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Je ne pus achever de lire ce billet fans être transporté de rage. Je mis la main fur ma dague, & dans mon premier mouvement je fus tenté d'ôter la vie à l'infidelle époufe qui m'ôtoit l'honneur ; mais faifant réflexion que c'étoit me venger à demi, & que mon reffentiment demandoit encore une autre victime, je me rendis maître de ma fureur. Je diffimulai; je dis à ma femme, avec le moins d'agitation qu'il me fut poffible : Madame vous avez eu tort d'écouter le Duc. L'éclat de fon rang ne devoit point vous éblouir; mais les jeunes perfonnes aiment le faste. Je veux croire que c'est-là tout votre crime,& que vous ne m'avez point fait le dernier outrage. C'eft pourquoi j'excufe votre indiscrétion, pourvû que vous rentriez dans votre

devoir, & que déformais, fenfible à ma feule tendreffe, vous ne fongiez qu'à la mériter.

Après lui avoir tenu ce difcours, je fortis de fon appartement, autant pour la laisser fe remettre du trouble où étoient fes efprits, que pour chercher la folitude dont j'avois befoin moimême pour calmer la colere qui m'enflâmoit. Si je ne pus reprendre ma tranquillité, j'affectai du moins un air tranquille pendant deux jours; & le troifiéme, feignant d'avoir à Toléde une affaire de la derniere conféquence, je dis à ma femme que j'étois obligé de la quitter pour quelque temps, & que je la priois d'avoir foin de fa gloire pendant mon abfence.

Je partis, mais au lieu de continuer mon chemin vers Toléde, je revins fécretement chez moi à

l'entrée de la nuit, & me cachai dans la chambre d'un domestique fidéle, d'où je pouvois voir tout ce qui entroit dans ma maison. Je ne doutois point que le Duc n'eût été informé de mon départ, & je m’imaginois qu'il ne manqueroit pas de vouloir profiter de la conjoncture. J'efpérois les furprendre enfemble, je me promettois une entiere vengeance.

Néanmoins je fus trompé dans mon attente. Loin de remarquer qu'on fe difpofàt au logis à recevoir un galant, je m'apperçûs au contraire que l'on fermoit les portes avec exactitude, & trois jours s'étant écoulés fans que le Duc eût paru, ni même aucun de fes gens, je me perfuadai que mon époufe s'étoit repentie de fa faute, & qu'elle avoit enfin rompu tout commerce avec son amant.

Prévenu de cette opinion, je perdis le défir de me vanger, & me livrant aux mouvemens d'un amour que la colere avoit fufpendu, je courus à l'appartement de ma femme. Je l'embraffai avec tranfport, & lui dis; Madame, je vous rends mon estime & mon amitié. Je vous avoue que je n'ai point été à Toléde. J'ai feint ce voyage pour vous éprouver. Vous devez pardonner ce piége à un mari dont la jaloufie n'étoit pas fans fondement. Je craignois que votre efprit féduit par de fuperbes illufions, ne fût pas capable de fe détromper; mais graces au Ciel, vous avez reconnu votre erreur, & j'efpere que rien ne troublera plus notre union.

Ma femme me parut touchée de ces paroles, & laiffant couler quelques pleurs : Que je fuis mal

heureufe, s'écria-t-elle, de vous avoir donné fujet de foupçonner ma fidélité ! J'ai beau détefter ce qui vous a fi justement irrité contre moi: mes yeux, depuis deux jours, font vainement ouverts aux larmes, toute ma douleur, tous mes remords feront inutiles, je ne regagnerai jamais votre confiance. Je vous la redonne, Madame, interrompis-je tout attendri de l'affliction qu'elle faifoit paroître, je ne veux plus me fouvenir du paffé, puifque vous vous en repentez.

En effet, dès ce moment j'eus pour elle les mêmes égards que j'avois eu auparavant, & je recommençai à goûter des plaifirs qui avoient été fi cruellement troublés. Ils devinrent même plus piquans; car ma femme, comme fi elle eût voulu effacer de mon efprit toutes les traces de l'offenfe

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