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DÉDICACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

XIII

Dédicace de la première édition.

AU TRÈS ILLUSTRE AUTEUR LOUIS VELEZ DE GUEVARA.

Souffrez, seigneur de Guevara, que je vous adresse cet ouvrage. Il n'est pas moins de vous que de moi. Votre Diablo Cojuelo m'en a fourni le titre et l'idée. J'en fais un aveu public. Je vous cède la gloire de l'invention, sans approfondir si quelque auteur grec, latin ou italien ne pourrait pas justement vous la disputer.

Je dirai même qu'en y regardant de près, on reconnaîtra dans le corps de ce livre quelques-unes de vos pensées; car je vous ai copié autant que me l'a pu permettre la nécessité de m'accommoder au goût de ma nation.

Cela ne m'empêche pas de rendre justice à votre Cojuelo. Je le crois digne des applaudissements qu'il a reçus en Espagne et du bruit qu'il a fait particulièrement en Aragon, où vous l'avez mis en lumière. Je conçois bien que vos façons de parler figurées, vos images bizarres et vos pensées extraordinaires ont pu trouver chez vous des approbateurs; mais vous devez concevoir aussi que des hommes nés sous un autre climat en peuvent juger autrement. Les Français surtout, eux qui ont la justesse et le naturel en partage, ne les goûteraient pas. Je me suis donc souvent écarté du texte, ou, pour mieux dire, j'ai fait un nouveau livre sur le même fonds.

C'est ainsi que j'ai traité le seigneur Alonso Fernandez de Avellaneda. Je n'ai pas traduit plus fidèlement son D. Quichotte que votre Cojuelo. Cependant cet Avellaneda, qui avait

b

XIV

DÉDICACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

déjà subi le sort des écrivains abandonnés des lecteurs, est présentement en quelque réputation parmi nous, au lieu que si je l'avais suivi littéralement, on me saurait mauvais gré de l'avoir tiré de l'oubli.

J'espère que vous aurez la même destinée. Si je n'ai pu prêter à votre Cojuelo tous les agréments dont il a besoin pour plaire à nos Français, je crois du moins ne lui avoir rien laissé qui doive le rebuter. Après tout, vous ne risquez rien. Si le livre n'a point de succès, vous êtes en droit de dire que je l'ai tellement défiguré qu'il n'est pas reconnaissable. Et s'il réussit, vous m'aurez obligation de vous avoir procuré l'estime de gens dont peut-être sans moi vous n'auriez jamais été connu.

Dédicace de 1726.

AU TRÈS ILLUSTRE AUTEUR LOUIS VELEZ DE GUEVARA.

C'est à vous, seigneur de Guevara, que j'ai dédié cet ouvrage dans sa nouveauté. Si je me fis un devoir alors de vous rendre cet hommage, rien ne doit me dispenser aujourd'hui de vous le renouveler. J'ai déjà déclaré et je déclare encore publiquement que votre Diablo Cojuelo m'en a fourni le titre et l'idée. Ainsi je vous cède l'honneur de l'invention, sans vouloir, comme je vous l'ai dit, approfondir si quelque auteur grec, latin ou italien, ne pourrait pas justement vous le disputer.

J'avouerai même encore qu'en y regardant de près, on reconnaîtrait dans le corps de ce livre quelques-unes de vos pensées. Plût au ciel qu'il y en eût davantage, et que la nécessité de m'accommoder au génie de ma nation m'eût permis de vous copier exactement ! J'aurais fait gloire d'être votre traducteur; mais j'ai été obligé de m'écarter du texte, ou, pour mieux dire, j'ai fait un ouvrage nouveau sur le même plan.

Sous la forme que je lui ai prêtée d'abord, il a été réimprimé en France je ne sais combien de fois. Nous avons partagé tous deux l'honneur du succès qu'il a eu; mais, que dis-je, partagé ? J'ai passé, à Paris, pour votre copiste, et je n'ai été loué qu'en second. Il est vrai, en récompense, qu'à Madrid la copie a été traduite en espagnol et qu'elle y est devenue un ouvrage original.

J'en donne aujourd'hui une nouvelle édition que je vous adresse encore, Seigneur Louis Velez ; mais, pour la rendre

plus digne de revoir le jour après dix-neuf années, il a fallu le retoucher et le remettre, pour ainsi dire, à la mode. Quoique le monde soit toujours le même, il s'y fait une succession continuelle d'originaux qui semble y apporter quelque changement.

Je n'ai pas seulement corrigé l'ouvrage ; je l'ai refondu et augmenté d'un volume, que les sottises humaines m'ont aisément fourni. C'est une source de tomes inépuisable; mais je n'ai point entrepris de l'épuiser. J'abandonne ce travail immense à quelqu'un de ces auteurs laborieux qui veulent bien employer une longue vie à mériter d'occuper une toise de place dans les bibliothèques. Pour moi, qui borne mon ambition à égayer pendant quelques heures mes lecteurs, je me contente de leur offrir en petit un tableau des mœurs du siècle.

Après avoir reconnu, Seigneur de Guevara, que votre Diable a toujours hypothèque sur le mien, il faut encore confesser pour la décharge de ma conscience, que j'ai emprunté des vers et quelques images de Francisco Santos, auteur du livre intitulé: Dia y noche de Madrid. Quoique le larcin ne soit pas de grande importance, je déclare que je l'ai fait, afin que quelque mauvais plaisant ne vienne pas me comparer aux voleurs qui, pour vendre impunément une vaisselle qu'ils ont volée, en ôtent les armoiries.

Puisse le public recevoir aussi favorablement cette dernière édition qu'il a reçu la première. Je n'oserais me flatter de ce bonheur, quoique l'ouvrage soit plus nouveau qu'il n'était et que j'aie fait de mon mieux pour engager ceux qui le liront à y prendre un nouveau goût.

LE

DIABLE BOITEUX

CHAPITRE PREMIER

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Quel diable c'est que le diable boiteux. Où, et par quel hasard don Cléofas Léandro Perez Zambullo fit connaissance avec lui.

Une nuit du mois d'octobre couvrait d'épaisses ténèbres la célèbre ville de Madrid: déjà le peuple, retiré chez lui, laissait les rues libres aux amants qui voulaient chanter leurs peines ou leurs plaisirs sous les balcons de leurs maîtresses: déjà le son des guitares causait de l'inquiétude aux pères et alarmait les maris jaloux enfin, il était près de minuit, lorsque don Cléofas Léandro Perez Zambullo, écolier d'Alcala, sortit brusquement par une lucarne d'une maison, où le fils indiscret de la déesse de Cythère l'avait fait entrer. Il tâchait de conserver sa vie et son honneur en s'efforçant d'échapper à trois ou quatre spadassins qui le suivaient de près pour le tuer, ou pour lui faire épouser par force une dame avec laquelle ils venaient de le surprendre.

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