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qu'il croyoit être à l'avantage de l'Ordre. Sa lettre eft fi belle, fi vive, & fi preffante, que fi elle n'étoit point fi longue, on la mettroit ici toute entiere : on a crû ne fe pouvoir dispenser d'en donner

au moins un extrait.

Aprés avoir reprefenté les maux de l'Ordre de Cifteaux d'une maniere trestouchante, & les efforts inutiles qu'on avoit fait jufques alors pour y remedier, faute de s'eftre attaché à fon premier efprit, & d'avoir bâti fur les fondemens que leurs peres avoient pofez avec tant de fainteté & de fageffe, il ajoûte:

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que

L'Ordre de Čifteaux n'eft fondé » pour garder la regle de Saint Benoist » dans toute fon étenduë, & dans tous fes "points, fans difpenfes, fans adouciffe"mens, & fans explications. Ses Fonda»teurs ont eu cela devant les yeux pour » unique & principale intention: on pre"tend le rétablir par des mitigations & » des temperamens ; ce ne fera plus l'Or» dre de Ĉifteaux que l'on rétablira; cela » n'eft pas poffible, puis qu'il ne fouffre >> aucune modification ni aucun adoucif» fement. C'est ce qui a fait dire à Sainr » Bernard, qu'entre tous les Ordres de l'Eglife, celui de Cifteaux feul devoit » être une pratique litterale de la regle de

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Saint Benoift, & qu'il n'admettoit au- «< cune modération. C'est à vous mon " Reverendiffime Pere, à qui Dieu a « donné une autorité fuperieure, à tra- « vailler au rétabliffement des chofes par des voyes efficaces, & par des expe- «<. diens folides. Dieu a permis que vous « connuffiez la profondeur de nos maux « par une funefte experience, à laquelle je ne puis puis penfer fans horreur, afin « qu'en étant plus vivement touché, vous « travaillaffiez avec plus d'application & & de fentiment à remedier à de fi «< grands excés. Vôtre obligation en cela «< eft d'autant plus grande, que vous êtes «e le feul qui le puiffiez. Les oüailles de « JESUS-CHRIST étant abandon- « nées comme elles le font dans le defert, « les Pafteurs pour la plûpart enfevelis « dans un fommeil letargique, & per- « fonne ne veillant à la garde de fon « troupeau, quoiqu'il ait parlé d'une ma- « niere qui doit faire trembler tous les Pasteurs, des jugemens qu'il exercera ‹ fur ceux qu'il a chargés de la conduite des ames. Toutes leurs fautes font « grandes, parce qu'elles ont de gran- « des fuites, & les moindres negligences feront punies avec une extréme feverité.

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Aprés que l'Abbé de la Trappe a reprefenté fi fortement à l'Abbé de Cifteaux les devoirs & les obligations de fa charge, il fuppofe que fon zele ne lui permettra pas de laiffer l'Ordre dans l'état qu'il l'a trouvé. Je dis qu'il le fuppofe, & il falloit pour cela qu'il lui eût deguifé fes fentimens, car cet Abbé jufques alors avoit été tres - oppofé à la reforme, & il le fut toujours depuis. L'Abbé de la Trappe ajoute donc qu'il eft affuré que fes intentions font fi & que fon zele eft fi ardent, qu'il n'y a rien qu'il n'entreprît s'il voyoit quelque apparence de réuffir.

pures,

Mais (continue-t-il) fi les Saints qui font vos predeceffeurs s'étoient arrétez à ces mêmes confiderations qui fe prefenterent à eux (comme nous l'apprenons de l'hiftoire de Cifteaux.) Cifteaux feroit encore dans les tenebres, inconnu aux hommes, & n'auroit pas eu le bonheur de donner cette multitude de Saints à JESUS-CHRIST & à fon Eglife, qui en ont été la gloire & l'or

nement.

Cette lettre où l'efprit de Dieu fe fait fentir fi vivement, n'empêcha pas l'Abbé de Cifteaux de faire tant d'entreprises dans le Chapitre general, que tous les Abbez de l'étroite obfervance, & les

quatre premiers Abbez de l'Ordre fe crurent obligez de protester contre, & de fe retirer. Quoique tous ces Abbez en abandonnant le Chapitre general euffent protesté qu'ils ne le reconnoiffoient point pour legitime, l'Abbé de Cifteaux malgré leur abfence ne laiffa pas de le continuer ; mais comme il lui étoit de la derniere importance de mettre au moins les apparences de fon côté, il crut qu'il ne le pouvoit faire plus efficacement qu'en donnant des marques fi publiques de fon eftime pour l'Abbé de la Trappe, qu'on ne pût douter de fon inclination pour la réforme : Ce fut ce qui le porta pendant la continuation de ce Chapitre à le faire nommer par le définitoire Vicaire general, & Vifiteur des Monasteres de Normandie, du Maine, de la Bretagne & des Provinces voifines. Cette nomination faite il lui envoya fon inftitution en bonne forme, & l'accompagna d'une lettre tres-civile & tresengageante.

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En tout autre tems l'humilité de l'Abbé de la Trappe, fon amour pour la folitude, & fon attachement à la conduite de fes Freres, auroit fuffi pour lui faire refufer l'honneur que l'Abbé de Cifteaux lui vouloit faire. Il étoit donc bien

éloigné de recevoir une Inftitution d'un Chapitre général que tous les Abbez de l'étroite obfervance, & les quatre premiers Peres de l'Ordre ne reconnoiffoient pas pour legitime; ainfi il ne se contenta pas de la refuser; il écrivit une lettre à l'Abbé de Cifteaux, qui ne pouvoit être ni plus refpectueufe ni plus remplie de cette fermeté Apoftolique, qui ne manquoit jamais à l'Abbé de la Trappe, lorfqu'il s'agiffoit de la verité & de la juftice.

Aprés lui avoir parlé avec beaucoup de force de ce qu'il avoit fait au dernier Chapitre général contre le Bref d'Alexandre VII. pour détruire l'étroite obfervance, & lui avoir reprefenté vivement l'interêt que tout l'Ordre avoit à fa confervation, il ajoute avec un ménagement qu'on ne peut affez louer dans un inferieur à l'égard de fon fuperieur. Cependant, mon Reverendiffime Pere, » comme vos intentions font faintes, que » vôtre confcience eft tendre, & que » vous voulez le bien, vous aurez quel" que jour un regret mortel d'en avoir » détruit un prefent & certain, de la » confervation duquel Dieu vous deman» dera compte, & d'avoir paffé vôtre vie inutilement & defagreablement

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