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davantage ces courages ulcérés. Scipion se leva brusquement de sa place, et, se tournant vers les sénateurs qui étoient intéressés comme lui dans la perte des terres: «< Puisque le souverain magistrat, dit-il, par un assu<< jettissement trop scrupuleux pour les formes ordi« naires de la justice, refuse de secourir la république, « que ceux à qui la liberté est plus chère que la vie «< même me suivent. » En même temps il retrousse sa robe, et se met à la tête des sénateurs de son parti, qui courent en fureur au Capitole avec ce gros de clients, de valets, d'esclaves, qui les attendoit à la porte du sénat. Ces gens, armés seulement de bâtons et de leviers, précédoient les sénateurs, et frappoient indiffé remment sur tout ce qui s'opposoit à leur passage.

Le peuple épouvanté prend la fuite. Chacun dans ce tumulte s'écarte; les amis de Tiberius l'abandonnent. Il est enfin obligé de se sauver comme les autres; il jette sa robe pour courir avec plus de facilité: mais, dans cette précipitation inséparable de la peur, il tombe en s'enfuyant, et, comme il se relevoit, Publius Satureius, un de ses collègues, jaloux, et ennemi secret de sa gloire, le frappa à la tête avec le pied d'une chaise. Ilretomba de ce coup, et une foule de ses ennemis survenant lui ôtèrent la vie. Sa mort ne finit pas le désordre l'animosité étoit égale dans les différents quartiers de la ville, et plus de trois cents des amis et des partisans de Tiberius périrent dans ce tumulte. On remarqua qu'aucun n'avoit été tué par le fer, et qu'ils furent tous assommés ou à coups de pierre, ou à coups de bâton. On en jeta depuis les corps, avec celui de Tiberius dans le Tibre.

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La cabale et le parti des grands étendirent le ressentiment sur tous ceux qui avoient paru favoriser ses sentiments. On en fit mourir plusieurs; Popilius, alors préteur, en bannit un grand nombre, et on n'oublia rien pour inspirer de la terreur à ceux qui seroient capables de tenter de nouveau le même dessein.

FIN DU HUITIEME LIVRE.

LIVRE IX.

C. Gracchus, frère de Tiberius, obtient du peuple la charge de tribun malgré les grands. Il propose différentes lois et fait divers changements dans le gouvernement qui le rendent presque absolu dans Rome et dans toute l'Italie. L'année de son tribunat étant expirée, il est continué dans la même charge sans l'avoir briguée. De quelle manière les sénateurs viennent à bout de diminuer son crédit. Scipion Emilien, le destructeur de Carthage et de Numance, s'oppose le plus ouvertement à l'établisment des lois agraires. On le trouve mort dans son lit. Caius est soupçonné d'avoir contribué à le faire assassiner. Ses collègues, jaloux de son autorité, lui font manquer un troisième tribunat. Les sénateurs voyant Caïus rentré dans une condition privée chargent le consul Opimius de casser toutes ses lois, et sur-tout celle qui regardoit le partage des terres. Opimius convoque une assemblée générale pour terminer cette grande affaire. Un des licteurs du consul, mis à mort par les plébéiens malgré Caius, est cause que le sénat donne pouvoir à Opimius de faire prendre les armes à ceux de son parti. Caïus est tué et så tête apportée au consul, qui la paie dix-sept livres et demie d'or. Les grands viennent à bout de se faire reconnoître pour légitimes possesseurs des terres de conquêtes, en s'engageant à une redevance qu'ils ne paient pas long

temps. Jugurtha. Qui il étoit. Ses premières campagnes. Son argent lui tient lieu de bon droit à Rome pendant quelque temps, mais à la fin sa cruauté oblige les Romains à faire passer des troupes en Numidie. Après avoir employé avec succès contre ses redoutables ennemis l'argent, la ruse, et la force, il est livré par Bocchus à ses ennemis, conduit à Rome, traîné comme un esclave à la suite d'un char de triomphe, et enfin poussé par un bourreau dans le fond d'une basse fosse, où il meurt de faim. Marius. Sylla.

ROME vit, pour la première fois, la guerre civile allu

mée dans l'enceinte même de ses murailles. Toutes les séditions qui s'étoient émues jusqu'alors, la retraite sur le mont Sacré, l'abrogation des dettes, l'établissement du tribunat, et la promulgation de différentes lois, toutes ces dissensions s'étoient toujours terminées par la voie d'accommodement, et sans effusion du sang humain; tantôt par le respect du peuple pour le sénat, et plus souvent encore par la condescendance du sénat pour le peuple. Mais dans cette dernière occasion, la violence décida la querelle, et ce fut un tribun même du peuple qui, sans respect pour sa dignité, réputée sacrée, donna le premier coup à son collègue (a).

Cependant le peuple, revenu de sa frayeur, se reprochoit sa mort comme s'il eût assassiné lui-même

(a) Plut. in Gracchis. App. Alex. de Bel. civ. lib. I, cap. 16 et 17. Vell. Paterc. lib. II, cap. 3. Oros, lib. V, c. 8 et 9. L. Florus, lib. III, cap. 4.

celui qu'il n'avoit pas défendu assez courageusement. Son indignation se tourna ensuite contre Scipion Nasica, l'auteur du tumulte. Les plébéiens ne le rencontroient jamais dans les rues qu'ils ne le traitassent publiquement d'assassin et de sacrilège. Les uns, frémissant de colère, menaçoient de le tuer; d'autres proposoient de le citer devant l'assemblée du peuple. Le sénat, craignant que sa présence n'excitât une nouvelle sédition, jugea à propos de l'éloigner, et on l'envoya en Asie avec une commission apparente qui cachoit un véritable exil. Le sénat, pour achever de calmer le peuple, consentit à l'exécution de la loi; il permit qu'on substituât à Tiberius un autre commissaire qui le remplaçât dans le partage des terres, et même on déféra cet emploi à Publius Crassus, dont C. Gracchus, frère de Tiberius, avoit épousé la fille. Mais on ne cherchoit qu'à amuser le peuple : les lois de Tiberius étoient toujours également odieuses aux grands: la mort d'Appius Claudius, un des triumvirs, leur. fournit un nouveau prétexte pour en surseoir encore l'exécution, et on commença à regarder le partage des terres comme ces affaires qu'on veut ruiner insensiblement en les laissant tomber dans l'oubli.

Il n'y avoit que Caïus Gracchus dont le peuple pût attendre du secours : mais, outre qu'il étoit encore trop jeune pour entrer dans les charges, et qu'il n'avoit que vingt-un ans quand son frère fut tué, on remarqua que, depuis sa mort, il affectoit de ne plus se montrer en public, soit qu'il craignit véritablement les ennemis de sa maison, soit qu'il voulût les rendre

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