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contingent de troupes pour aider les Romains à étendre deur empire et leur domination. Telle étoit la conduite de ces habiles politiques: on peut voir dans le progrès de leurs armes le fruit d'un système d'ambition très bien lié; et, ce qu'il y a de singulier, c'est que ces défenseurs éternels de la liberté étoient eux-mêmes les oppresseurs du droit naturel et les tyrans de toute l'Italie. Les Herniques, qui avoient été près d'un siècle dans leur dépendance, entreprirent les premiers de s'en tirer. Tous, jusqu'aux vieillards, prirent les armes pour recouvrer leur liberté. On envoya d'abord contre eux Genutius, consul plébéien : ce fut le premier de cet ordre qui eut le commandement des armées. Les patriciens et les plébéiens, par différents motifs, attendoient avec inquiétude quel seroit le succès de cette guerre (a). Genutius tomba dans une embuscade où il fut tué, et la plupart de ses troupes furent taillées en pièces.

Les patriciens, profitant de cette disgrace du consul plébéien pour mortifier les tribuns et diminuer leur crédit, reprochoient au peuple que les dieux avoient enfin vengé hautement les auspices profanés, et puni un homme qui, se prévalant d'une loi si injuste, avoit osé s'approprier les auspices, comme auroit pu faire un patricien.

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Le peuple et ses tribuns, confus et consternés, ne répliquoient rien : il fallut, dans cette infortune, avoir recours à un dicta eur. La noblesse fit nommer Appius Claudius, petit-fils du décemvir, celui de tous les pa(a) Tit. Liv. lib. VII, cap. 6

triciens qui étoit le plus jaloux, du privilège de sa naissance et des prérogatives de son ordre. Il leva aussitôt une nouvelle armée, marcha aux ennemis; et après un combat sanglant et opiniâtre il remporta une glorieuse victoire. Je ne parle point de différents petits combats qui se donnèrent depuis contre les Privernates, les Falisques, les Tarquiniens, et les Véliterniens. Tous ces peuples faisoient moins la guerre contre les Romains que des courses sur leurs terres. S'ils étoient battus, ou ils demandoient la paix, ou ils se renfermoient dans leurs villes, sans Ŏser reparoître en campagne. Les Toscans prirent depuis leur place, et parurent en ce tempslà sur la scène. C'étoit, comme nous avons dit, une ligue et une communauté de douze peuples, ou de douze petits états dont la puissance ne laissoit pas d'être redoutable quand leurs forces étoient unies. Cette guerre parut assez importante pour en remettrc la conduite à un dictateur; et malgré tous les efforts du sénat et des patriciens (a), C. Martius Rutilus, quoique plébéien, fut nommé pour remplir cette dignité = an 396 de Rome : il choisit pour général de la cavalerie un autre plébéien, appelé C. Plautius.

Le sénat, qui n'avoit pu empêcher l'élection d'un dictateur plébéien, n'oublia rien pour traverser son armement, et pour le mettre hors d'état d'acquérir de la gloire. Le peuple, par un motif opposé, courut à l'envi se ranger sous ses étendards: il eut bientôt une puissante arméc; et comme il étoit soldat et capitaine, il défit les Toscans, tailla en pièces leur armée, fit huit (a) Tit. Liv. lib. VII, cap. 17. Diod. Sic. lib. XVI,

mille prisonniers, et à son retour obtint, malgré le sénat, les honneurs du triomphe. C'est ainsi que le peuple entra insensiblement en partage avec la noblesse de tous les honneurs et de toutes les dignités de la république. Il étoit déjà en possession de l'édilité curule, quoique les historiens ne marquent point le nom des deux premiers plébéiens qui en furent revêtus. Philon, autre plébéien, parvint quelque temps après à la préture, et le même Martius, dont nous venons de parler, s'éleva par son courage et sa vertu jusqu'à la dignité de censeur. Depuis ce temps-là, quoique la distinction entre les patriciens et les plébéiens subsistât toujours, c'étoit moins la naissance que les dignités curules qui décidoient de la noblesse; et nous verrons dans la suite des plébéiens considérés entre les premiers et les plus nobles de la république, parcequ'ils sortoient d'ancêtres qui avoient été revêtus de ces dignités curules.

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Les Romains, après avoir triomphé des Sabins, des Toscans, des Latins, des Herniques, des Eques, des Volsques, et de tous ces petits peuples voisins de Rome, tournèrent leurs armes contre les Samnites, qui habitoient le pays qu'on appelle aujourd'hui l'Abruzze; an 10 de Rome = nation féroce et guerrière, et qui ne cédoit aux Romains ni en courage ni en discipline militaire, et qui avoit comme Rome des sujets et des alliés attachés à sa fortune.

Entre deux puissances égales et voisines, il est inutile de chercher d'autre motif de la guerre que la concurrence et une jalousie réciproque. Ainsi le sujet, ou, pour mieux dire, le prétexte de celle-ci, vint de ce que

les Samnites entreprirent de subjuguer les Sidicins et ceux de Capoue, et que les Romains, qui ne vouloient pas les Samnites si puissants, s'opposèrent à leurs conquêtes.

La guerre avoit commencé par les Sidicins, petit état dont les Samnites voulurent se rendre les maîtres. Les Sidicins eurent recours à ceux de Capoue, qui prirent leur défense avec plus d'ostentation que de forces. Les citoyens de Capoue possédoient à la vérité un pays très fertile, et le commerce augmentoit encore tous les jours leurs richesses. Mais ces richesses des particuliers faisoient la foiblesse de l'état; les maisons étoient magnifiques, et la ville sans fortifications. Le luxe régnoit par-tout; et le marchand, fier de son argent, prenoit sa vanité pour du courage, et méprisoit des ennemis qui n'étoient pas aussi riches que lui.

Cette présomption, et le mépris toujours imprudent des forces des ennemis, causèrent leurs disgraces : les Samnites, qui envisageoient plus de gloire et de profit à les vaincre que les Sidicins, tournèrent leurs armes contre eux. On en vint bientôt aux mains : ceux de Capoue furent défaits dans deux grandes batailles, où ils perdirent toute leur jeunesse; et les victorieux, que rien ne pouvoit plus àrrêter, s'approchèrent d'une ville qui n'avoit pour défense que de foibles murailles et des habitants consternés.

(a) Les magistrats, dans cette infortune, eurent recours à Rome : ils envoyèrent une célèbre ambassade pour demander l'alliance et le secours des Romains. (a) Tit. Liv. lib. VII, cap. 29, 30.

Leurs ambassadeurs représentèrent au sénat tous les motifs, soit de gloire ou d'intérêt, qui pouvoient engager la république à prendre leur défense, l'extrémité où ils étoient réduits, et la puissance de leurs ennemis, qui augmentoit encore considérablement par la conquête d'une ville aussi riche que Capoue: «< Tel est, «< ajoutèrent ces ambassadeurs, le malheur de notre «condition présente, qu'il faut, ou que nous soyons «< incessamment secourus par nos amis, ou que nous «< tombions sous la puissance de nos ennemis. Si vous « nous défendez, vous acquerrez des alliés qui vous regarderont éternellement comme les restaurateurs « de leur état, et comme les seconds fondateurs de <«< notre ville; si vous nous abandonnez, Capoue n'est plus, ou du moins elle devient sujette des Samnites. >>

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Le sénat n'ignoroit rien de toutes ces considérations; mais, comme il prétendoit tirer du secours de ses armes un avantage plus solide et plus réel qu'un vain titre et des louanges stériles, on répondit simplement à ces envoyés, par la bouche du consul, que l'état présent de leur fortune paroissoit digne de compassion, et que les Romains souhaiteroient de les voir secourir avec bienséance; mais que la république avoit une ancienne alliance avec les Samnites qui ne lui permettoit pas d'en faire une nouvelle avec leurs ennemis cependant que le sénat ne laisseroit pas d'envoyer au camp des Samnites des députés qui interviendroient en leur faveur, et qui tâcheroient de leur ménager un traité de paix à des conditions supportables.

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