ni hommes, ni armes, ni argent, on trouva tout cela dans cet amour pour la république qui faisoit le véritable caractère d'un Romain. Les uns donnoient libéralement leurs esclaves pour en faire des soldats; d'autres apportoient à l'envi ce qu'ils avoient d'or ou d'argent, et on détacha de la voûte des temples de vieilles armes qui y avoient été pendues comme des trophées, et dont on arma en partie cette nouvelle milice.

La guerre recommença avec une nouvelle ardeur. Le sénat en donna la conduite à Q. Fabius Maximus, qui, en s'évitant de combattre, trouva le secret de vaincre Annibal. Le général des Carthaginois avoit besoin, pour ainsi dire, de continuels succès, pour se pouvoir maintenir dans un pays si éloigné du sien, et où il se trouvoit souvent sans argent, sans vivres, et sans tirer aucun secours d'Afrique. Toute sa ressource étoit dans l'affection infinie de ses soldats, dont il étoit adoré. On ne peut assez s'étonner que dans une armée composée d'aventuriers, Numides, Espagnols, Gaulois, et Liguriens, qui souvent manquoient de pain, la présence seule d'Annibal ait étouffé jusqu'au moindre murmure; et que la plupart, sans entendre le langage les uns des autres, conspirassent mutuellement à faire réussir les desseins de leur général.

Mais, quelque habile qu'il fût, il fallut que sa capacité cédât à la conduite et à la fortune des Romains. Ils reprirent sur lui la supériorité qu'ils avoient perdue par les premières batailles : ce fut alors qu'il reconnut que, dans les affaires de la guerre, il y a des moments

favorables et décisifs, qui ne reviennent jamais. Et le jeune Scipion, devenu général, lui apprit, par une dure expérience, qu'il pouvoit être vaincu.

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et

=An 541 de Rome. (a) Corn. P. Scipion son père, Cneus son oncle, étoient péris en Espagne, où ils commandoient les armées de la république. Par la mort de ces deux frères, l'Espagne eût été entièrement per due pour les Romains, si un simple chevalier, appelé L.. Martius, n'eût rallié les fuyards, et défait l'un des deux Asdrubal, qui commandoit dans ces provinces l'armée des Carthaginois. Cependant personne à Rome n'osoit demander la conduite de la guerre dans un pays où les ennemis étoient encore si supérieurs (b). Le jeune Scipion, quoiqu'il eût à peine vingt-quatre ans, se présenta, et il crut qu'il n'appartenoit qu'à lui de venger la mort de son père et de son oncle. =An 542 de Rome.= (c) Il y fut envoyé avec le titre de proconsul; il y battit les généraux ennemis en plusieurs rencontres; et cinq ans après son arrivée, il ne resta pas un seul Carthaginois en Espagne.

De là, il passa en Afrique, presque malgré le sénat; et comme son entreprise paroissoit téméraire, la république ne voulut au commencement lui fournir ni troupes ni argent. Sa réputation, sa valeur, et son affabilité, lui donnèrent des soldats. C'étoit à qui prendroit parti sous un si grand capitaine : il eut bientôt une armée considérable. C'étoit un autre Annibal: il en avoit toutes les vertus, sans en avoir les défauts. I

(a) Tit. Liv. 1. XXV, cap. 37 et seq.—(6) Ibid. lib. XXVI, c. 18. -(c) Polyb, lib. X.

aborda en Afrique pendant que les Carthaginois continuoient la guerre en Italie.

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=An 551 de Rome. Il mit d'abord dans les intérêts de la république les rois Syphax et Masinissa. Le premier changea depuis de parti,-an 552 de Rome il fut défait dans une bataille sanglante avec Asdrubal, général des Carthaginois, et il eut le malheur de tomber entre les mains de Lélius le Sage (a); c'est ainsi que Cicéron appelle cet officier, qui étoit l'ami intime et un des lieutenants de Scipion.

Je ne m'arrêterai point au détail de cette guerre. Scipion, après avoir remporté une seconde victoire sur les Carthaginois, leur fit craindre à leur tour de le voir devant leurs murailles. Annibal fut rappelé au secours de sa patrie, et il repassa en Afrique la seizième année de cette guerre. On parla d'abord de paix, et il y eut même une entrevue entre Scipion et Annibal; mais n'ayant pu convenir entre eux, on vit bien que l'épéé seule décideroit des prétentions des deux républiques.

On en vint bientôt aux mains: le combat se donna auprès de Zama. Il étoit question de l'empire et de la liberté : l'un et l'autre général déploya en cette occasion tout ce qu'il avoit de capacité, soit pour profiter de la disposition des lieux, soit pour ranger les troupes en bataille. Les soldats, de leur côté, combattirent en hommes qui étoient animés de l'esprit et du cœur de ces deux grands capitaines. Le succès fut long-temps douteux; enfin la victoire demeura à Scipion. Les Carthaginois perdirent vingt mille hommes, qui furent

(a) Cicero de Amicitiâ, cap 1; in orat. pro Archiâ et pro Murenâ.

tués dans cette bataille, et on en prit autant, qui furent faits prisonniers de guerre.

La paix fut le fruit de cette victoire. Les Carthaginois épuisés la demandèrent, du consentement même d'Annibal: (a) Les Romains ne l'accordèrent qu'à des conditions qu'on pouvoit regarder comme une seconde victoire. Ils ôtèrent aux Carthaginois leurs flottes, leurs éléphants: on les obligea de rendre les prisonniers de guerre, et de livrer les transfuges. On en exigea en même temps des sommes immenses et, ce qui leur parut encore plus rigoureux, on leur défendit d'envoyer des ambassadeurs, d'entretenir aucune alliance, ou de faire aucun armement sans l'aveu et la permission expresse du sénat.

Une dépendance si étroite et si humiliante ne satisfit point encore l'ambition des Romains. Carthage sur pied rappeloit toujours le souvenir des batailles de Traşimène et de Cannes : c'étoit une perspective désagréable pour Rome; on résolut de la détruire. Ce fut le sujet de la troisième guerre punique. Le jeune Scipion, fils de Paul Émile, et qui avoit été adopté par Scipion, fils de l'Africain, an 607 de Rome = (b) ruina absolument cette ville superbe, qui avoit osé dispu· ter avec Rome de l'empire du monde. On en dispersa les habitants, et Carthage ne fut plus qu'un vain nom.

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Cette ville soumise, et ensuite ruinée, éleva le cœur des Romains. Ceux qui, peu d'années auparavant,..

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(a) Polyb. lib. XV, cap. 18. App. Alex. în Libycâ, cap. 55 et seq. Zonaras. (b) App. Alex. in Libyca, cap. 117 et seq. Strabo, lib ult.

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