Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mânes a fini avec leurs jours; comme celle d'un héros de théâtre finit avec la piece.

Je fais une remarque, dit Léandro; je vois un ombre qui se promene toute feule & femble fuir la compagnie des autres. Dites plûtôt que les autres évitent la fienne, répondit le Démon, & vous direz la vérité : Sçavezvous bien quelle eft cette ombrelà? C'est celle d'un vieux Notaire, lequel a eu la vanité de se · faire enterrer dans un cercueil de plomb; ce qui a choqué toutes les autres mânes de bourgeois dont les cadavres ont été mis en terre ici plus modeftement. Ils ne veulent point, pour mortifier fon orgueil, que fon ombre se mêle parmi eux.

Je viens de faire encore une obfervation, reprit Don Cléofas: deux

deux ombres en paffant l'une devant l'autre, fe font arrêtées un moment pour fe regarder; enfuite elles ont continué leur chemin. Ce font, repartit le Diable, celle de deux amis intimes, dont l'un étoit Peintre, & l'autre Muficien. Ils étoient un peu yvrognes; à cela près, fort honnêtes-gens. Ils cefferent de vivre dans la même année. Quand leurs mânes fe rencontrent, frappés du fouvenir de leurs plaifirs, ils fe difent par leur trifte filence: Ah! mon ami, nous ne boirons plus!

Miféricorde, s'écria l'Ecolier! qu'est-ce que je vois? Je découvre au bout de cette Eglife deux ombres qui fe promenent enfemble. Qu'elles me paroiffent mal appareillées? Leurs tailles & leurs allures font bien différentes ! L'une eft d'une hauteur démefu→ Tome II.

B

rée & marche fort gravement; au lieu que l'autre eft petite & a l'air évaporé. La grande, reprit le Boiteux, eft celle d'un Allemand qui perdit la vie pour avoir bû, dans une débauche, trois fantés avec du tabac dans fon vin. Et la petite, eft celle d'un François, lequel, fuivant l'efprit galant de fa Nation, s'avifa en entrant dans une Eglise de présenter poliment de l'eau-benite à une jeune Dame qui en fortoit: dès le même jour, pour prix de fa politeffe, il fut couché par terre d'un coup d'efcopette.

De mon côté, dit Afmodée, je confidere trois ombres remarquables que je démêle dans la foule. Il faut que je vous appren→ ne de quelle façon elles ont été féparées de leur matiere. Elles animoient les jolis corps de trois

Comédiennes qui faifoient autant de bruit à Madrid, dans leur temps, qu'Origo, Citheris & Arbufcula, en ont fait à Rome dans le leur, & qui poffédoient auffibien qu'elles, l'art de divertir les hommes en public, & de les rui- · ner en particulier. Voici quelle fut la fin de ces fameufes Comédiennes Efpagnoles : l'une creva fubitement d'envie, au bruit des applaudiffemens du parterre, au début d'une Actrice nouvelle. L'autre trouva dans l'excès de la bonne chere l'infaillible mort qui le fuit Et la troifiéme, venant de s'échauffer fur la Scene, à jouer le rôle d'une vestale, mourut d'une fauffe couche derriere le Théâtre.

Mais laiffons en repos toutes ces ombres, pourfuivit le Démon, nous les avons affez exa

nes,

minées. Je veux préfenter à votre vûe un nouveau fpectacle qui doit faire fur vous une impreffion encore plus forte que celui-ci. Je vais, par la même puissance qui vous a fait appercevoir ces mâvous rendre la Mort visible. Vous allez contempler cette cruele Ennemie du genre humain, laquelle tourne fans ceffe autour des hommes, fans qu'ils la voient; qui parcourt, en un clin d'œil, toutes les parties du monde & fait, dans un même moment, fentir fon pouvoir aux divers peuples qui les habitent.

Regardez du côté de l'Orient. La voilà qui s'offre à vos yeux. Une troupe nombreuse d'oifeaux de mauvaise augure vole devant elle avec la terreur, & annonce fon paffage par des cris funebres. Son infatigable main eft armée

« AnteriorContinuar »