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Les conquêtes des Romains en Grèce et en Asie. Tribunat de Tiberius Gracchus rempli de troubles. Mort du tribun.

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La république jouissoit d'une profonde paix au-dedans et au-dehors de l'état, et le peuple regardoit le consulat qu'il venoit d'obtenir comme une victoire qu'il avoit remportée sur le sénat et les patriciens. Mais les tribuns, qui ne pouvoient se faire valoir que par de nouvelles dissensions, se plaignoient que pour une dignité curule que les patriciens avoient cédée au peuple, ils eussent obtenu trois nouvelles magistratures; qu'on eût créé exprès pour eux la dignité de pré eur, qui les rendoit maîtres de l'administration de la justice; qu'ils eussent deux édiles curules, dont l'autorité anéantissoit celle des édiles plébéiens. Ils demandoient que toutes les charges et les dignités de l'état fussent communes entre le peuple et la noblesse; que le mérite seul en décidat dans les élections, et que, sans distinction de rang ou de naissance, on pût choisir indifféremment des plébéiens comme des patriciens pour remplir les dignités civiles, et même celles du sacerdoce. Tel étoit le sujet ordinaire dont ces tribuns inquiets entretenoient la multitude dans leurs assemblées. Ils n'oublioient rien pour élever par de magnifiques éloges les moindres actions des plébéiens, en même temps qu'ils tâchoient d'affoiblir et de diminuer tout ce que les nobles faisoient de plus utile pour la république. Ils s'attachoient même à pénétrer ce qui se passoit dans l'intérieur de leur domestique, dont ils

faisoient des rapports malins et exagérés, et propres à les rendre méprisables.

=An 391 de Rome. = C'est ainsi que, sous le consulat de Q. Servilius Ahala et de Lucius Genutius, un tribun du peuple, appelé M. Pomponius, fit assigner L. Manlius, qui sortoit actuellement de la dictature, sous prétexte que ce patricien traitoit un de ses enfants avec trop de dureté. Ce fils de Manlius, appelé Titus, étoit né bègue; et comme dans ses premières années il ne faisoit pas espérer beaucoup de son esprit, son père l'avoit relégué dans une de ses maisons de campagne, où il étoit occupé du labourage et des autres soins de l'agriculture, comme en usoient encore en ce temps-là les Romains. Cependant Pomponius en voulut faire un crime à Manlius, qui d'ailleurs n'étoit pas agréable au peuple, par la sévérité qu'il avoit exercée dans ses magistratures et à la tête des armées. L'affaire fut poussée si vivement qu'on ne doutoit pas qu'il ne fût condamné à une amende considérable.

Titus Manlius ayant appris l'embarras où son père se trouvoit à son sujet, sort seul de son village de grand matin, se rend à Rome, et va à la porte du tribun, qui étoit encore au lit. Il lui fit dire que le fils de Manlius demandoit à lui parler pour une affaire qui ne souffroit point de retardement. Le tribun, persuadé qu'il ve noit ou le remercier de s'être intéressé dans sa disgrace, ou peut-être lui découvrir de nouvelles preuves de la dureté de son père, ordonna qu'on le fit entrer. Manlius l'ayant salué demanda à l'entretenir en particulier; les gens du tribua se retirèrent aussitôt par son

ordre. Pour lors ce jeune homme lui porta un poignard à la gorge, et le menaça 'de le tuer si par les serments les plus solennels il ne juroit de se désister de la poursuite qu'il faisoit contre son père. Le tribun épouvanté jura tout ce qu'il voulut. Mais il ne fut pas plus tôt débarrassé de ce jeune homme qu'il en porta ses plaintes dans une assemblée du peuple, et demanda à être relevé de son serment. Le peuple plus généreux en ordonna autrement : il lui fut défendu, en faveur du fils, de poursuivre davantage son action contre le père; et pour récompenser cet acte de piété filiale, le jeune Manlius fut nommé pour remplir une des charges de tribun des légions; emplois dont les généraux disposoient auparavant, et dont le peuple se réserva depuis la nomination.

T. Manlius ne fut pas long-temps sans faire connoître par des actions d'une valeur singulière combien il étoit digne de cet honneur. Les Gaulois cisalpins ayant repris les armes pour venger leur défaite, vinrent camper à trois milles de Rome, proche d'un pont du Téveron, an 392 de Rome sous le consulat de L, Sulpicius et de C. Licinius Calvus, celui même qui pendant son tribunat avoit travaillé de concert avec Sextius pour faire passer le consulat dans l'ordre des plé

béiens.

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Au bruit de la marche de ces ennemis redoutables, on nomma aussitôt un dictateur; ce fut T. Quintius Pennus, qui choisit Ser. Cornelius Maluginensis pour genéral de la cavalerie. Les Romains, sous les ordres de ces généraux, s'avancèrent aussitôt jusqu'au bord

du Téveron'; il n'y avoit que la rivière qui les séparât des ennemis. Un Gaulois d'une grandeur énorme, et qui paroissoit plutôt un géant qu'un homme ordinaire, s'avança sur le pont, et défia le plus brave des Romains. Sa taille extraordinaire intimidoit les plus courageux: Manlius seul crut avoir trouvé un péril digne de sa valeur. Il demanda à son général la permission de combattre le Gaulois : « J'espère, lui dit-il, faire << voir à ce barbare que je suis sorti d'une maison fa<< tale à sa nation, et dont le chef précipita les Gaulois du haut du Capitole. » (a) « Va, lui dit le dictateur, «<et montre autant de courage pour la gloire de ton « pays que tu en as fait paroître pour la défense de ton «< père. » Les deux champions ne furent pas longtemps sans en venir aux mains, et Titus Manlius, joignant l'adresse au courage, tua son ennemi, et lui arracha une chaîne d'or qu'il portoit à son cou, et qu'il mit au sien comme un monument de sa victoire; ce qui lui acquit le surnom de Torquatus, qui passa depuis à sa postérité. Le succès de ce combat singulier parut aux Gaulois de si mauvais augure pour la suite de la guerre, qu'ils abandonnèrent leur camp de nuit, et se retirèrent avec précipitation.

Quelques années après, en 405, une nouvelle armée de Gaulois se répandit sur les terres des Romains. L. Furius Camillus consul, fils du dictateur, marcha contre eux; et M. Valerius eut le même avantage que Manlius sur un autre Gaulois, que ce Romain vain

(a) Tit. Liv. lib. VII, cap. 10. Flor. lib. I, cap, 13.

quit dans un combat singulier. (a) On prétend qu'un corbeau s'étant perché sur son casque pendant le

com

bat, contribua du bec et des ongles à la défaite de son ennemi : ce qui fit donner à Valerius le nom de Corvus, et à ses descendants celui de Corvinus. Mais, sans s'arrêter à ce qu'il y a de merveilleux dans cet évènement, il suffit de remarquer que dans cette seconde guerre un combat général suivit le particulier, et qu'il eut le même succès. Les Gaulois furent défaits, et ceux qui échappèrent de cette bataille s'éloignèrent du territoire de Rome, et furent quelque temps sans y revenir.

Ce n'étoit pas la seule nation jalouse de la puissance et des conquêtes des Romains. Tous ces petits peuples qui, sous différents noms, habitoient le Latium et la Toscane, leur faisoient une guerre presque continuelle. Les Samnites se déclarèrent depuis contre eux, et les Romains n'auroient jamais subjugué les uns et les autres, s'ils n'avoient su jeter de la division parmi eux. Mais pour retenir dans leur parti les peuples les plus voisins de Rome, ils les flattoient du titre d'alliés du peuple romain; et quand ils s'étoient rendus maîtres des contrées les plus éloignées, ceux qui s'étoient laissé endormir sous ce titre d'alliés se trouvoient enveloppés dans leurs conquêtes; et pour lors, quoiqu'on leur conservât cette qualité, on les traitoit comme des sujets. Ils n'eussent osé prendre les armes sans le consentement du sénat, et ils étoient obligés de fournir leur

(a) Tit. Liv. lib. V11, cap. 26. Gellius, lib. IX, cap. 11. Val. Maxb. III, cap. 2, art. 6. Orosins, lib. III, cap. 6.

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