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rent pas cependant de continuer fes travaux. L'Aftrologie, dont il faifoit ufage, lui fut d'un grand fecours, fi on l'en croit. Je fentois, dit il lui-même, une vertu fecrète, qui me faifoit découvrir dans les Aftres les deftinées des peuples, les révolutions des Etats, le fort des Rois & des Princes, l'élévation & la chute des hommes de diftinction. Il écrivoit ces événemens en termes énigmatiques & en fentences, afin de n'exciter ni de la terreur aux crédules, ni de l'audace aux téméraires. Il n'ofa pas d'abord publier fes productions; mais comme il s'apperçut que plufieurs chofes qu'il avoit prévues s'étoient accomplies, il fe déterraina à publier fes quatrains prophétiques, pour ne pas donner à penfer que fon ouvrage avoit été compofé après l'exécution des merveilles qu'il avoit prédites.

Il commença par fept Centuries, qu'il donna au Public en 1555, in-16, & qu'il adreffa à Céfar Noftradamus fon fils , qui n'avoit encore que quelques mois. Il explique fort au long, dans l'Epître dédicatoire, la manière dont il a été porté à la connoiffance des chofes futures. Il attribue fa fciences à des infpirations fecrètes & divines, fans lefquelles on ne fauroit découvrir aucun

avenir. Les Grands reçurent fon ouvrage avec avidité. Henri II & Cathérine de Médicis fon Epouse, defirèrent d'en voir l'Auteur. Ilarriva à Paris le 15 Août 1556, & le Connêtable de Montmorenci s'empreffa de le préfenter à leurs Majeftés. Il en fut reçu avec tous les témoignages d'eftime & de bonté qu'il pouvoit fouhaiter. Ils lui firent des préfens considérables en argent & en bijoux; & ce fut par leur ordre qu'il fe rendit à Blois pour vifiter les Princes leurs enfans, & faire fur eux les observations qu'il jugeroit convenables. Après avoir fatisfait leurs Majeftés, il retourna en Provence comblé de leurs bienfaits, & de ceux des Princes & des grands Seigneurs de la Cour,

Les glorieux témoignages d'eftime que Noftradamus venoit de recevoir, l'engagèrent à publier le refte de fes productions, dont le Roi voulut bien recevoir la dédicace. Vers ce même tems il fit imprimer un Almanach pour se débarrafler de l'importunité des Laboureurs qui venoient continuellement le confulter. Quoi qu'il fût fuivi d'un grand fuccès, il lui attira néanmoins bien des critiques. Le Poëte Jodelle, qui étoit de ce nom bre, fit ce diftique.

Noftra Damus cùm falfa Damus, nam fallere noftrum eft;

& cùm falfa Damus, nil nifi-Noftra Damus.

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Noftradamus méprifa cette faillie de fes amis y fit cette réponse: & ne voulut pas y répondre; mais un

Vera Damus cum verba Damus quæ Noftra Damus das;

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Sed cùm Noftra Damus, nil nifi falfa Damus.

Le célèbre Ronfard prit auffi fa dé- fenfe; & la mort défaftreufe du Roi

Heuri M, que l'on crur voir prédire dans le 35me. quatrain de la première centurie, étant arrivée, ramena les efprits les plus obftinés. Les vilites recommencèrent, & Noftradamus eut l'honneur de recevoir chez lui Philibert Emanuel, Duc de Savoie, & la Duchefle Marguerite de France, qui, fe retirant dans leurs Etats après leur Mariage, se détournèrent de leur route pour le vifiter. Plufieurs Seigneurs lui firent le même honneur. Quelques événemens qu'il leur prédit, & qui arrivèrent conformément à fes prédictions, augmentèrent beaucoup la réputation dont il jouiffoit déja. En 1564, Charles IX faifant la vifite de fon Royaume, paffa par Salon, où il reçut les complimens des Confuls. Il leur demanda à voir Noftradamus, qui, fe trouvant à la fuite des Magiftrats, lui fut à l'instant présenté. En s'approchant du Roi, Noftradamus lui fit un compliment, que le Prince reçut avec bonté; il commençoit par ce vers :

Vir Magnus bello, nulli pietate fecundus.

Et finiffoit par les marques de fon refpect, & de fon dévouément. Le Roi lui tendit la main pour le faire avancer, & l'affura qu'il étoit très-perfuadé de fon zèle & de fon affection; il voulut l'avoir à fes côtés, jufques à ce qu'il fût arrivé dans les appartemens qu'on lui avoit préparé dans le Château: diftinction flatteufe qui combla de joie ce Prophète, & de confufion les Habitans de cette Ville ingrate, qui avoient voulu, quelque tems auparavant, le faire paffer pour hérétique. Leur mauvais traitement lui venant alors en pensée il s'écria: ô ingrata Patria, veluti Ab

dera Democrito. Charles IX voulut favoir le fujet de cette apoftrophe, faite à la Ville de Salon; & l'ayant appris, il déclara publiquement que les erne mis de Noftradamus feroient aufli les fiens. Non content de ces marques de protection, le Roi défira d'être inftruit de l'état de la famille de Noftradamus, & voulut connoître ceux qui la compofoient. On lui amena jufqu'à une de fes filles, qui n'avoit que quelques mois; & de ce, dit Céfar de Nottradamus dans fon Hiftoire de Provence, me fouviens fort bien, car je fus de la partie. La Reine Mère, qui avoit quelque connoiffance de l'Aftrologie, lui témoigna, en fon particulier, l'eftime qu'elle fai foit de fa fcience, & le parfait contentement qu'elle avoit de le revoir. Comme elle avoit une grande confiance en lui elle le pria d'examiner foigneufement le Duc d'Anjou fon fils & de lui apprendre quelle devoit être fa destinée. Noftradamus obéit; & affura la Reine que ce Prince. fuccéderoit à la Cou

ronne.

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Les Citoyens de Salon, témoins des marques de diftinction que recevoit Noftradamus, prirent pour lui des fentimens bien différens de ceux qu'ils avoient eu jufque-là. Ils le chargèrent du compliment qu'on devoit faire au Roi lorfqu'il quitteroit leur Ville. Il s'en acquitta avec le plus heureux fuccès. S. M. lui fit préfent à cette occafion de deux cens écus d'or, & d'un Brévet de fon Médecin ordinaire, avec les appointemens attachés à cette charge, La Reine Mère ajouta à cette libéralité cent écus d'or, & l'affurance d'avoir auprès d'elle toute la recommandation qu'il pouvoit desirer. Repaffant par Arles, le Roi y fit venir

Noftradamus, pour avoir le plaifir de s'entretenir encore une fois avec lui; & lorsqu'il quitta cette Ville, il le combla

de nouvelles faveurs.

Noftradamus n'en jouit pas long-tems: des atteintes fréquentes de goutte donnerent lieu à une hydropifie dont il mourut le 24 Juin 1566. Ses parens, qui l'avoient laiffé feul, parce qu'il les en avoit priés, etant rentrés dans fa chambre, le trouvèrent mort, affis fur un banc qui étoit à côté de fon lit, & dans une attitude qui faifoit voir qu'il avoit expiré fort doucement. On trouva dans fes ouvrages une centurie où l'on crut lire la prédiction de fa mort. Elle est conçue en ces termes :

fes VI. dies XVII. obiit Salone. CI. I. LXVI, Quietem pofteri ne invidete. Anna Pontia Gemella conjugi optimo. V. F.

Ici repofent les os de l'illuftre Mi chel Noftradamus, de qui la divine plume fut feule, au fentiment de tous, jugée digne d'écrire, felon la direction des Aftres, tous les événemens qui arriveront fur la terre. Il a vécu 62 ans 6 mois, 17 jours. Il mourut à Salon, le 2 Juillet 1566. Poftérité ne lui envie pas fon repos. Anne Ponfe Gemelle fouhaite à fon Epoux la véritable félicité.

Le Peuple, ignorant en Provence comme ailleurs, allure que Noftradamus

Du retour d'ambassade, don du Roi, mis au lieu, fe fit enterrer vivant dans fon tom-
Plus n'en fera, fera allé à Dieu;
Proches, Parens, amis, frères du fang,
Trouvé tout mort près du lit & du banc.

Sa mort affligea fenfiblement les habitans de Salon. L'honneur qu'il leur faifoit, les fervices qu'ils attendoient de fon crédit, leur injuftice même à fon égard, tout cela caufa leurs regrets, & fit répandre fur fon tombeau des larmes auffi fincères que méritées. Il fut enterré dans l'Eglife des FF. Mineurs, où fa Veuve lui fit graver l'épitaphe fuivante, qu'elle fit placer fous le portrait de fon Epoux.

D. M.

Offa clariffimi Michaëlis Noftradami, uniùs omnium mortalium judicio digni, cujus penè divino calamo totiùs orbis, ex Aftrorum influxu, futuri eventus confgriberentur. Vixit annos LXII. men

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beau, après avoir fait provifion d'huile pour fa lampe, d'encre & de papier, dont il prétendoit, fans doute, faire ufage jufqu'au moment où il expireroit. Il ajoute qu'avant d'y entrer il prédit malheur à celui qui oferoit ouvrir fa tombe avant le tems qu'il défigna par des termes mystérieux, & qu'on préfume être le commencement du 18me. fiècle. Cette erreur populaire ne mérite aucune réfutation.

Le trait fuivant pourra prouver, parmi cent autres, la fauffeté des productions du prétendu Prophête. Gaffendi rapporte, (dans le premier volume de fa Phyfique) que dans un voyage qu'il fit à Salon, en 1638, Jean-Baptifte Suffren, Juge de cette Ville, lui communiqua l'horofcope d'Antoine Suffren fon père, & frère de Jean Suffren Jéfuite, Confeffeur de Louis XIII. Cette horofcope étoit écrite de la propre main de Noftradamus. Charmé de cette dé

couverte,

couverte, le Philofophe voulut examiner cette pièce; il interrogea Suffren fur les circonftances de la vie de fon père, & elles fe trouvèrent toutes contraires aux prédictions de l'Aftrologue Médecin.

Le prétendu Prophête difoit que Suffren porteroit une longue barbe & fort crépue, & il fe fit toujours rafer; qu'il auroit les dents mal propres & rongées par la rouille, & il les eut jufqu'à fa mort très-blanches; que dans fa vieilleffe il feroit fort courbé, & au contraire, il porta toujours fon corps fort droit; qu'à fa 19me. année il auroit une fucceffion étrangère, & il ■'eut jamais que celle de fon père ; que fes frères lui drefferoient des embûches, & que dans fa 37me. année il feroit bleflé par fes frères utérins ; mais il n'en eut jamais, & fon père n'eut qu'une femme; qu'il fe marieroit hors de la Province il fe maria à Salon même ; qu'à fa 25me. année, ses maîtres lui apprendroient la Théologie les Sciences naturelles, qu'il s'appliqueroit fur-tout à la Philofophie occulte, à la Géométrie, à l'Arithmétique, à l'Eloquence; il n'étudia que la Jurifprudence, dont le Prophête ne difoit mot;

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Le

que dans fa vieilleffe il aimeroit la navigation, la mufique, les inftrumens ; il ne s'embarraffa, ni jeune ni vieux, de toutes ces fciences; il ne fit même aucun voyage fur mer, & il mourut l'an 1597, quoique Noftradamus ne fixât fa mort qu'en 1618.

Quand les extravagances de notre Aftrologue virent le jour, le public fut partagé; les uns le regardoient comme un vifionnaire, les autres comme un Magicien ; mais il y eut, comme il arrive prefque toujours, une foule d'imbécilles qui le confidérèrent comme un homme véritablement doué du don de prophétie.

De ce nombre fut un certain Guynaud, Ecuyer, ci-devant Gouverneur des Pages de la Chambre du Roi, enthoufiafmé du fatras Poëtique de Noftradamus, il publia à Paris, in-12. en 1693, la Concordance des Prophé ties de Noftradamus ties de Noftradamus, avec l'Hiftoire, depuis Henri II. jufqu'à Louis le Grand Voici un échantillon des explications de l'imbécille Commentateur. Il s'agit de la prédiction du maffacre de la St. Barthélemi, clairement annoncée, felon lui, par l'Aftrologue Provençal.

gros airain qui les heures ordonne,
Sur le trépas du Tyran caffera.

Pleurs, plaintes & cris, eaux, glace, pain ne donne,
V. S. C. paix, l'armée passera.

Le gros airain. C'eft manifeftement la groffe cloche de l'horloge du Palais, qui devoit donner le fignal du maffacre, lequel fut cependant commencé par celle de St. Germain-l'Auxerrois.

1

Sur le trépas du Tyran caffera. Le Tyran eft l'Amiral de Coligni, mis à Hommes Illuft. de la Proy. Tom. II.

mort pendant que la groffe cloche fonnoit le tocfin. Il eft vrai qu'elle ne caffa pas; mais le Commentateur observe judicieufement, que c'est une expreffion hyperbolique, fur laquelle il ne faut pas vétiller.

B

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plaintes & cris. Cela n'a pas befoin d'être expliqué.

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Eaux, glace, pain ne donne, Apparemment qu'en l'année 1572, la Seine fut prife. Le bled & les autres provifions ne purent pas, fans doute, venir à Paris. Ces fortes de fignes, dit ce Commentateur, fervent à Noftradamus à circonftancier fes prophéties, puifqu'il ne lui étoit pas plus difficile de prévoir une chofe que l'autre.

Il ne reste plus qu'à déchiffrer le dernier vers: V. S. C. paix, l'armée paffera. Cela veut dire qu'on feroit alors en paix avec Philippe II, clairement défigné par ces trois lettres V. S. C., attendu que S. fignifie Succeffeur, le C. Charles, & V. en chiffre romain, fait cinq; ce qui veut dire Succeffeur de Charles V.

L'armée paffera. On voit évidemment qu'il eft queftion du Duc d'Anjou, qui alla affiéger la Rochelle avec une armée de 50000 hommes, & 60 pièces de canon. Le Prophéte a oublié la principale circonftance, qui eft qui eft, que l'on fut obligé de lever le Siège, avec perte de plus de 20000 hommes.

Guynaud n'a pas été le feul qui ait admiré & expliqué Noftradamus. Jean Dorat, grand faifeur d'Anagrammes, fot interprète des fonges, perfuadé que Noftradamus étoit un homme divin, infpiré par un Ange, s'avifa de le commenter. Son ouvrage parut en 1594, in-8°.

Un Savant même, Morhaf, parle avec vénération de l'infenfé Prophête, dans fon Polihiftor ; & pour appuyer fes éloges, il rappotte une hiftoire digne de figurer parmi les aventures abfurdes de Merlin: la voici.

Noftradamus fe promenoit avec un

Gentilhomme nommé Florinville: Ils

apperçurent deux Cochons de lait, l'un blanc & l'autre noir. Quel fera leur fort, demande Florinville? Noftradamus répond fans héliter : nous mangerons le noir, le blanc fera dévoré par le Loup. Florinville, afin d'éluder la prédiction, ordonne en fecret qu'on prépare le Cochon blanc pour leur fouper. Le Cuifinier obéit; mais ayant affaire ailleurs, il laiffa le Cochon fur une table. Un petit Loup domeftique profite de l'occafion, le mange, & le Cuifinier eft contraint de fubftituer le Cochon noir : ainfi s'accomplit la prophétie.

Outre fes Centuries, on a de Noftradamus: 1°. un Traité des Fards & des Senteurs, 1552. 2°. De fingulières Recettes pour entretenir la fanté du corps. Poitiers, 1556. 3°. Un Traité des Confitures. Anvers, 1557. La Paraphrafe de Galien fur l'exhortation de Menodotes à l'étude; & fur-tout à celle de la Médecine, traduite du Latin en François. Lyon, 1557. Il avoit auffi composé une Inftruction pour les Labouleur pour les tems & faifons les plus favorables à leurs travaux, & l'avoit intitulé : l'Almanach de Noftrademus. On a imprimé depuis fa mort, une XIme. & une XIIme. centuries que l'on a recueilli de fes Mémoires.

Feurs

marquer

(V. P.)

NOSTRADAMUS, (JEAN) frère puîné du précédent, exerça longtems avec honneur la charge de Procureur au Parlement. Il cultivoit les Mufes Provençales, & faifoit des Chanfons affez peu délicates, mais qui plaifoient dans un tems groffier. On a de lui les Vies des anciens Poëtes Provençaux. Lyon,

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