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bientôt ouverte : on leur fit du feu, on ap porta du vin; & le Jeune-homme fe trouvant remis, leur parla en ces termes :

Je crois, Meffieurs, leur dit-il, que mon langage vous fait affez connoître ma patrie : Je fuis de Bordeaux, & le cadet de onze enfans tous vivans. Me voyant inutile & de trop à la maison, j'ai pris,il y a quinze jours, le parti de venir à Paris chercher fortune, comme beaucoup d'autres. Mon pere, qui eft Officier & qui n'eft pas riche, a fait cependant dans cette occafion tous fes efforts pour me donner de quoi y pouvoir paroître agréablement, jufqu'à ce que j'aye trouvé une place chez quelques grands Seigneurs, pour lefquels il m'avoit remis des lettres de recommandation, qui m'ont été volées avec un habit doublé de foye, fix chemifes & vingt pistoles; ma place étoit payée au Carroffe, & je ne me trouverois point à plaindre, fans l'accident qui m'eft arrivé.

Dans le nombre de ceux qui rempliffoient la Voiture, étoit un Abbé, dont j'ai reçu tant de politeffes pendant le cours du voya

ge, que j'y ai répondu avec fincerité. Les offres de fervices qu'il me faifoit, m'ont féduit: Jelui ai rendu compte de ce que j'étois & de ce que j'avois, & je lui ai fait part de mes vûës pour mon avancement. Il a pris cette occafion pour me promettre de me placer en arrivant, fe difant très-bien venu dans beaucoup de Maifons. J'avois tant de joye de fa rencontre, que je me fuis efforcé à chaque inftant de la lui marquer. Il met contoit toutes fes affaires avec une feinte ouverture de cœur : j'en ai fait de même & il en a profité pour me jouer le tour le plus lâche & le plus indigne d'un honnêter homme.

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Dès que nous avons été arrivés à la pre-> miere barriere, où le Carroffe arrête ordi→ nairement pour être vifité: Chevalier d'Elby, m'a-t-il dit, (c'eft ainfi que je me nomme,) attendez-moi dans cette voiture, je veux profiter du tems qu'on refte ici,pour remettre ces lettres à des perfonnes de ce quartier, je ne ferai qu'un moment à revemir; je ramenerai un carroffe, & nous irons

defcendre & fouper chez une de mes Tantes; vous vous repoferez jufqu'à ce que nous voyons le parti que nous prendrons pour vous. En achevant ces mots il m'a quitté.

Deux heures s'étoient déja écoulées depuis ce tems, & je croyois ne plus le revoir, lorsqu'il eft descendu d'un Fiacre, en me demandant pardon de m'avoir tant fait attendre; & en m'en donnant des raifons inutiles à déduire, allons, a-t-il continué, faites mettre vos males fur ce carroffe. Dèsqu'elles y ont été, nous fommes montés ; il a donné ordre au Cocher de nous mener dans une rue dont j'ai oublié le nom, en lui difant qu'il l'avertiroit quand il faudroit defcendre. Après une demi-heure de chemin il a fait arrêter : C'est ici, m'a-t-il dit, ma demeure; vous y verrez une Cou→ fine qui fera bien-aife de me revoir, elle eft jolie; foyez fage au moins, car elle eft réfervée, la moindre liberté la chagrineroit.Je l'ai affuré de ma retenuë. Il a fait monter enfuite ce qui m'appartenoit, j'ai payé le

carroffe, & il m'a conduit au fecond dans

un appartement affez

propre.

Une grande femme âgée, mife fimplement, & d'une phifionomie affez naturelle, nous eft venu ouvrir. Ah! c'est vous, mon Neveu, s'eft-elle écriée en fe jettant au cou de l'Abbé, que je fuis aise de vous revoir! Vous êtes un méchant, de ne nous avoir pas appris le jour de votre arrivée; nous aurions été, ma Fille & moi, au devant de vous. Mondieu, qu'elle fera charmée de votre retour! elle eft chez la Marquise de Millecour, elle viendra dans un moment. Le traître lui a rendu embraffade pour embraffade ; & me prenant par la main, il m'a préfenté. J'ai crû, ma chere Tante, lui at-il dit, vous faire plaifir en vous amenant M. le Chevalier d'Elby; c'eft un Gentil- · homme d'un rare mérite, & à qui il faut tâcher de rendre ferviee. C'eft affez, a répondu la Vieille, que vous vous y intereffiez, mon Neveu, pour qu'il foit le bien venu. Elle achevoit à peine ces paroles, qu'une Demoiselle très-aimable cft entrée;

elle avoit l'air modefte, & je n'ai pû m'empêcher de la regarder avec plaisir. Vous riez, Meffieurs, s'écria le Chevalier d'Elby en s'interrompant; fi vous la voyiez, vous la trouveriez ainfi. Les Moufquetaires répondirent qu'ils n'en doutoient pas ; & il con

tinua en ces termes :

Dès que la grande Femme feche a vû entrer fa prétendue Fille, elle lui a dit : Hé-bien, Fanchon, vous ne vous attendiez. pas à trouver fi bonne compagnie? Non, ma chere Mere, a-t-elle repris avec des graces & un fon de voix dont j'ai été ému, je fuis agréablement furprise du retour de mon cher Coufin. En lui difant ces mots, elle lui a présenté la joüë. Eft-ce là, a-t-elle continué (en me montrant,) le Frere dont vous m'avez parlé? Non, a interrompu la Vieille c'est un brave & jeune Gentilhomme des amis de mon Neveu, & il m'a fait honneur de me l'amener. Pendant qu'elle difoit ces choses, la grande Demoifelle m'examinoit depuis les pieds jufqu'à la tête. Je ne fçavois quelle contenance tenir ››

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