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AN. 1509.

XLIX.

Ximenes en

conquête

d'Oran à fes

frais.

première affemblée des états de Caftille, s'engageroit avec ferment à bien gouverner ces royaumes pendant la minorité de l'archiduc Charles fon petit fils, comme il y étoit obligé. Mariana prétend que ces conditions étoient déjà accordées entre les parties, avant qu'elles euffent été propofées au roi & au cardinal,

Pendant que le roi d'Aragon penfoit à établir fon autoLe cardinal rité dans le royaume de Caftille, le cardinal Ximenès qu'on treprend la nommoit le cardinal d'Espagne, étendit la domination de fa majefté catholique chez les Maures, par la célèbre conquête qu'il fit de la ville d'Oran fur la côte de Tremecen dans le Comès in vit. royaume d'Alger, en cette année 1509. Jerôme Vianelli de Ximen 14. l'état de Venife avoit fait des plans de toutes les places maMariana, 'ritimes d'Afrique, qu'il préfenta au cardinal. Entre ces plans Ciacon. in étoit celui d'Oran qui frappa Ximenès plus que tous les auJul. II. t. s. tres, & le détermina à ne rien épargner pour porter FerdiRaynald, hoc nand à conquérir cette place. Mais ce prince étoit trop oc4. n. 23. cupé de la guerre des Vénitiens pour fonger à un autre def

1. 29. n. 76.

P. 380.

LX.

fein il loua le projet du cardinal, mais il en remit l'exécution à un autre temps; ce refus ne le rebuta point. Comme l'archevêché de Tolède, & les emplois qu'il avoit à la cour, lui produifoient de grands revenus, il réfolur de faire luimême cette conquête à fes dépens, s'il pouvoit obtenir le confentement du roi. Il lui en écrivit, & après beaucoup de délais & de difficultés, Ferdinand lui accorda ce qu'il fouhaitoit, à condition que, s'il ne réuffiffoit pas dans fon entreprise, tous les frais qu'il auroit faits feroient perdus pour lui, & qu'il ne lui en pourroit rien demander, ni à fes fueceffeurs.

Ximenès accepta cette condition; & en propofa en même temps une autre, qu'on fut obligé de lui accorder : ce fut que, s'il réuffiffoit dans fon deffein, Oran releveroit de l'archevêché de Tolède jufqu'à ce qu'on lui eût reftitué, ou à fon églife, tout ce qu'il auroit dépensé pour en faire la conPierre de quête. Le deffein du cardinal étoit de paffer lui-même en Navarre eft Afrique à la tête de l'armée qu'il préparoit ; & il demanda fait général Gonfalve pour fon lieutenant général, mais le roi le lui retion d'Oran, fufa. Au défaut de Gonfalve, Ximenès donna le comman¬ Mariana. lib. dement général au comte Pierre de Navarre, fe réservang

de l'expédi

29. n. 76.

Raynald, ut néanmoins pour lui-même la première autorité. Sup: He 24.

Tout l'hiver fe paffa à faire les préparatifs de la campa

AN. 1509.

LXI.

cardinal Al

ann. n. 23.

gne; & sur la fin de Février de cette année 1509, le ren dez-vous de la flotte qui devoit porter l'armée en Afrique, ayant été donné à Malaga, le cardinal fe rendit à Carthagè- Dé art de ne où l'on avoit affigné toute l'armée. C'étoit un specta- l'armée & di cle affez fingulier de voir un Cordelier, tel qu'étoit le car-menes. dinal Ximenes, endoffer la cuiraffe, & s'ingérer à comman- Gomès in vita der des armées, pendant qu'on laiffoit le grand Gonfalve fans Ximen. I. 4. emploi & dans l'obfcurité fréquenter les églifes & les couvens. Pierre de Navarre, Vianelli, & tous les officiers généraux vinrent joindre le cardinal. Ils furent fuivis de toutes les troupes qui arrivèrent en peu de jours par différens endroits. La revue générale en ayant été faite, l'armée campa, & l'on n'attendoit plus que la flotte pour s'embarquer. Elle étoit compofée de quatre-vingts vaiffeaux de charge, de dix gros gallions armés en guerre, & fi bien pourvus de vivres & de munitions, que la moitié ne fe trouva pas confumée après la prife d'Oran. A la vue de la flotte, l'armée fe mutina, & voulut être payée avant l'embarquement; la fédition devint presque en un moment générale. On foupçonna Pierre de Navarre d'en être l'auteur. Comme c'étoit un foldat de fortune, fans naiffance & fans éducation ; il étoit dur, groffier, vif, impétueux, & incapable de plier & de rien fouffrir mais l'adrefle & la modération de Ximenès calmèrent bientôt ce défordre. Quelques officiers s'étant mêlés de l'accommodement, Navarre renouvella le ferment de fidélité qu'il avoit déjà fait au cardinal, & lui promit de vivre dans la fubordination qu'il devoit, & d'exécuter fidellement tous fes ordres.

LXII. Débarquement du car

Dans ces heureufes difpofitions, Ximenès monta dans le grand gallion d'Efpagne, qui fervoit d'amiral à cette flotte: on leva l'ancre, toute l'armée fortit du port de Carthagène, & mit à la voile le mercredi feize de Mai. Le lendemain qui étoit la fête de l'Afcenfion, on découvrit les côtes d'Afrique, & l'on entra le plus heureusement du monde dans le port de Mafalquivir : le débarquement fe fit pendant la nuit dinal & de avec beaucoup d'ordre & de diligence ; & le jour étant ve- l'armée au nu, l'armée prit tout le terrain qui lui étoit néceffaire pour falquivir. fe mettre en ordre de bataille. Tout étant prêt, Ximenès Mariana, lib. fortit de fon gallion, & montant à cheval revêtu de fes or- 29. ". 77. Gomez, in nemens pontificaux, & accompagné des eccléfiaftiques & vita Ximen". religieux qui l'avoient fuivi. Il étoit précédé d'un religieux de 1. 4.

port de Mi

S. François qui portoit devant lui la croix archiepifcopale; AN. 1509. & qui avoit une épée à fon côté par-deffus fon fac, auffi

LXIII. Tout fe dif

tiens & les

1.4.

bien que tous les autres prêtres & religieux. Ce spectacle bizarre & nouveau ne laiffa pas de faire rire toute l'armée, malgré la vénération & la crainte qu'imprimoit Ximenès; mais ce cardinal d'un air grave & férieux s'avança à la tête de l'armée, & harangua les chefs avec beaucoup de force & d'éloquence: fon difcours échauffa le cœur des officiers & des foldats. Ils s'emprefsèrent de venir les uns & les autres autour de lui, & lui marquèrent l'ardeur qu'ils avoient de lui montrer combien ils lui étoient foumis. En même temps tous le prièrent de fe retirer dans l'églife, & d'y adreffer fes prières à Dieu pour l'heureux fuccès de cette expédition. Ximenès ne put réfifter à leurs follicitations, & il retourna à Mafalquivir, où il entra dans la chapelle de faint Michel, & y demeura profterné devant Dieu tant que dura le combat.

Les deux armées après s'être regardées quelque temps fans pofe à une rien entreprendre, la cavalerie des Maures qui fe voyoit bataille en- beaucoup plus nombreufe que celle des chrétiens, engagea tre les chré- le combat avec de grands cris. Elle fut reçue, piques baiffées, Maures. avec un profond filence; elle revint plufieurs fois à la charge Mariana, fans pouvoir ouvrir les bataillons d'Efpagne : cependant le lib. 29. n. 77: canon de la fortereffe & des vaiffeaux faifoit un furieux raGomez, in vita Ximen. Vage parmi la cavalerie des Maures. La vue d'Oran redoubla le courage des chrétiens, & les armées occupant toutes deux un terrain uni, tout fe mêla, tout combattit. Deux mille chevaux qui n'avoient point été débarqués à Mafalquivir, arrivèrent devant Oran. Cette cavalerie fe partagea en deux corps, dont l'un prit le chemin de la porte de Tremecen, qu'on avoit promis de livrer au cardinal; & l'autre demeura caché derrière une coline, qui en déroboit également la vue & à la ville & à l'armée ennemie. L'intelligence que le cardinal y avoit, réuffit: deux Maures & un Juif qui l'avoient formée tinrent parole, la porte fut livrée; & comme tout ce qu'il y avoit de gens de défense étoit forti, à la réserve d'un petit nombre, la cavalerie y entra fans résistance, s'empara des principaux poftes & des murailles, s'y retrancha, & tourna le canon contre la ville, menaçant de Les Maures la réduire en poudre, fi l'on faifoit le moindre mouvement fout battus, pour s'y défendre. Les étendards d'Oran furent auffitôt arra

LXIV.

chés, & l'on fit paroître à leur place fur les murailles, ceux de la croix cantonnée des armes d'Espagne.

AN. 1509. & l'armée

Mariana

lib. 29. n. 77.

A cette vue l'armée chrétienne reprit de nouvelles for- chrétienne ces, & s'avança jufques à une espèce d'aqueduc pour s'y entre dans loger. Ce fut-là où le choc recommença : les Efpagnols à la Oran. Gomez in faveur de leur artillerie chafsèrent les Maures de tous les vit. Ximen poftes qu'ils occupoient, & les contraignirent de prendre la 1. 4. fuite en défordre. Les chrétiens, animés par un fuccès fi heureux, se mettent aux trouffes des fuyards, les pourfuivent Raynald ad avec ardeur ; & comme les portes d'Oran étoient fermées, hunc an. les vainqueurs & les vaincus ne gardant plus leurs rangs, fe trouvèrent mêlés & confondus. Les Maures demeurés dans la ville voyant ce défordre, firent une fortie, attaquèrent l'armée Espagnole, & la prenant par derrière, ils l'obligèrent à fe défendre elle-même, & à abandonner les fuyards. Les chrétiens fans s'effrayer fe rallièrent, & foutinrent avec une intrépidité merveilleufe le choc des Maures, pendant qu'une partie des Espagnols étoit aux mains avec les ennemis, l'autre s'efforçoit de planter les échelles aux murailles d'Oran, & d'emporter la ville par efcalade. Les Maures de leur côté coururent fur les remparts pour arrêter l'effort des chrétiens, & rendre leurs deffeins inutiles.

LXV.

La ville d'Oran eft prise d'aflaut.

Gomez, in vit. Ximen.

lib. 4.

Mariana

Mais dans la chaleur du combat où les uns & les autres étoient occupés à fe battre & à fe défendre, les mille chevaux tout frais, fortant de derrière la colline, tombèrent fur la cavalerie Maure, qui étonnée de fe voir attaquée de tous côtés, croyant le nombre de leurs ennemis beaucoup plus grand qu'il n'étoit, perdit courage, auffi bien que fanterie, tout plia. La cavalerie s'enfuit à toute bride; l'in- lib. 19. fanterie ainfi abandonnée, effaya de fe retirer: mais l'effroi y ayant mis le défordre, elle fut enfoncée. Les Espagnols en firent un fi furieux carnage, qu'il refta fur le champ de bataille cinq mille hommes de tués, fans compter les bleffés qui moururent la plupart de leurs bleffures, & les prifonniers qui furent en grand nombre, & que l'on envoya aux galères. Navarre prit l'élite de fes troupes, & marcha vers Oran pour fecourir les fiens : il y entra fans peine ; mais il trouva les rues & les avenues des places barricadées, & le peuple revenu de fa première surprise, réfolu de fe défendre. Ces barricades furent bientôt emportées; le foldat irrité, fans diftinction d'âge ni de fexe, paffa tout au fil de l'épée ; l'on

força les maifons qui furent pillées, & le maffacre y reAN. 1509. commença avec d'autant plus de cruauté, que l'on n'y

LXVI.

fait fon en

trée

fion.

trouva que des femmes, des vieillards & des enfans, la plupart incapables de se défendre; enforte qu'il n'y eut que la nuit qui fit ceffer le carnage. On fit huit mille efclaves des Maures renfermés dans les mofquées ; & le nombre des morts qu'on trouva dans les rues & dans les maifons, monta à quatre mille.

Le cardinal Ximenès n'eut pas plutôt appris la conquête Le cardinal d'Oran, qu'il monta fur une galère pour venir en prendre Ximenes y poffeffion. Il fut reçu à la defcente par Vianelli, au milieu & en d'une double haie d'infanterie & de cavalerie, qui bordoit prend potief- le chemin depuis le port jusqu'au château. Pierre Navarre Comer, in qui l'attendoit à la porte de la ville, lui en préfenta les clefs, vit. Ximen. & le félicita fur fa victoire. Le cardinal entra aux acclamations de toutes les troupes: à quelque distance du château, il rencontra le gouverneur qui le lui venoit remettre. Il étoit Ciacon, in accompagné de trois cents efclaves chrétiens, qui fe jetèrent Jul. II. tom. aux pieds de Ximenès, en lui préfentant leurs chaînes qu'il Raynald. hoc avoit rompues, & l'appelant leur libérateur : ce qui lui caufa an. n. 25. & une véritable joie. Ce gouverneur étoit un des deux Maures

1. 4.

Mariana

lib. 29. 1.79.

3. p. 182.

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LXVII.

avec qui il étoit en intelligence pour la reddition d'Oran. Le cardinal le retint auprès de lui, fe fit amener l'autre Maure & le Juif qui l'avoient fi bien fervi, & les conduifit en Espagne lorfqu'il s'y en retourna. Il prit poffeffion du château, fir l'éloge des chefs & des foldats, les remercia au nom du roi, à qui il envoya un courrier pour lui porter la nouvelle de fa conquête. Son premier foin fut de faire nettoyer la ville de tous ces corps morts qui commençoient à l'infecter, de purifier enfuite les mofquées, de les faire orner à l'ufage des chrétiens ; & lui-même dédia la plus grande fous le nom de Notre-Dame de la victoire. Il établit dans cette ville un clergé, des moines, des hôpitaux; leur affigna des fonds pour leur fubfiftance, & des maisons commodes pour les loger: ce qui y attira un grand nombre d'habitans.

Après avoir ainfi difpofé toutes chofes, il fit proclamer Il s'embar- Ferdinand seigneur fouverain de la ville & de l'état d'Oran, que & arrive en déclarant toutefois que l'un & l'autre releveroit pour le en Espagne. Gomez, in fpirituel de l'archevêché de Tolède; & s'appropriant le dovit. Ximen. maine, les revenus publics, & généralement tout ce qui avoit appartenu aux anciens rois de cet état. Enfin croyane

lib. 4

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