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fruit de la victoire, le suit, arrive devant Cirthe avec toute son armée, investit la place, la serre de près, et jure de ne pas partir du pied de ses murailles qu'il ne se soit rendu maître et de la ville et de la personne d'Adherbal. Ce malheureux prince, qui se voit à la veille de tomber entre les mains d'un ennemi inexo-: rable, dépêche courriers sur courriers à Rome. Le sénat obsédé par les partisans de Jugurtha, semble douter du rapport des ambassadeurs, et se contente d'envoyer. en Afrique trois jeunes Romains pour reconnoître ce qui s'y passe; et en cas de guerre, ordonne aux deux princes numides de mettre les armes bas. Jugurtha å leur arrivée les amuse d'abord par des ambassades. continuelles, les séduit ensuite, et les corrompt par des sommes considérables, déguisées sous le titre de présents. Ses agents, dans l'audience qu'on leur donna, soutinrent qu'Adherbal avoit attaqué à force ouverte, et même par des voies indignes et détournées, la vie de leur maître, qui n'avoit pris les armes que par la nécessité d'une juste défense. Les envoyés, gagnés par ces raisons, que l'argent du Numide fit trouver justes, s'en retournèrent à Rome, pendant que Jugurtha poussoit le siège avec une nouvelle ardeur.

Adherbal, réduit à l'extrémité, écrit de nouveau au sénat; et il conjure les Romains, par les services de Masinissa son aïeul, de lui sauver au moins la vie. << Disposez comme il vous plaira du royaume de Numidie, leur dit ce foible prince dans sa lettre; mais << ne permettez pas que je tombe dans les mains d'un << tyran et du meurtrier de ma maison. »

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Les plus honnêtes gens du sénat, et ceux qui n'avoient point été corrompus par l'argent de Jugurtha, vouloient qu'on ne différât pas davantage à faire passer une armée en Afrique pour faire lever le siège de Cirthe, et pour punir Jugurtha de n'avoir pas déféré aux premiers ordres qu'on lui avoit envoyés; mais ses partisans empêchèrent par leurs brigues que cet avis ne passât, sous prétexte que cet armement engageroit à une dépense inutile. Ils proposèrent seulement d'envoyer en Afrique de nouveaux commissaires pour régler les différents des deux rois; et ce dernier avis l'emporta sur l'honneur et la gloire de la république. Æmilius Scaurus fut mis à la tête de cette commission: il étoit prince du sénat, c'est-à-diré, celui que le censeur, lisant publiquement la liste des sénateurs, avoit nommé le premier; ce qui dépendoit du choix de ce magistrat des mœurs. On ne déféroit ordinairement ce titre honorable qu'à un ancien sénateur qui eût déjà été honoré du consulat ou de la censure; et il jouissoit toute sa vie de cette prérogative.

Scaurus, illustre par sa naissance, et habile magistrat, mais également ambitieux et avare, avoit jusqu'alors caché ses défauts sous l'apparence des vertus contraires. Quoique l'avarice fût sa passion dominante, il avoit su refuser l'or des agents de Jugurtha, parcequ'ils le distribuoient trop publiquement. Cette conduite adroite, son âge, sa dignité, ses services, le firent nommer pour chef de cette commission. Il passa aussitôt en Afrique avec ses collègues, et débarqua à Utique, d'où il fit signifier à Jugurtha sa commission,

et les ordres du sénat de lever incessamment le siège de devant Cirthe.

Jugurtha laisse ses troupes au siège, et vient trouver les commissaires. Il proteste que rien ne lui est plus sacré que les ordres du sénat; mais il représente en même temps qu'Adherbal l'a voulu faire périr, qu'il est venu l'attaquer à la tête d'une armée; que pour lui il n'a pris les armes que pour défendre sa vie et ses états; que les Romains sont trop justes pour lui interdire ce que le droit naturel permet à tous les hommes, et pour lui lier les mains quand on l'attaque. Ce fut avee de pareils discours, ou plutôt avec des sommes considérables, mais répandues secrètement, que le perfide Africain sut éluder l'effet de cette commission. Scaurus et ses collègues n'eurent point de honte de s'en retourner à Rome sans avoir rien obtenu en faveur d'Adherbal. Le Numide, débarrassé du seul obstacle qu'il redoutoit, retourne au siège, le presse, et réduit enfin Adherbal, encore plus par la faim que par la force, à se remettre entre ses mains. Ce malheureux prince n'exigea pour toute condition que d'avoir la vie sauve, et du reste il s'en remit au jugement du sénat. Jugurtha promit tout. Il fut reçu ensuite dans la place; mais il ne s'en vit pas plus tôt le maître, qu'il fit tailler en pièces les soldats numides de la garnison. Il épargna seulement les Italiens, apparemment par respect pour la république : à l'égard d'Adherbal, il le fit mourir dans les plus cruels tourments. = An 64r de Rome. =(a) Ce nouvel assassinat su à Rome, et la prévarication honteuse (a) L. Florus, l. III, Q. 1.

des commissaires, excitèrent une indignation générale. Le peuple sur-tout crioit hautement dans ses assemblées qu'on avoit vendu à ce barbare le sang de son frère. (a) Le sénat craignant qu'à la fin l'impunité ne soulevât le peuple, ordonna, malgré les partisans de Jugurtha, que L. Bestia Calpurnius, qui étoit alors consul, passeroit en Afrique, à la tête d'une armée, pour faire obéir Jugurtha. Calpurnius avoit de la valeur et beaucoup d'expérience; mais ces grandes qualités étoient effacées par une sordide avarice : il sembloit qu'il ne fit la guerre que comme un métier, et seulement pour gagner de l'argent. Il regarda l'expédition d'Afrique comme une riche moisson; et aucun des moyens de pouvoir s'enrichir ne lui parut honteux.

Mais comme il n'ignoroit pas qu'il avoit affaire au peuple romain, et à des tribuns qui pourroient un jour lui demander un compte sévère de sa conduite, il cut l'adresse d'engager dans cette expédition Scaurus, et quelques sénateurs des plus considérables. Il les demanda pour ses lieutenants, sous prétexte d'avoir besoin de personnages aussi consommés dans l'art de la guerre : mais dans le fond il n'avoit en vue que de les associer à ses brigandages, et de se mettre à couvert sous leur nom et par leur crédit de toute recherche. Cependant ce ne fut pas sans beaucoup de surprise, et d'inquiétude que Jugurtha apprit des nouvelles de cet armement. Il s'étoit toujours flatté que le meurtre d'Adherbal ne lui coûteroit que, de l'argent. Il envoya aussitôt à Rome son fils, comme un gage de sa fidélité

(a) Orosius, 1. V, c. 15.

et de sa soumission, et il le fit accompagner par deux ambassadeurs chargés d'une partie de ses trésors, dont ils avoient ordre de lui acheter encore de nouveaux protecteurs. Mais les crimes de Jugurtha avoient fait trop d'éclat pour que le sénat pût les dissimuler davantage. Au milieu d'une corruption aussi générale, et telle que nous venons de la représenter, on voyoit encore de la dignité en ce qui regardoit les affaires publiques. On ne pouvoit plus même prendre son parti ouvertement sans se déshonorer: aussi, d'un commun avis, il fut ordonné à son fils et à ses ambassadeurs de sortir de l'Italie en dix jours, à moins qu'ils ne fussent, venus pour remettre le royaume de Numidie et la personne même de Jugurtha en la disposition de la république. Ce decret leur fut signifié, et ils furent obligés de s'en retourner sans avoir pu entrer dans Rome.

Sitôt que les levées furent prêtes, Calpurnius les fit embarquer à Rhège. Elles passèrent d'Italie en Sicile, et de Sicile en Afrique. Le consul n'y fut pas plus tôt arrivé, qu'il attaqua vivement les états de Jugurtha. Ses troupes se répandent dans le pays, mettent tout à feu et à sang. Il forme ensuite des sièges, prend des villes, et fait des prisonniers. Pour soutenir sa réputation, ou peut-être pour se faire acheter plus chèrement du roi de Numidie, il pousse la guerre avec vigueur, et répand la terreur de ses armes de tous côtés. Le Numide, redoutant les suites de cette guerre, a recours à ses armes ordinaires. Il fait couler des sommes considérables jusque dans la tente du général romain. Des émissaires secrets font le marché; Scaurus entre dans cette hon

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