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tendre que les érudits ne font que charger leur mémoire, & jetter confufément les faits fur le papier? Ce n'est point là l'érudition, c'en est l'abus & le ridicule. Un véritable érudit emploie la multitude des faits avec ordre & en preuves hiftoriques : ils doivent tenir à un fujet fixe, être liés naturellement les uns aux autres par des raifonnemens folides; & cet affemblage fuppofe plus de talent & d'art qu'on ne penfe communément. Ajoûtons encore que l'érudition littéraire n'exclut ni l'efprit, ni les agrémens du ftyle. C'eft un genre qui communique avec plufieurs autres, & même avec l'efprit philofophique qui eft l'ame de la bonne critique. L'érudition n'eft donc pas, comme affectent de le penfer quelques Philofophes & certains beaux-efprits de ce fiècle,

un ouvrage mécanique de la mémoire, un amas indigefte de faits, d'autorités, de citations, qui n'est susceptible ni de raisonnement, ni de goût, ni d'esprit : elle est toute historique & critique, & n'exige pas moins d'imagination, de réflexion & d'agrément, que les Ouvrages de pure Philofophie, d'Hiftoire

&c.

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J'aurois pû relever ici les avantages de l'érudition, & prouver à nos Modernes, fes ennemis déclarés, que c'est en négligeant la lecture des bons Auteurs Grecs & Latins, que notre goût s'eft corrompu. L'efprit de fingularité a pris la place du naturel, du fimple & du beau. Nous avons créé des genres bizarres ou frivoles, qui ne feront certainement jamais approuvés ni imités dans les fiècles fuivans. Un jour que le

bon goût renaîtra, les Songes du · P. Oudin (1) charmeront encore nos Poëtes & les gens d'efprit; tandis que les Romans, les fatyres perfonnelles & tant d'autres écrits futiles & pernicieux qu'un petit goût de mode met aujourd'hui trop en faveur, seront méprifés & tomberont dans l'oubli.

Les détails minucieux qui font à la vérité le ridicule le plus frapant de l'érudition, déparent encore d'autres sciences. La paffion des médailles fe tourne aifément en un fol & dangereux entêtement: avec quelle ardeur ne voit-on pas tous les jours des Scavans courir après la bagatelle numifmatique Il eft auffi des efpèces de Phyficiens-érudits, gravement occupés à rechercher de

(1) Somnia. C'eft un Poëme tres-ingénieux du P. Oudin.

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petits échantillons de la nature, dont la beauté & la valeur font de pure convention entr'eux, & dont la vaine curiofité ne perd fon nom que dans leurs cabinets. Ces minuties Phyfiques que nos Philofophes modernes affujettiffent, felon leur caprice, à divers arrangemens prétendus fyftématiques, comportent un ridicule bien plus fenfible, que les recherches des dattes & là compilation des petits faits.

Cependant concluons que l'érudition littéraire, la fcience des médailles & l'Hiftoire naturelle feront également estimables, dès qu'on en retranchera les abus qui s'y gliffent. Toutes les fciences font à peu près fur un même niveau, étant toutes relatives à différens goûts & à diverfes utilités. La différence n'eft qu'entre ceux qui les cultivent: l'efprit,

lės talens & les connoiffances des hommes d'un mérite diftingué, ne fe trouvant jamais en chacun d'eux également proportionnés. Le fyftême des connoiffances humaines eft fufceptible de plufieurs arrangemens plus ou moins naturels. On pourroit auffi donner aux fciences & aux arts un ordre relatifaux plus grands avantages réels qu'ils procurent dans la fociété civile. Mais chaque fiècle n'exige-t'il pas encore une nouvelle diftribution encyclopédique, par rapport au goût particulier qui regne dans un tems plutôt que dans un autre ? Il eft des fciences & des arts, pour ainfi dire, de mode, & qu'on a cultivés préférablement dans certains fiècles. Ce goût varie pareillement fuivant les différens caractères des nations. Une fcience est quelquefois en honneur chez un

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