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CHAPITRE IV.

De la Rhétoriqne & de l'Eloquence.

L

E but de la Grammaire eft de nous enfeigner à parler correctement; celui de la Rhétorique eft de nous apprendre à orner un ftile, qui auparavant n'étoit que correct. A confidérer les chofes avec précision, il y a de la différence entre l'éloquence & la Rhétorique: celle-ci établit des regles; l'autre les met en pratique. On peut être bon Rhéteur, & Orateur tres-médiocre. Quintilien donne peut-être d'auffi bonnes regles que Ciceron; du moins fa méthode eft meilleure & mieux fuivie. Pour Ciceron, il eft tellement Orateur, qu'il ne fçauroit l'oublier. Pendant qu'il ne doit être que Rhéteur, il étend & orne fes phrases, & nous donne

donne des exemples au lieu de regles. Cependant qui voudroit égaler les déclamations de Quintilien, fuppofé qu'elles foient de lui, aux Oraifons de Ciceron, ne donneroit pas, ce me femble, une grande opinion de fon jugement.

Chez les anciens Romains, il y a eu des Orateurs & quelque éloquence nous en avons des preuves dans leur hiftoire prefque du temps des Tarquins; mais c'étoit une éloquence natu relle, & fans art. La Rhétorique n'étoit point encore connuë parmi eux; ils en ignorerent même le nom pendant quelques fiecles. lls n'avoient point de mot, pour l'exprimer; & ils furent obligés dans la fuite d'en emprunter un des Grecs. Les mauvais effets qu'elle produifit à Rome, nous font connoître les premiers temps * Quinct. lib. 2. cap. 4.

E

de fon regne. Elle avoit caufé des tumultes & des troubles dans la Grece, fur-tout à Athenes, où elle étoit le plus en vogue. La feule Ville de Lacédémone, d'où elle avoit été bannie, & où l'on fe fervoit d'un ftile fimple & ferré, étoit restée plus tranquille: auffi dès qu'elle eut été une fois introduite à Rome; dès que les Gracques, les Brutus, & plufieurs autres eurent commencé à haranguer le peuple, il n'y eut plus de calme dans cette Ville: ce ne que féditions continuelles, que guerres inteftines ; elle perdit enfin cette liberté, pour laquelle il fembloit qu'elle fût armée: & les difputes ne fe terminerent que par la ruine de la République.

fut

Avant que les chofes fufsent venuës à la derniére extrémité, l'Orateur Romain avoit bien prévu ce qui arriveroit. C'est pourquoi il commence fon livre

de la Rhétorique, par douter fi cet art a fait plus de bien dans le monde, qu'il n'y a causé de maux. Puifqu'un Orateur, en traitant de l'éloquence, a formé un pareil doute, nous ne devons pas héfiter à nous déterminer.

Pour ne point parler des fuites, qu'il ne faut pas imputer aux chofes, qui font en général bonnes ou mauvaises felon les perfonnes qui en font usage, nous confidererons l'art en lui-même. Si c'est un avantage pour un art d'avoir été traité par des perfonnes qui y fuffent habiles, celui-ci devroit plus approcher de la perfection, que la plupart des autres. Ciceron, qui eft un des plus grands Maîtres qu'il y ait jamais eu, a fait fur ce fujet d'affez amples ecrits. Il y en a deux entre autres: dans le premier il traite des diffé

de Invent. Rhet. lib. 1.

bde Oratore. Orator, five Brutus,

rens Genres, & établit les regles qu'il faut obferver pour parvenir à l'éloquence: dans le fecond il fait le portrait d'un parfait Orateur. Sans s'ériger en Juge d'un fi grand Maître, on peut dire que comme ceux qui forment le dialogue du premier traité, ont des fentimens bien différens 1 un de l'autre; ainfi dans le fecond l'Orateur femble ne pas s'accorder avec lui-même. Dans l'un il ne décide rien; dans l'autre il demande l'impoffible. Dans ce dialogue, qui a tant d'air de vérité, que quelques Sçavans l'ont pris pour une conférence réelle, les interlocuteurs font également profonds, & raifonnent avec une force égale. Comme Ciceron n'a point pris de rolle, le lecteur refte dans l'incertitude, & ne fçait quel parti prendre. Son Orateur eft un modelle trop parfait, inimi table, purement imaginaire, &

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