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malheur de la nature de celui qui m'arriva? J'avois toujours été aimé tendrement de ma femme; fa fageffe n'avoit jamais été foupçonnée; quand par un caprice affreux, elle prit du goût pour un Officier qui venoit quelquefois à la maifon. Que la confiance des maris eft pernicieuse! La facilité que j'eus de fouffrir ces vifites me fut fatale: ma femme s'accoutuma fi bien à cet homme, & fon amour augmenta au point, que lorfque je m'en apperçus & que je voulus y mettre ordre, il n'étoit plus tems. Je vis avec douleur cette perfidie dans une femme que j'adorois, & dont j'avois eu des enfans. Je devins jaloux, & fa conduite me donna tant de foupçons que je ne pus m'empêcher de les croire & de les vérifier. Helas! que dirai-je de plus ? je la furpris me trompant cruellement. Eft-on maître dans ces funeftes occafions de fes premiers mouvemens? Je facrifiai ces coupables Amans à ma jufte colere; ils perdirent la vie, & conferver la mienne il fallut me fau

pour ver. J'emportai tout l'argent qui fe

trouva chez-moi dans ce moment infortuné, & j'abandonnai le reste de mon bien. Je me refugiai aux Ifles où je fis des Habitations. Je m'y gouvernai fi heureufement, qu'en dix ans je devins le plus riche du païs. Le défir de revoir ma Patrie me fit abandonner des lieux qui m'avoient été fi favorables: je partis. La guerre malheureufement étoit entre la Hollande & la France. Le Vaiffeau que je montois arboroit le Pavillon des Hautes Puiflances. Un Armateur François nous rencontra,& nous prit. Je paf fai fur fen bord. La précaution que j'avois eu de convertir mon bien en Lettres de change, me fut profitable. Elles étoient coufuës entre la doublure de mon habit, que j'avois fait faire exprès fi médiocre, qu'avec l'air niais & fimple que j'affectois l'on me crut un imbécille peu dangereux, & une bouche inutile. Cette confideration me fit relâcher au premier Port, & j'eus la permiffion de me retirer où bon me fembleroit. Je pris le parti de. venir Paris, où par la facilité des correfpondances

J'achetai cette maifon dans laquelle je bâtis moi-même les Soûterrains qui y font, pour y mettre en fûreté mes richesses. Rien ne rend fi prévoyant, que lorfque les malheurs nous ont accablés plufieurs fois. Après avoirprévû ainfi tout ce qui pouvoit arriver, j'achetai une maison à la Ville,& je fis le commerce de Jouaillier, plus pour joüir tranquillement de mon bien, que dans la vûë d'amaffer richeffes fur richeffes. Tout me réuffit à fouhait, & j'eus même graces à rendre au Ciel qui me rendit un Fils que je croyois perdu depuis longtems. Je l'établis avantageufement; & je lui fist part mes biens fans lui faire celle de mes fe

de

crets, dans la crainte que le trop d'abondance ne le perdît & ne le fist tomber dans les infortunes que j'avois effuyé.

Cependant le Roi ayant déclaré qu'il ne vouloit dans fon Royaume qu'une Religion, des Ordres féveres furent donnés pour obliger ceux qui n'étoient pas de la fienne de l'embraffer, ou de fortir de fes Etats. Comme je n'avois point caché ma

croyance, & qu'il falloit prendre un parti je disparus un jour, fans faire part de mon deffein à perfonne. Me fentant près de ma fin, je pris cette habitation pour mon azile, j'y vécus cinq ans dans une quiétude parfaite ; mais le hazard m'ayant fait reconnoître un jour, & craignant de m'y voir arrêter, je pris le parti de fi bien me cacher, que jamais perfonne ne pourroit me découvrir.

C'est donc dans ce Caveau que j'ai choisis ma derniere demeure, & d'où je trace cette ébauche de ma vie. Je fis provifion des chofes qui fe pouvoient garder pour beaucoup plus d'années que je n'en avois à vivre. Là recueilli en moi-même, & fans compagnie que mes livres, je paffe une vie filée par tranquilité.

la

Je me fuis toujours perfuadé que cette petite maifon que je laiffe à mon Fils, doit être regardée pour fi de chofe, que

peu

quoiqu'il arrive il ne la vendra jamais. En cas qu'il foit auffi malheureux que je l'ai été, il eft à préfumer qu'il fe refugiera dans cet azile, & qu'il aura l'efprit affez éclairé

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pour découvrir les tréfors que j'y ai enterrés, indiqués par tant d'endroits. Si cela arrive à un de mes Enfans, Dieu foit loüé. Si mon tréfor tombe entre les mains d'un autre, j'exige devant Dieu, de lui trois chofes.

La premiere, de s'informer s'il ne me refte point d'héritier. En cas qu'il s'en trouve un qui foit malheureux, je fomme qu'il lui foit fait part de mon bien.

La feconde, que cette hiftoire lui foit re

mife.

La troifiéme enfin, de lui fervir de Pere, s'il fe trouve en âge d'en avoir besoin, ou d'Ami s'il eft dans le cas du confeil; ajoûtant que fi cet héritier eft malhonnête homme, ou s'il vit dans un défordre incorrigi ble, de l'abandonner à fon mauvais fort.

L'hiftoire de Valzan finiffoit en cet endroit. Au bas du manufcrit ces mots étoient ajoûtés.

Depuis cinq autres années que j'ai écrit cette histoire, l'ai joùi d'une fanté parfaite & d'un

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