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dessous de ces trois prisonniers que je viens de vous montrer, et considérons ce qui s'y passe. Y voyez-vous ces trois malheureux? Ce sont des voleurs de grands chemins. Les voilà qui vont se sauver; on leur a fait tenir une lime sourde dans un pain, et ils ont déjà limé un gros barreau d'une fenêtre, par où ils peuvent se couler dans une cour qui les conduira dans la rue. Il y a plus de dix mois qu'ils sont en prison, et il y en a plus de huit qu'ils devraient avoir la récompense publique qui est due à leurs exploits; mais, grâce à la lenteur de la justice, ils vont encore massacrer des voyageurs.

« Suivez-moi dans cette salle basse où vous apercevez vingt ou trente hommes couchés sur la paille: ce sont des filous, des gens de toutes sortes de mauvais commerces. En remarquez-vous cinq ou six qui houspillent une espèce de manoeuvre qui a été emprisonné aujourd'hui pour avoir blessé un archer d'un coup de pierre? Pourquoi ces prisonniers battent-ils ce manoeuvre? dit Zambullo. C'est, répondit Asmodée, parce qu'il n'a pas encore payé sa bienvenue. Mais, ajouta-t-il, laissons là tous ces misérables: éloignonsnous même de cet horrible lieu; allons ailleurs arrêter nos regards sur des objets plus réjouissants.

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CHAPITRE VIII

Asmodée montre à don Cléofas plusieurs personnes et lui révèle les actions qu'elles ont faites dans la journée.

Ils laissèrent là les prisonniers, et s'envolèrent dans Un autre quartier. Ils firent une pause sur un grand hotel, où le démon dit à l'écolier: « Il me prend envie de vous apprendre ce qu'ont fait aujourd'hui toutes ces personnes qui demeurent aux environs de cet hôtel; cel a pourra vous divertir. - Je n'en doute pas, répondit Léa ndro. Commencez, je vous prie, par ce capitaine qui se botte; il faut qu'il ait quelque affaire de conséquence qui l'appelle loin d'ici. C'est, repartit le boiteux, un capi taine prêt à sortir de Madrid. Ses chevaux l'attendent dans la rue; il va partir pour la Catalogne, où son régiment est commandé.

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Comme il n'avait point d'argent, il s'adressa hier à un usurier: « Seigneur Sanguisuela, lui dit-il, ne pour«riez-vous pas me prêter mille ducats?

Seigneur

capitaine, répondit l'usurier d'un air doux et benin, je << ne les ai pas; mais je me fais fort de trouver un « homme qui vous les prêtera, c'est-à-dire qui vous en

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« donnera quatre cents comptant; vous ferez votre « billet de mille, et sur lesdits quatre cents que vous « recevrez, j'en toucherai, s'il vous plaît, soixante pour « le droit de courtage. L'argent est si rare aujour«d'hui !... Quelle usure, interrompit brusquement « l'officier demander six cent soixante ducats pour « trois cent quarante! quelle friponnerie! il faudrait « pendre des hommes si durs.

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-Point d'emportement, seigneur capitaine, reprit « d'un grand sang-froid l'usurier: voyez ailleurs. De « quoi vous plaignez-vous? est-ce que je vous force à recevoir les trois cent quarante ducats? il vous est libre de les prendre ou de les refuser. » Le capitaine, n'ayant rien à répliquer à ce discours, se retira; mais, après avoir fait réflexion qu'il fallait partir, que le temps pressait, et qu'enfin il ne pouvait se passer d'argent, il est retourné ce matin chez l'usurier, qu'il a rencontré à sa porte en manteau noir, en rabat et en cheveux courts, avec un gros chapelet garni de médailles. Je reviens à vous, seigneur Sanguisuela, lui a-t-il dit; j'accepte vos trois cent quarante ducats; la né«cessité où je suis d'avoir de l'argent m'oblige à les Je vais à la messe, a répondu gravement prendre. l'usurier; à mon retour, venez, je vous compterai la Hé, non, non, répliqua le capitaine; ren<< trez chez vous, de grâce; cela sera fait dans un mo«ment; expédiez-moi tout à l'heure; je suis fort « pressé.

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« somme.

« Je ne le puis, repart Sanguisuela; j'ai coutume << d'entendre la messe tous les jours avant que je com<«< mence aucune affaire; c'est une règle que je me suis faite, et que je veux observer religieusement toute ma

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<< vie. »

« Quelque impatience qu'eût l'officier de toucher son argent, il lui a fallu céder à la règle du pieux Sanguisuela il s'est armé de patience, et même, comme s'il eût craint que les ducats ne lui échappassent, il a suivi l'usurier à l'église. Il a entendu la messe avec lui; après cela, il se préparait à sortir; mais Sanguisuela, s'approchant de son oreille, lui a dit : « Un des plus habiles « prédicateurs de Madrid va prêcher; je ne veux pas "perdre son sermon. »

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« Le capitaine, à qui le temps de la messe n'avait déjà que trop duré, a été au désespoir de ce nouveau retardement il est pourtant encore demeuré dans l'église. Le prédicateur paraît, et prêche contre l'usure. L'officier en est ravi, et, observant le visage de l'usurier, dit en lui-même : « Si ce juif pouvait se laisser toucher ! S'il me donnait six cents ducats, je partirais content « de lui. » Enfin le sermon finit; l'usurier sort. Le capitaine le joint et lui dit : « Hé bien, que pensez-vous de « ce prédicateur? Ne trouvez-vous pas qu'il prêche avec « beaucoup de force? Pour moi, j'en suis tout ému. — « J'en porte même jugement que vous, répond l'usurier; « il a parfaitement traité sa matière; c'est un savant « homme; il a fort bien fait son métier; allons-nous-en << faire le nôtre. »

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Hé! qui sont ces deux femmes qui sont couchées ensemble, et qui font de si grands éclats de rire? s'écria don Cléofas; elles me paraissent bien gaillardes. - Ce sont, répondit le diable, deux sœurs qui ont fait enterrer leur père ce matin. C'était un homme bourru, et qui avait tant d'aversion pour le mariage, ou plutôt tant de répugnance à établir ses filles, qu'il n'a jamais voulu les marier, quelques partis avantageux qui se soient présentés pour elles. Le caractère du défunt était tout

à l'heure le sujet de leur entretien. « Il est mort enfin, « disait l'aînée; il est mort, ce père dénaturé, qui se « faisait un plaisir barbare de nous voir filles; il ne s'opposera plus à nos voeux.

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Pour moi, ma sœur, a dit la cadette, j'aime le solide; je veux un homme riche, fùt-il d'ailleurs une bête, et le gros don Blanco sera mon fait. - Douce«ment, ma sœur, a répliqué l'aînée; nous aurons pour époux ceux qui nous sont destinés; car nos mariages « sont écrits dans le ciel. Tant pis, vraiment! a re<< parti la cadette; j'ai bien peur que mon père n'en « déchire la feuille. » L'aînée n'a pu s'empêcher de rire de cette saillie, et elles en rient encore toutes deux.

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« Dans la maison qui suit celle des deux sœurs, est logée en chambre garnie une aventurière aragonaise. Je la vois qui se mire dans une glace, au lieu de se coucher elle félicite ses charmes sur une conquête importante qu'ils ont faite aujourd'hui elle étudie des mines, et elle en a découvert une nouvelle qui fera demain un grand effet sur son amant. Elle ne peut trop s'appliquer à le ménager; c'est un sujet qui promet beaucoup aussi a-t-elle dit tantôt à un de ses créanciers qui lui est venu demander de l'argent : « Attendez, <«< mon ami, revenez dans quelques jours; je suis en << terme d'accommodement avec un des principaux per<< sonnages de la douane. »>

- Il n'est pas besoin, dit Léandro, que je vous demande ce qu'a fait certain cavalier qui se présente à ma vue; il faut qu'il ait passé la journée entière à écrire des lettres. Quelle quantité j'en vois sur sa table! — Ce qu'il y a de plaisant, répondit le démon, c'est que toutes ces lettres ne contiennent que la même chose. Ce cavalier écrit à tous ses amis absents: il leur mande une

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