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LETTRE

De Madame de C... à Mr. de M...

E viens de perdre, Monfieur, dix mille francs au Lanfquenet : je les dors; il faut quelque chofe qui m'en coûte, que je les trouve. J'ai pour dix mille écus de pierreries: je n'ofe les mettre en gage, crainte qu'on ne me les vole, ou que mon Mari ne le fçache; il ne me le pardonneroit jamais. Vous comprenez affez ce que cela veut dire. Je compte fur vous ; je vous apporterai moi-même mes pierreries dans deux heures. Vous n'obligerez pas une ingrate. DE C...

Cette lettre m'embarraffa beaucoup, & encore plus le parti que je devois prendre. Le rifque qu'on court à prêter de l'argent à des Gens de qualité, ne me convioit pas beaucoup à le faire. Le nantiffement dont on me parloit, étoit bien fûr; mais je n'étois pas d'humeur de m'en prévaloir, ni de prêter fur gage. Le tems qu'elle avoit fixé, se passa dans ces irrefolutions, & je n'étois pas en

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core décidé, lorfque j'entendis le carroffe de Madame de C... qui arrivoit. Je n'eus que le tems de me lever. Elle entra dans mon cabinet, comme j'allois en fortir pour la recevoir. Elle eft fi belle, que tous mes fcrupules s'évanouirent; je lui promis tout ce qu'elle voulut, & je lui donnai ma parole de lui porter fon argent à deux heures. Elle y fut d'autant plus fenfible, que je refusai conftamment les pierreries qu'elle m'avoit apportées.

Ce fut cependant la caufe de la nouvelle perte qu'elle fit. Elle fut au fortir de chez moi dîner chez le Prince de... Il y avoit un grand monde. Après le repas, on propofa une Baffete elle refufa d'en être, n'ayant point d'argent. Le Prince qui ne fçavoit pas la perte qu'elle avoit faite la veille, & qui connoif. foit fon exactitude à rendre, lui apporta cent Loüis. Elle ne les refufa point, & comme tous les joueurs,se figura que cet argent lui porteroit bonheur, & lui feroit peut-être regagner ce qu'elle avoit perdu. Elle fe mit au jeu, & commença par gagner 200 Louis.

Elle fe fouvint alors que je devois lui appor ter de l'argent; elle remit fes interêts à M.

de P.... qui eft heureux, & elle revint m'attendre à fon Hôtel, où j'arrivai bientôt. Elle me ramena de-là chez moi, & s'en retourna chez le Prince. Son argent y étoit augmenté. La partie s'échauffa par le grand monde qui arriva fur le foir : fon bonheur ne dura pas long-tems; elle reperdit nonfeulement ce qu'elle avoit gagné, les cent Loüis du Prince, les dix mille francs que je lui avois prêtés, mais encore dix mille fur La parole. Outrée de fa perte, elle fit apporter fes pierreries, & les donna pour vingtcinq mille francs à un Fermier General qui s'offrit de les acheter. La fomme lui fut comptée; elle paya ce qu'elle devoit, & rejoüa le refte fur nouveaux frais. Elle eut quelques intervales heureux; mais enfin, au point du jour elle fe trouva redevoir dix mille francs, & fes pierreries perduës.

Le defefpoir où ce malheur la jetta, lui fit prendre une refolution contre fa vertu ; que vingtans de foins de la part d'un homme

qu'elle aimoit, n'avoit jamais pû ébranler. Elle envoya chercher M. de.... dès qu'elle fut rentrée chez elle. Il arriva fur le champ. Marquis, lui dit-elle, j'ai besoin de vingtmille frans; je les ai perdus fur ma parole: je connois votre amour; vous m'entendez, cela fuffit. Ah! Madame ( reprit cet Amant fidele, en fe jettant à fes genoux) que je vous fuis obligé de me fournir une occafion de pouvoir vous marquer la vivacité de mes fentimens ! le jour ne fe paffera pas. fans que vous ayez votre argent. En achevant ces mots, il voulut partir. Arrêtez, j'ai encore un mot à vous dire,reprit la Dame: J'ai perdu mes pierreries; M. de.... me les a achetés; cela eft trop public, pour que mon Mari l'ignore : il eft violent; je veux,pour quelque tems, me mettre à l'abri de fa colere. J'ai des deffeins en tête, il faut que vous les ferviez: Tenez-moi une chaife de pofte prête à l'entrée de la nuit; je vous dirai le reste à votre retour.Ileft inutile que vous combattiez mes refolutions, (reconnoiffant l'impreffion que ce dernier discours lui faifoit,)mon parti

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eft pris. En achevant ces mots elle fe retira dans foncabinet, & le Marquisfortit, agité de mille inquiétudes differentes. Il fe tourmenta pendant plus de trois heures, pour trou ver les moyens de fatisfaire à la parole qu'il avoit donnée: fes affaires étoient dérangées; il avoit peu de credit.Il fe fouvint dans cette extrêmité de l'amitié que je lui avois témoigné: il vint chez moi prendre mes confeils, & pour me porter à le tirer de cet embarras; il étoit refolu, fi cela lui manquoit, de recourir à la violence, & d'obliger le Fermier General à lui rendre les pierreries de Madame de... Je fus furpris de le voir entrer. Il avoit les yeux égarés, il étoit pâle & reffembloit à un mort. J'en fus touché; je l'avois toujours beaucoup aimé, & j'avois été ferviteur de feu Monfieur fon Pere. Je le preffai de m'apprendre la caufe de la fituation où je le voyois. Quoiqu'il fût venu dans l'intention de m'en parler, j'eus mille peines à la lui arracher : il m'apprit enfin ce que je viens de vous dire. J'en fus étonné, & je lui appris à mon tour ce que j'avois déja fait

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