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tude, c'auroit été bien en vain qu'on auroit donné des louanges au dictateur sur un choix qu'il n'auroit point fait. Et, pour preuve que le blâme tomboit comme la louange sur ce choix des censeurs, on sait qu'Appius Claudius et C. Plautius, son collègue dans la censure, ayant rempli les places vacantes dans le sénat de fils d'affranchis, C. Junius Bubulcus et Q. Emilius Barbula, consuls de l'année suivante, indignés de ce que ces censeurs avoient déshonoré par leur choix une compagnie si respectable, cassèrent cette élection des censeurs, et, sans avoir égard à la dernière nomination, firent appeler tout de nouveau les sénateurs selon l'ancien rôle et dans le même ordre qu'ils se trouvoient inscrits avant la censure d'Appius et de Plautius. Ni Fabius Buteo ne méritoit les louanges qu'on lui donna, ni Appius Claudius et Plautius la honte où ils se virent exposés, si la nomination des nouveaux sénateurs avoit dépendu des suffrages de la multitude.

On vient donc de voir que l'exemple singulier de M. Fabius Buteo, nommé pour remplir les places vacantes dans le sénat, ne tire point à conséquence contre le droit où étoient les censeurs de faire cette nomination. Et si on excepte ce seul fait, et tout ce qui se passa dans les temps tumultueux des Gracques et pendant les guerres civiles, on ne trouvera point que, depuis la fondation de Rome, d'autres que les rois, ou les consuls, et les censeurs qui leur avoient succédé dans cette partie du gouvernement, aient jamais nommé ceux des citoyens de la république qui devoient remplir les places vacantes dans le sénat.

J'ai excepté de ma proposition générale le tribunat des Gracques, dont Caïus le cadet fit, dit-on, entrer un grand nombre de chevaliers dans le sénat; d'autres attribuent cette nomination extraordinaire à Livius Drusus, autre tribun. Il y en a même qui prétendent qu'il n'étoit alors question que de magistrats particuliers qui devoient rendre la justice au peuple. Je n'entrerai point dans cette question, qui mériteroit une dissertation particulière.

Je me contenterai d'observer que Sylla et Marius, chefs de la première guerre civile, remplirent le sénat de leurs créatures; que Jules- César porta encore plus loin son usurpation, et qu'il y fit entrer non seulement les enfants des affranchis, mais encore des barbares, et même des charlatans et des devins; que les triumvirs ensuite, après avoir épuisé ce corps si respectable par leurs cruelles proscriptions, le remplirent à leur tour de leurs satellites; en sorte qu'après qu'Auguste se fut défait de ses deux collègues dans le triumvirat,le sénat se trouvoit alors rempli de plus de mille sénateurs, la plupart indignes de cette grande place, et que l'argent et le crime y avoient fait recevoir. Ce prince, se voyant maître absolu de l'empire, résolut de purger cette illustre compagnie de tant d'indignes sujets : Senatorum numerum, dit Suétone, deformi et inconditá turbá; erant enim supra mille et quidam indignissimi, et post necem Cæsaris per gratiam et præmium allecti, quos orcinos, d'autres disent abortivos, vulgus vocabat, ad modum pristinum et splendorem redegit. Auguste, après avoir chassé du sénat ces hommes in

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dignes, permit à ceux des sénateurs qui restoient d'en nommer chacun un autre. Mais comme il ne fut content de cette élection, où l'amitié, les liaisons du sang, et peut-être l'intérêt eurent plus de part que le mérite, il fit un second choix dans lequel il ne consulta, qu'Agrippa: (a) Duabus lectionibus; primá ipsorum arbitratu, quo vir virum legit; secundâ suo et Agrippæ, preuve que ce prince avoit rappelé à lui l'autorité. qu'exerçoient auparavant les censeurs, les consuls, et les rois de Rome.

Ses successeurs à l'empire regardèrent l'autorité des censeurs comme faisant partie de la dignité impériale; et Decius nommant Valérien pour censeur, et lui expliquant tous les privilèges et les droits d'un emploi si éminent, Valérien, en habile courtisan, lui répondit que ces droits n'appartenoient qu'à l'empereur: (b) Hæc sunt propter quæ augustum nomen tenetis apud vos censura desedit, non potest hoc implere privatus.

Passons à la seconde question qu'on nous a faite. On demande pourquoi le sénat n'étant composé que de patriciens alors, c'est-à-dire au moins, à ce que prétend l'auteur du mémoire, dans les quatre ou cinq premiers siècles de la république, il se trouvoit des patriciens sénateurs et d'autres patriciens simples particuliers, et qui ne participoient point à cette dignité. On veut savoir si cette distinction venoit par succession et de primogéniture, ou si le choix des sénateurs dépendoit absolument des consuls, et depuis des censeurs.

(a) Suet. in Augusto, cap. 35.-(b) Trebellius Pollio in Valeriano, Gap, 2.

Pour répondre à cette question, il faut se souvenir de ce que nous avons rapporté après Tite-Live de l'institution des premiers sénateurs. Romulus, selon cet historien, n'en créa que cent, soit que ce nombre, ditil, lui parût suffisant, soit qu'il n'en eût trouvé que cent qui eussent les qualités requises pour entrer dans le sénat Sive quia is numerus satis erat, sive quia soli centum erant qui creari patres possent. Tite-Live ajoute qu'on appela ces cent sénateurs pères, comme un titre respectable, et leurs enfants et leurs descendants patriciens : Patriciique progenies eorum appellati, origine de la première et de la plus pure noblesse parmi les Romains. Quelques auteurs prétendent que ces premiers patriciens portoient sur leurs souliers des croissants; d'autres disent la lettre C, pour marquer qu'ils descendoient des cent premiers sénateurs. Ces enfants et ces descendants des cent premiers sénateurs se multiplièrent bientôt, et produisirent différentes branches de patriciens. C'est de ce corps seul qu'on tira d'abord les sénateurs, les prêtres, et tous ceux qui avoient la principale intendance dans les affaires de la religion. Mais ces emplois, et sur-tout la dignité de sénateur, ne venoient point à titre de succession. Il falloit à la vérité être patricien pour être sénateur: mais comme le nombre des patriciens excéda bientôt celui qui étoit fixé pour composer le sénat, tous les patriciens ne pouvoient pas être sénateurs, comme nous voyons que tous les nobles Vénitiens ne sont pas sénateurs, quoique, pour pouvoir être élu sénateur, il faille être reconnu pour noble Vénitien. Ainsi il ne suffisoit

pas à Rome d'être patricien pour avoir entrée dans le sénat : la naissance donnoit la première de ces qualités, mais il n'y avoit que le mérite qui procurât la seconde. Il falloit, pour être reçu dans cette auguste compagnie, avoir donné des preuves éclatantes de sa valeur à la guerre, et dans des temps de paix, de sa capacité dans la conduite des affaires : le choix que faisoient les rois des sénateurs prouve que cette dignité ne dépendoit point d'une succession linéale et agnatique. Bientôt même, et sous les rois de Rome, on ne s'attacha plus si scrupuleusement au sang de ces premières familles patriciennes; et s'il se trouvoit à Rome quelque étranger ou quelques plébéiens distingués par leur mérite, on faisoit l'étranger d'abord citoyen; et, pour donner casuite aux uns et aux autres entrée dans le sénat, on les déclaroit patriciens. C'est ainsi qu'Ancus Martius, quatrième roi de Rome, prévenu en faveur du mérite et de la valeur d'un Toscan appelé Lucumon, le combla d'honneurs on l'a vu d'abord général de la cavalerie, ensuite patricien, et depuis sénateur. C'étoit pour ne pas violer ouvertement l'usage où l'on étoit de n'admettre dans le sénat que les descendants dés cent premiers sénateurs, qu'on donnoit à des étrangers ou à des plébéiens le nom de patriciens. Le même Lucumon, sous le nom de Tarquin l'Ancien, étant depuis parvenu à la couronne par la faveur du peuple, pour se conserver son affection, tira tout à la fois de cet ordre cent sénateurs dont il augmenta le corps du sénat; et, à l'exemple d'Ancus Martius, il se contenta, pour adoucir ce qu'une pareille nouveauté pouvoit

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