Imágenes de páginas
PDF
EPUB

D'Orneville protegeoit la premiere, Madame de Frafay aimoit la feconde; l'Abbé fut du fentiment de les conferver toutes les deux.

On vint avertir dans ce moment que le foupé étoit fervi. La Confeillere conduisit fa Compagnie dans une fale à manger, il fut fervi avec toute la délicateffe poffible; les Dames eurent foin de leurs Cavaliers, l'Abbé leur dit de jolies chofes, & l'on mangea de très-bon appétit.

Lorsque l'on fut au deffert, l'on chanta. Madame Dupuis s'en acquitta parfaitement: fa cadence étoit d'une beauté fans égale, elle auroit été charmante, fans fes malheureux fourcils qui en recevoient toutes les impreffions. Chacun dit la fienne: le tour de l'Ab, bé vint, on l'en difpenfa, il n'avoit jamais pû mettre un air fur des paroles. Il fut condamné à leur dire une hiftoire intereffante;

&

pour le mortifier, on lui défendit d'y intereffer l'amour. Cela eft bien difficile, reprit-il, mais que ne fait-on point pour les Dames? Il rêva un moment, & commença

ainfi.

CHAPITRE DERNIER.

Qu'il ne faut jamais fe défier de fon fort. Hiftoire à ce sujet.

U

N Bourgeois de la rue S. Sauveur

nommé Valzan, fe vit ruiné dans un jour de fond en comble. Il avoit une partie de fon bien fur des Vaiffeaux, ils perirent; une charge qui lui coûtoit cinquante mille francs, fut fupprimée, & le refte de fon bien lui fut emporté par une banqueroute. Le defespoir que lui caufa tous ces malheurs penfa lui être fatal. Il ne lui reftoit plus qu'une très-petite maifon qu'il avoit à la campagne, & qu'il méprifoit pendant le tems de fa profperité; elle venoit de fes peres, & il ne fe fouvenoit pas qu'elle eût été jamais habitée. Il refolut d'en faire fon afile, & d'y aller paffer le refte de fes malheureux jours. Il ne l'avoit jamais vuë: il fallut en jetter les ferrures à bas, les clefs en ayant été perdues depuis long-tems. Il la

trouva remplie de meubles anciens, mais commodes. Elle avoit un petit jardin, qu'on doit imaginer fort en defordre, puifqu'il y avoit plus de quarante ans qu'on n'y avoit touché; les murailles qui l'environnoient étoient prefqu'auffi haute que la maison.

On y entroit par un corridor voûté, qui conduifoit à une falette à manger, dont les vûës donnoient fur le jardin. Dans le fond étoient deux portes, l'une à droite, l'autre à gauche: la premiere conduifoit dans une chambre, à côté de laquelle étoit un cabinet autrefois vitré; la feconde porte à gauche de la falette conduifoit à une petite cuifine, dans laquelle étoit un garde-manger & d'autres commodités.

- Telle que je viens de la dépeindre, elle lui plut; il crut devoir rendre graces à Dieu de la lui avoir confervé. Il en avoit une à la Ville qui lui étoit encore reftée; il prit le deffein de la louer pour s'en faire un revenu qui pût le faire subsister, & payer la penfion d'une Fille de quatorze ans qu'il avoit dans un Convent. Elle avoit dû être mariée à un

Procureur au Parlement; mais celui-ci ayant appris la déroute de fes affaires, avoit retiré fa parole. Cette baffeffe de fentiment lui avoit fait fentir doublement fon malheur; c'étoit le feul endroit qui auroit pû l'en confoler, par la tendreffe extrême qu'il avoit pour elle.

Le peu de moyens qui lui reftoit ne lui permit pas de prendre quelqu'un pour l'aider à mettre en ordre cette maison; il y mit la main lui-même, & il commença par la chambre: il détendit les meubles, les nétoya & les remit à leur place. Il eut befoin d'un jour entier pour faire cette opération.

Le lendemain fut pour le cabinet. Il y trouva une bibliotheque, cela le confola ;' il aimoit beaucoup la lecture. Il déplaça les livres pour en ôter la pouffiere. Il fut obligé de monter fur une chaife pour atteindre un' volume In-folio, qui étoit feul de fon rang ? il fit de vains efforts pour l'en arracher; if fembloit qu'il tînt de tous les côtés. Ne fe trouvant pas affez de force pour venir à bout de fon deffein, il fut prendre une échelles

il

& lorfqu'il fut à fa portée, il jetta les yeux fur le titre. Il l'intereffa, il y lut: Le fecours imprévu par Valzan. Sa curiofité augmenta à cette lecture; il prit le livre à deux mains, il le tourna de tous les fens pour l'ôter de fa place: fes efforts ébranlerent le lambris, il s'apperçut que le volume y étoit attaché par derriere. Las de fes peines inutiles, il les ceffa. Mais quelle fut fa furprise & fa frayeur? A peine eut-il retiré les mains dont il tenoit le volume, qu'une partie de la bibliotheque difparut, & laissa à la place du lambris qui couvroit la muraille, une porte par laquelle on auroit pû paffer en fe courbant.

Il refta immobile à cet évenement; il ofoit à peine lever les yeux, & croyoit que le reste de la maison devoit s'éfondre à tout moment. Il reprit cependant fes fens; il defcendit & examina les chofes : il trouva que cette portion de bibliotheque s'étoit enfoncée dans un logement pratiqué dans la terre à cet effet. Il n'eut pas de peine à connoître qu'elle fervoit à cacher cette porte misterieuse; il remarqua même en la

« AnteriorContinuar »