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'ordre & fans liaison. Ce n'eft pas peutêtre ce qui a le moins contribué à le rendre fi agréable à notre Nation, ennemie de l'affujettiffement que demandent les longues differtations; & à notre fie cle, ennemi de l'application que deman dent les Traitez fuivis & méthodiques: Son efprit libre, fon ftile varié, & les expreffions métaphoriques, lui ont principalement mérité cette grande vogue,' dans laquelle il a été pendant plus d'un fiecle, & où il eft encore aujourd'hui:car c'eft,pour ainsi dire,le Breviaire des honnêtes pareffeux,& des ignorans ftudieux,' qui veulent s'enfariner de quelque connoiffance du monde, & de quelque teinture des Lettres. A peine trouverez-vous un Gentilhomme de campagne qui veuille fe diftinguer des preneurs de liévres, fans un Montagne fur fa cheminée. Mais cette liberté, qui a fon utilité, quand elle a les bornes, devient dangereufe, quand elle dégénére en licence. Telle eft celle de Montagne, qui s'eft cru permis de fe mettre au-deffus des loix, de la modeftie, & de la pudeur. Il faut refpe&ter le public, quand on fe mêle de lui parler, comme on fait quand on s'érige en Auteur. La fource de ce défaut dans

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Montagne, a été fa vanité & for amour propre. Il a cru que fon mérite l'affran chiffoit des regles; qu'il devoit donner l'exemple, & non pas le fuivre. Ses par rifans ont beau excufer cette vanité,qu'on lui a tant reprochée. Tous ces tours & cet air de franchise qu'il prend, n'empê chent pas qu'on n'entrevoie une affectation fecrete de fe faire honneur de fes emplois, du nombre de fes domeftiques, & de la réputation qu'il s'étoit acquife. Qu'on ramaffe tout cela, qu'il a femé par-ci par-là adroitement dans fes écrits, on trouvera qu'il s'eft rendu fon propre Panégyrifte. Scaliger avoit grande raifon de dire,J'ai bien affaire de favoir fi Montagne aime le vin blanc, ou le vin clai ret. En effet, n'eft-ce pas abufer de l'audiance de fon Lecteur, que de l'entretenir de fes goûts, & de toutes fes autres fadaifes domeftiques? Scaliger pour tant ne parloit pas ainfi fans interêt de fon compatriote. Montagne avoit donné dans fes écrits à Jufte-Lipfe la premiere place dans l'empire des Lettres : quoiqu'en cela d'un mauvais goût, comme en bien d'autres chofes. Quand il avance quelque fentiment hardi, & fujet à conradiction, Je ne le donne pas pour bon

dit-il, mais

pour mien: & c'eft de quoi le Lecteur n'a que faire; car il lui importe peu de ce qu'a penfé Michel de Montagne, mais de ce qu'il falloit penTer pour bien penfer. Il déclare dans tout fon ouvrage, qu'il a voulu s'y peindre au naturel, & fe repréfenter aux yeux du Public. Pour le propofer un tel deffein, ne faut-il pas être perfuadé que cet original mérite d'être regardé, étudié, & imité de tout le monde ? Et cette idée. a-t-elle pû naître ailleurs que dans un grand fonds d'amour propre ?

Pour fon ftile, il eft d'un tour véritablement fingulier, & d'un caractére original. Son imagination vive lui fournit fur toutes fortes de fujets une grande va sieté d'images, dont il compofe cette abondance d'agréables métaphores, dans lefquelles aucun écrivain ne l'a jamais égalé. C'eft fa figure favorite, figure qui felon Ariftote eft la marque d'un bon efprit,peas; parcequ'elle vient de la fécondité du fonds qui produit ces images, de la vivacité qui les découvre fa cilement & à propos, & du difcernement qui fçait choifir les plus convenables.

V. I.I..

Ange Politien.

'Ange Politien a été un des plus beaux efprits d'Italie. Il s'appelloit Angelo Baffo.Il avoit été précepteur de Leon X, & avoit eu pour précepteur Andronic de Theffalonique. Dans ce fiecle heureux la nature fembla faire un effort pour le rétabliffement des Lettres, en donnant la naissance à tant de grands hommes, qui' concoururent à diffiper les nuages épais de cette profonde barbarie, qui couvroit l'Europe depuis tant de fiecles. L'Italie profita de l'invafion de la Gréce, occupée par les Turcs. Les plus Savans de ces contrées fe refugiérent en Italie. La Maifon de Medicis reconnut leur mérite, & les protégea; & ils eurent pour difciples les plus excellens genies d'Italie, qui furpafférent en nombre & en élévation tout ce qui eft venu depuis. Le Pape Leon X. y auroit tenu fon rang, quand il feroit demeuré dans une condi tion privée. Il favorifa les Lettres de tout fon pouvoir, & fa Cour étoit une Academie. Pour revenir à Politien, il fe gnala principalement dans les belles

Lettres. Son ftile en profe & en vers, eft plein d'élégance & d'agrément. Je ne fçais comment on a oublié dans le Re: cueil de fes Poëfies, une Ode qu'il fit pour honorer la nouvelle édition d'Horace, que publia fon ami Landin. Cette Ode eft un chef-d'œuvre, & j'ofe l'égaler aux plus belles d'Horace. Let tour, le nombre, les ornemens, l'élégance, tout cela eft digne de la plus noble antiquité. Cet heureux genie étoit logé dans un très-vilain corps. Il étoit louche, il avoit un nez démesurément grand, & Paul Jove s'eft plaifamment & heureusement exprimé quand il a dit qu'il étoit, facie nequaquam ingenua & liberali, ab enormi præfertim nafo, fublufcoque oculo perabfurda. Je ne dis rien de fes mœurs, & de fa religion. If a eu fur cela une réputation fort équivoque, & ce défaut qui eft capital, a obfcurci toutes les autres vertus ; d'au tant plus que fon caractére de Prêtre, & fon emploi de Chanoine, requeroient une vie reglée, & des mœurs exemplai

res.

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