CHAPITRE V

Rencontre d'un Charlatan. D'Orneville mene le Chevalier à la Place - Royals & à la Baftille. Defcription de ce lien le Marquis de Fieux.

par

D

'Orneville fe préparoit à faire quel ques obfervations au Chevalier, lorfque le Cocher voulant entrer dans lą Place Royale, en fut empêché par une foule de peuple extraordinaire qui barroit la rue, & qui faifoit des acclamations furprenante. Nos Cavaliers mirent la tête à la portiere, pour apprendre d'où procé doit le brou-ha-ha: ils ne purent s'empê cher de rire de la fottife du peuple. Son admiration étoit dûe aux boufonneries du Singe d'un Charlatan, faisant l'éxercice & autres tours femblables ; & qui, inftruit à s'approcher de l'oreille de fon Maître, fembloit lui parler. Le Charlatan

alors feignoit que fon Singe lui avoit rap? porté quelque chofe qui regardoit quel qu'une des perfonnes préfentes ; & c'étoit ce rapport affaifonné de plaifanteries, qui émerveilloit fi fort la populace, parmi laquelle fe trouvoit des fots affez fimples pour s'imaginer que cet animal parloit; maintes vieilles mêmes étoient de ce fentiment, & ne manquoient pas felon leur louable coûtume, d'attribuer ces chofes à la Magie. Mais le Médecin de campagne s'en embarraffoit peu, & continuoit fes bazis, jufqu'à ce qu'il eût grande Compagnie; enfuite il venoit à fes intérêts, vantoit l'excellence de fes remedes, qui avoient toujours rendu la vie à nombre de grands Seigneurs, & qui ne pouvoient affez fe payer, à ce qu'il difoit : fa charité seule les mettoit à un prix raisonnable afin que chacun en pût tirer le fruit. Quelqu'énergique que fût ce difcours, il lui arrivoit fouvent que dès qu'il entâmoit cet entretien la pluspart l'abandonnoient; mais fon Singe alors reparoiffant, avec

quelque gambade, faifoit revenir tout fon monde.

Voilà, s'écria d'Orneville, comme font les Parifiens, la moindre chofe les amufe & les détourne de leurs propres affaires; ceux qui les connoiffent à fond, comme ces fortes de gens, en tirent toujours parti, Le Cocher trouva cependant le fecret d'2vancer : & dès que leCaroffe fut entré dans la Place-Royale,nos Cavaliers mirent pieds à terre. Le Chevalier fut frapé de ce coup d'œil majestueux, & convint que rien ne donnoit une fi belle idée de la magnificence d'une Ville qu'un pareil monument. Le Mentor fit paffer d'Elby fous les Arcades. Cette Statue Equeftre, lui dit-il, eft celle de Louis XIII. furnommé le Jufte dont le Regne a été illuftré par de grands événemens, & par le miniftere du Cardinal de Richelieu, dont on admirera la grande politique jusqu'à la derniere posté

rité.

Les maifons qui entouroient autrefois cette Place, appartenoient à tout ce qu'il y

avoit de plus qualifié. Le tems, qui cha que fiecle, occafionne des changemens nouveaux, a caufé quelqu'altération dans cette uniformité.

La Place Royale a été bâtie en 1604. aux dépens d'un nombre de riches Particuliers. Les maifons qui la compofoient dans ce tems,étoient inégales & mal conftruites; elle n'a pris la forme que vous lui voyez, que vingt- fix ans après : elle fervoit auparavant de Jardin aux Palais des Tournelles où ont réfidés plufieurs de nos

Rois.

Trente fix maifons compofent cette Place. La maffonnerie en eft de brique, & les cordons de pierres de taille.

Les Critiques, (il y en a de tous genres) condamnent cette grille, comme inutile comme hors d'œuvre, par la raifon qu'elle arrête la vûe. Je n'oferois décider fur une pareille matiere, repliqua d'Elby, mais il me femble que cela donne un air bien noble à cetté Place; quoi qu'il en foit, la quantité de fer qui la compo

fe, doit avoir couté de l'argent, & cela a dû faire l'article bien effentiel. Pas tant que vous vous l'imaginez, pourfuivit d'Orneville, chaque pavillon n'y a contribué que de mille francs. Il me femble, interrompit le Chevalier en fou riant, qu'on eft fort dans le goût encore aujourd'hui de fe cottifer ainfi. L'on dit qu'on doit donner dans pcu un fouper & un Bal fuperbe, dont la dépenfe pour chaque particulier ira à très-peu de chose.

Pendant ce difcours, d'Orneville conduifit d'Elby vers la Statut, pour lui en faire remarquer la beauté. Vraiment, s'écria le Jeune Homnie, après avoir lû l'Infcription qui fait face à la rue faint Antoine, ceci prouve bien la grandeur du Cardinal dont vous m'avez parlé, fa vanité n'y cft pas oubliée; en transmettant ce Monument à la postérité, il s'y donne une place affez glorieufe: faites-vous une remarque à la datte, s'écria d'Orneville?cette Statue n'a été pofée que neuf ans aprés la conftruction de la Place, ce qui prouve