Imágenes de páginas
PDF
EPUB

aimer;

étoient répandues dans toute fa perfonne, & qui affaifonnoient fes actions, la faifoient trouver infiniment aimable. Elle avoit une riche éducation, fes talens brilloient de toutes parts, elle chantoit avec beaucoup de goût; & la tendreffe qui refidoit dans le fond de fon cœur, animoit jufqu'au moindre de fes accens. Elle étoit faite pour lorfque cette paffion n'agiffoit pas en elle, elle étoit une perfonne toute differente. La figure du Chevalier la prévint au premier coup d'œil, & fit évanouir un refte de fentiment qu'elle avoit pour un Colonel de Cavalerie, qu'elle aimoit depuis trois ans : il venoit de partir pour la Campagne du Rhin, & il connut par experience que les abfens avoient toujours le tort chez elle.

Elle n'eft pas la feule femme à Paris de ce caractere ; j'en connois une des plus jolies, qui me vient à propos pour le prouver. Elle eft aimée d'un Seigneur connu dans le monde; elle paroiffoit lui être fort attachée, ou elle a fait du moins tout ce qu'elle a pû pour le perfuader. La veille de fon départ, elle

n'a

les a

pas voulu qu'il fortît de chez elle; elle s'eft fait donner ce jour entier pour dieux: on en a profité pour entrer dans le détail de toutes les affaires, pour éloigner les créatures à qui l'on pouvoit faire quelque prefent pour connoître les fonds & pour les divertir: on étoit prefente lorfque l'on faifoit les malles, fous prétexte de prévoir à tout: Soins (difoit-on) qu'une feule Maîtreffe eft capable de prendre. On les rempliffoit de bagatelles, & l'on oublioit les chofes de conféquence; on craignoit qu'elles ne devinffent la proïe des Huffards. La nuit du départ les évanoüiffemens frequens fe font fuccedés les uns aux autres; on vouloit perfuader les regrets & le defespoir. On croit aifément ce qu'on fouhaite : l'Amant étoit pénetré, & il eft parti avec l'opinion qu'il eft le plus aimé des hommes.

A peine a-t-il été hors des portes de Faris

que

l'ennui où l'on s'eft trouvé de fon abfence, a fait fonger à le diminuer. On a en voyé chercher le Chevalier de ... Il avoit été éloigné, n'ayant pas les épaules affez

fortes

fortes pour foutenir la Maison. Ils font allés à la campagne, où, felon toutes les apparences, ils n'y vont pas pour pleurer le départ de l'Amant trop crédule.

Cependant, quoique Madame de Frafay fût legere, elle aimoit de bonne foi & ne changeoit pas fraifément; elle l'avoit prou vé en plufieurs occafions. Elle cachoit à peine le plaifir qu'elle reffentoit d'avoir près d'elle le Chevalier; pendant le tems que dura la reprise, elle en donna plufieurs marques. Une Dame qui étoit de la partie, & qui avoit au moins fa quarantaine, avoit fouvent les yeux fur lui, & partageoit affez les complaifances de la Confeillere. Celle-ci étoit la Femme d'un Intendant des Finances: elle étoit fraîche, & avoit un embonpoint à faire plaifir. Sa perfonne refpiroit la joïe : elle avoit les plus jolies mains du monde, & elle ne faifoit aucuns mouvemens, qu'ils ne fuffent remplis de graces. Quoique la foule de fes adorateurs fût un peu diminuée, il lui en reftoit affez pour foutenir fon petit amour propre. Il n'y avoit qu'une

Part. I.

C

chofe en elle, qui rebutoit les gens

délicats:

Elle avoit les fourcils d'une épaiffeur monftrueufe: elle avoit foin de les tenir trèslices, cela les faifoit paffer; mais le Chevalier en avoit été rebuté dès le premier ins

tant.

Dès que le Quadrille fut fini, chacun prit fon parti & fe retira. La Confeillere voulut engager d'Orneville à rester à fouper : on ne parloit point du Chevalier, cela s'entendoit. Il s'en défit poliment, & d'un coup d'œil il fentit que le Jeune-homme n'en auroit pas été fâché. La parole fut donnée pour ke lendemain, & on fe fépara dans une grande impatience de se revoir.

Il n'y avoit qu'un pas pour aller à l'endroit où d'Orneville vouloit mener fouper le Chevalier. Ils y furent à pied, & traverferent le jardin du Palais Royal. Il faifoit encore un peu de jour, & d'Elby s'arrêtoit à chaque inftant pour en examiner les beautés. Nous y viendrons une autre fois, lui dit d'Orneville, & nous prendrons une aprèsdîné pour vifiter l'interieur du Palais: Vous

y verrez des appartemens fuperbes, & des tableaux qui font connoître le goût exquis du Prince qui les y a rassemblés. Celui qui en eft poffeffeur aujourd'hui,eft digne d'être admiré de toute la terre; fa piété eft folide, & fa genérofité d'un exemple fans pareil : à l'âge où l'on prend ordinairement des plaifirs, il n'eft occupé que du foin d'en faire connoître l'abus; fa vie eft un Soleil dont la chaleur réchauffe tous les malheureux. En paffant à main gauche, le Chevalier s'arrêta pour voir un nombre de petits canons. Ils font faits, continua d'Orneville, pour amufer M. le Duc de Chartres; ce font les recréations de ce jeune Prince: on ne l'occupe qu'au grand, & nous efperons que ce fera un digne fucceffeur de fon illuftre Pere; il eft entre les mains d'un Gouverneur, qui eft lui-même pétri de tout ce qui peut compofer le parfait Heros. Ils fe trouverent, en achevant ces mots, vis-à-vis la Compagnie des Indes. Entrons ici, lui dit d'Orneville; je fuis bien aife de vous prévenir, avant que de vous mener dans l'endroit où nous allons

« AnteriorContinuar »