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4.

L

CHAPITRE V.

Des Songes.

ORS qu'Afmodée eut fini le récit de cette hiftoire, Don Cléofas lui dit: Voilà un très-beau tableau de l'amitié; mais s'il eft rare de voir deux hommes s'aimer autant que Don Juan & Don Fadrique, je croi que l'on auroit encore plus de peine à trouver deux amies rivales qui puffent fe faire fi généreufement un facrifice réciproque d'un amant aimé.

Sans doute, répondit le Diable, c'est ce que l'on n'a point encore vû & ce que l'on ne verra peutêtre jamais. Les femmes ne s'aiment point. J'en fuppofe deux

parfaitement unies. Je veux même qu'elles ne difent pas le moindre mal l'une de l'autre en leur abfence, tant elles font amies. Vous les voyez toutes deux; vous panchez d'un côté, la rage fe met de l'autre. Ce n'eft pas que l'enragée vous aime; mais elle vouloit la préférence. Tel eft le caractere des femmes. Elles font trop jaloufes les unes des autres pour être capables d'amitié.

L'hiftoire de ces deux amis fans pairs, reprit Léandro Perez, elt un peu romanefque & nous a menés bien loin. La nuit eft fort avancée. Nous allons voir dans un moment paroître les premiers rayons du jour. J'attends de vous un nouveau plaifir. J'apperçois un grand nombre de personnes endormies. Je voudrois par curiofité que vous me difiez les divers fonges

qu'elles peuvent faire. Très-volontiers, repartit le Démon. Vous aimez les tableaux changeans. Je

veux vous contenter.

Je croi, dit Zambullo, que je vais entendre des Songes bien ridicules. Pourquoi, répondit le Boiteux ? Vous qui poffédez votre Ovide, ne fçavez-vous pas que ce Poëte dit, que c'eft vers la pointe du jour que les fonges font plus vrais, parce que dans ce temps-là l'ame eft dégagée des vapeurs des alimens. Pour moi, repliqua Don Cléofas, quoiqu'en puiffe dire Ovide, je n'ajoûte aucune foi aux fonges. Vous avez tort, reprit Afmodée; il ne faut ni les traiter de chimeres, ni les croire tous. Ce font des menteurs qui difent quelquefois la vérité. L'Empereur Augufte, dont la tête valoit bien celle d'un Ecolier, ne méprisoit

pas les fonges dans lesquels il étoit intéressé; & bien lui en prit, à la bataille de Philippe, de quitter fa tente, fur le récit qu'on lui fit d'un rêve qui le regardoit. Je pourrois vous citer mille autres exemples qui vous feroient connoître votre témérité; mais je les passe sous filence, pour fatisfaire le nouveau defir qui vous presse. Commençons par ce bel Hôtel à main droite. Le maître du logis, , que vous voyez couché dans ce riche appartement eft un Comte libéral & galant. Il rêve qu'il eft à un fpectacle où il entend chanter une jeune Actrice, & qu'il fe rend à la voix de cette Syrenne.

Dans l'appartement parallele repofe la Comtesse sa femme, qui aime le jeu à la fureur. Elle rêve qu'elle n'a point d'argent, & qu'el

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