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III.

L'étude n'eft point contraire à la fantè;

C'eft une grande erreur de croire que f'étude foit contraire à la santé. On voit autant vieillir de gens de Lettres, que de toute autre profeflion. L'Hiftoire en fournit une infinité d'exemples. En effet cette vie reglée, uniforme, paisible, n'entretient-elle pas la bonne conftitution , & n'éloigne-t-elle pas toutes les caufes qui la peuvent alterer ? Pourvû que la chaleur naturelle foit d'ailleurs excitée par un exercice modéré, & ne foit pas étouffée fous une quantité d'a fimens difproportionnée au besoin de la vie fédentaire.

I V.

Du peu de fûreté de la réputation
des gens de Lettres.

Plufieurs Savans ont eu plus de ré putation que de favoir: plufieurs autres au contraire ont eu plus de favoir que de réputation. La réputation des Savans dépend de l'art, ou des occafions

fortuites de produire fon favoir, & de l'opinion du vulgaire, qui eft ignorant. Je donnerai pour exemple des premiers le Cardinal du Pèrron, & le Sieur du Pleffis-Mornay; & pour exemples des autres les Sieurs Bernard & Gale Anglois. Le Cardinal du Perron avoit fort pratiqué la Théologie Scholaftique, c'étoit la fon fort; il avoit auffi quelque ufage de la Théologie pofitive, mais non univerfel ni profond, finon de quelques parties qu'il avoit creufées par rapport aux controverfes qui étoient alors fort échauffées. Il avoit une teinture fuperficielle des Lettres humaines, & des Langues Latine & Grecque; car pour l'Ebraïque, à peine la favoit-il lire. Mais tout cela mis en œuvre avec un grand art, animé par un beau genie, par un efprit prefent & vif, & une grande éloquence, une phyfionomie folaire, & une heureufe reprefentation; tout cela, disje, impofa à la Cour premierement, qui ne juge guére que par l'exterieur, & enfuite à tout fon fiecle. Le Pleffis-Mornay lui fut beaucoup inferieur en tout cela. Il ne faut que lire fa vie pour connoître que l'étude avoit été la moindre de fes occupations. Il n'avoit étudié qua.

par les yeux d'autrui, & il ne compofoit fes ouvrages que par le travail des Miniftres & des Propofans, qui lui fournif foient des matériaux : fe faifant une affaire de parti de débiter leur doctrine fous un grand nom. Je n'ai jamais lû d'autre ouvrage de lui que fa preuve de la Religion Chrétienne. Je ne comprens pas comment un homme aufli avifé qu'il étoit, l'a été affez peu pour avoir ha zardé fous fon nom tant de fadaifes. Tout eft plein de paffages tronquez, mal traduits, mal entendus, de raifonnemens faux, foibles, & fouvent abfurdes. 11 citoit des auteurs dont il ne connoiffoit que le nom; & Henry I V. lui fçut bien dire, qu'il étoit impoffible qu'il eût lû tous les auteurs qu'il avoit citez dans fon livre de l'Euchariftie. Meffieurs Bernard & Gale Anglois étoient d'un caractére tout oppofé. J'en puis parler avec certitude, ayant connu le premier en sa personne, & lui & M. Gale par un long commerce de lettres. C'étoient deux hommes d'une très-profonde érudition. M. Bernard poffedoit les Langues Orientalés, les Mathematiques, & une grande connoiffance de l'antiquité. M. Gale, que je crois encore vivant, a

A iiij.

!

une profondeur étonnante d'érudition dans toutes les belles Lettres. Mais fa modestie eft fi grande, qu'il femble qu'il cache fon favoir. A peine fouffre-t'il que Fon mette les premieres Lettres de fom nom à tant d'excellens ouvrages, qui fore tent tous les jours de fes mains. Je ne connois point d'homme plus officieux ni qui faffe moins valoir fes bons offices. J'ai eu quelquefois befoin de faire co pier ou conferer des Manufcrits d'Angleterre. Je n'aurois jamais pris la liberté de lui demander qu'il y employât un quart d'heure d'un tems, dont il fait un fi bon usage pour l'utilité publique. Sie tôt qu'il a connu mon besoin par le rap port de quelqu'un de nos amis communs, il a quitté toutes fes occupations pour fatisfaire mes defirs; & je recevois ce que javois defiré, fans favoir de quelle part. cette grace me venoit. Cette humeur bienfaifante eft fans exemple.

V.

Des deux Scaligers, pere & fils.

Les deux Scaligers, pere & fils, ont été deux prodiges de favoir, & deux prodiges de vanité. Schoppius a levé le

mafque de Principauté, dont le pere s'étoit couvert, & a fait voir qu'il s'appelloit Jules Bourdon,qu'il étoit né dans une boutique d'Enlumineur, qu'il fut Frater fous un Chirurgien, fon oncle paternel, & qu'il fut enfuite Cordelier; mais que l'élévation de fon efprit & de fon cou rage lui fit afpirer à de plus grandes chofes, qu'il quitta le froc, & prit le degré de Docteur en Medecine, qu'il obtint à Padouë; qu'il exerça la Medecine dans les Etats de Venife & en Piémont, & s'attacha en cet emploi à un Prélat de la Mailon de la Rovere, & le fuivit à Agen, dont l'Evêché lui avoit été conferé. Il s'y maria à une jeune fille, que quelquesuns ont dit avoir été fille d'un Apothiquaire: c'eft de-là qu'eft forti Jofeph Scaliger, qui trouvant cette chimere de Principauté dans fa famille, pour ne donle démenti à fon pere, & pour fatisfaire à fa propre ambition, fe porta pour Prince, & foûtint toutes les fourberies que fon pere avoit controuvées, & pour les rendre plus vrai-femblables, il y mit beaucoup du fien. Sur de tels fondemens il bâtit ce beau Roman de fa généalogie, adreffé à Doufa, qui eft à la tête de les Epitres,& qui donna fi beau

ner pas

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