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tous les Mémoires, toutes les Relations que l'impreffion a rendues publiques. Il a feuilleté tous les anciens documens, dont il a pû avoir la communication. Il a porté fa curiofité dans les Hiftoires des peuples & des tems voifins de ceux qu'il vouloit illuftrer. Auffi n'y a-t-il point d'Hiftorien de notre nation, où il y ait tant à apprendre que dans celui-là. D'ailleurs il eft furprenant qu'un homme de cette forte, qui a paffé fa vie dans les galetas, & dans la plus épaiffe craffe de l'Univerfité, ait pû acquerir tant de connoiffance des pratiques de la guerre, des ufages de la Cour, du ftile des négotiations, & de la conduite des affaires publiques. Quoique fon langage ne foit pas dans une exacte pureté, fon ftile eft noble, élevé, & vraiment hiftorique ; fi vous le purgez feulement de quelques tours qui lui font familiers, & dont la répetition trop fréquente laffe le Lecteur. Il a embraffé tant de matiére, que faute de mémoire, ou peut-être d'exactitude, il eft tombé dans quelques contradictions. Mais on eft amplement dédommagé de ces pertes, par l'abondance des nouveautez qu'il préfente à fon Lecteur.

XIX.

Pucelle de Chapelain.

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Le public n'a pas été moins injufte envers M. Chapelain. Je n'ai jamais confenti au jugement que le public a fait de fa Pucelle. On l'a condamnée, parce qu'il étoit à la mode de la condamner, & la mode s'en eft établie par des Juges très-incompétens. Il n'appartient pas à tout le monde de juger du Poëme Epique. Ce droit eft refervé à un très-petit nombre de perfonnes; & tout le monde l'a ufurpé contre la Pucelle. On a jugé du Poëme Epique fur les régles des Sonnets & des Madrigaux. Et de tous ceux que j'ai vûs s'acharner fi impitoyablement contre cet ouvrage, aucun ne m'en a jamais allegué d'autre raifon, que quelques expreffions dures, & quelques vers forcez, comme fi ce genre de Poëfie ne les demandoient pas quelquefois de ce caractére, qui feroit vicieux dans une Epigramme, & qui eft néceffaire dans quelques endroits des grands Poëmes. Quel jugement feroient aujourd'hui ces critiques délicats de l'Iliade d'Homé

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re, fi elle n'avoit jamais paru, avec tant de vers négligez, tant de répétitions ennuyeuses, & tant de défauts qu'on y a remarquez ? Quel jugement feroientils d'un Peintre qui ayant à faire un tableau destiné pour une des plus éminentes places places de S. Pierre de Rome, le peindroit avec tous les adouciffemens, & les délicatoffes de la Mignature? Notre nation, notte âge, notre goût font. ennemis des gtands ouvrages. Tout ce qui demande de l'application nous rebute. Une Ode nous ennuie par fa longueur. A peine peut-on fouffrir un Son-: net. Notre génie fe borne à l'étendue du Madrigal.Nous fommrs dans le fiécle des colifichets. Toute notre induftrie ne va qu'à faire de fort grandes petites chofes. Pour bien juger de la Pucelle, il falloit en examiner l'Action, la Fable, l'Economie, l'Ordonnance, les Ornemens, les Dénoüemens, & tout ce qui entre dans la compofition de l'Epopée, fans s'arrêter uniqnement, comme l'on a fait, à la Verfification. Et comment auroit-on pû l'examiner de cette forte, puifqu'il n'en a paru que la premiere. partie? C'eft en quoi les Exécuteurs du teftament de M. Chapelain & les hé

ritiers, & M. de Montaufier qui fut appellé à cette délibération, lui ont rendu un très-mauvais office, en fupprimant la feconde pattie de la Pucelle. -Car apprehendant un auffi mauvais fuccés pour cette feconde partie, que pour la premiere, ils ont êté aux bons Ju. ges & aux fins connoiffeurs les moyens de juger fainement de l'une & de l'autre, & peut-être d'effacet la flétriffure que fa mémoire a reçûë injuftement, du du moins fans connoiffance de caufc. Le mal n'eft pourtant pas fans reméde. Ces héritiers gardent ce dépôt, & le cachent contre l'interêt d'un parent qui leur a fait honneur, contre le leur, & contre celui du public, qu'ils privent d'un bien qui lui appartient', & qui a droit de le redemander. Ce qui eft de plus étrange, c'eft que l'infortune de la Pucelle fut contagieux aux autres ouvrages de M. Chapelain. Tout ce qui portoit fon nom, parut méprifable, & on ne voulut plus fe fouvenir de tous les applaudiffemens que fes belles Odes avoient méritées dès le tems du Cardinal de Richelieu, & principalement fa Couronne Impériale, le plus beau fleurron de la Guirlande de Julie, fi ingé

nicufement inventée, fi agréablement tournée, & fi heureufement conduite. Quand je confidére cette furprenante décadence de la réputation de M. Chapelain, j'en vois deux caufes principaÎes; l'une eft qu'il n'a pas affez connu le génie de notre nation, & de notre fiécle, tel que je viens de l'exposer,, brufque, ardent, impatient, & incapable de la longue & conftante attention, que demande l'élévation, & l'étenduë du Poëme Epique; génie trèséloigné du flegme, de la folidité, & de la fage pefanteur des efprits des anciens Grecs & Romains. M. Chapelain ayant manqué à faire cette obfervation, a crus légérement que toutes les figures, & tous les tours, qui font la beauté de leurs langues, conviendroient indiffé-remment à la nôtre, fans confidérer que: chaque langue a des agrémens qui lui font propres, & qui paffant d'une landans gue une autre, & y portant leur caractére étranger, y deviennent fades, & quelquefois ridicules. La feconde cau. fe de la révolution de l'eftime de M.Chapelain, vient de cette eftime même, qui le fit choifir par M. Colbert, pour arbitre de la difpenfation des liberali

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