par conféquent inutile dans la fociété des hommes, pour laquelle l'éloquence est destinée. Lui-même il ne lui donne un être qu'en idée; & il avoue qu'il ne peut exifter que dans notre imagination. En effet, en quel autre endroit peut-on le trouver, fi toutes les qualités qu'il requiert font néceffaires à un Orateur? Il faut premierement qu'il ait les difpoitions du corps & de l'efprit; fans quoi les roues de la machine chargées & appefanties, ne pourront avancer que lentement. Il faut qu'il ait une invention aifée & féconde pour lui fournir des idées, une forte imagination pour les répréfenter, une heureufe mémoire pour les retenir, & un jugement délicat & exquis pour les mettre dans l'ordre où elles doivent être. Il faut qu'il fçache le Droit public, la Coutume de fon pais, l'Hiftoire ponr entirer des exemples, la Logique pour y infinuer la force du raifonnement, la Morale pour démêler les paffions & pénétrer dans les mœurs des hommes; qu'il foit touchant & pathétique. En un mot ayant à traiter de tout, il faut qu'il n' gnore rien : & ce qui tient plus du paradoxe, il faut auffi qu'il foit homme de probité; qualité qui accompagnoit fi rarement Péloquence des Païens, que Cicéron & Quintilien ne font pas embarraflés à la trouver dans les Orateurs Grecs & Romains. La connoiffance générale des chofes ne lui fuffit pas, s'il n'y donne les ornemens néceffaires. Il doit avoir tout l'art poffible, & en même temps fçavoir le cacher; car dès que l'art paroît, il manque fon coup; il ne peut plaire, encore moins perfuader; la nature feule produit cet effet. Un Orateur n'eft point accompli, peu s'il ne fe préfente agréablement: il ne fuffit pas qu'il foit éloquent dans fes paroles; il faut qu'il le foit dans fes regards, qu'il ait des geftes décens, & un air perfuafif, enfin la prononciation que Démofthene exigeoit, comme la premiere, comme la feconde, & comme la troifieme condition néceffaires pour faire un Orateur parfait. C'eft de cette éloquence extérieure que fes harangues recevoient la grace qu'on y trouvoit; & nous ne devons pas être furpris de ce qu'elles nous plaifent moins en les lifant, qu elles ne plaifoient, lorsqu'il les nonçoit, puifqu'il y manque les trois qualités qu'elles avoient alors. pro Si un Orateur ne fçauroit être parfait fans toutes ces conditions, nous ne devons pas efperer d'en voir jamais un qui le foit. Ciceron qui les exige, eft le feul qui a ait pû les avoir. Il avoit le génie le plus heureux ; & fon génie étoit foutenu des plus grands fecours de l'art, que l'étude avoit joints à fes talens naturels. On pourroit donc le propofer pour l'unique modelle de l'éloquence: lui que Quintilien 2 oppofe à tous les Orateurs Grecs; lui à qui il donne la force de Démosthène, la douceur d'Ifocrate, l'abondance de Platon; lui qu'il appelle, non pas homme, mais l'éloquence même, jufqu'à dire qu'on peut juger du progrès qu'on fait dans les Lettres par le plaifir qu'on prend à lire fes ouvrages. Néanmoins Ciceron n'étoit pas goûté de tous fes contemporains. Outre qu'il trouva des critiques parmi fes ennemis ; un defquels fit un traité contreb lui fous un titre fort méprifant, il ne contenta pas non a lib. 1o. cap. r. Largius Licinius apud Gell. 1. 1. cap. 17. plus tous les amis. Brutus l'accusa d'être diffus dans fes écrits, & d'y manquer de force & d'énergie: Et Quintilien a venant à s'expliquer, nous dit qu'il appelle Ciceron un Orateur parfait, feulement dans l'idée, qu'on applique communément à cette expreffion: car à la rigueur, loin de ne defirer aucune perfection en lui, il nous informe des defauts qu'on lui reprochoit, b comme d'être enflé & ampoulé, de faire trop de répétitions, de n'être pas bien lié dans fa compofition, & d'avoir un ftile trop languiffant. Dans le dernier fiècle encore, lorfque les Sciences commencerent à fe rétablir, & qu'on étudia Ciceron presque jusqu'à négliger nos Bibles, nos Bibles, un de nos grands Critiques ne put jamais approuver la latinité de cet Ora a lib. 12. cap. 1. |