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dey, et, quoique peu satisfait de cette commission, l'assura qu'il ferait son possible pour s'en bien acquitter. « C'est assez, répliqua Mezomorto; abandonne ton ou«vrage et me suis je vais, contre nos usages, te faire

parler en particulier à cette belle esclave. Mais crainst << d'abuser de ma confiance: des supplices inconnus aux << Turcs mêmes puniraient ta témérité. Tâche de vain«cre sa tristesse, et songe que ta liberté est attachée à << la fin de mes souffrances. » Don Juan quitta son travail et suivit le dey, qui avait pris les devants pour aller disposer la captive affligée à recevoir son agent.

« Elle était avec deux vieilles esclaves, qui se retirèrent d'abord qu'elles virent paraître Mezomorto. La belle esclave le salua avec beaucoup de respect; mais elle ne put s'empêcher de frémir, ce qui lui arrivait toutes les fois qu'il s'offrait à sa vue. Il s'en aperçut, et, pour la rassurer : « Aimable captive, lui dit-il, je ne « viens ici que pour vous avertir qu'il y a parmi mes << esclaves un Espagnol que vous serez peut-être bien « aise d'entretenir : si vous souhaitez de le voir, je lui << accorderai la permission de vous parler, et même << sans témoins. »

<< La belle esclave témoigna qu'elle le voulait bien. « Je vais vous l'envoyer, reprit le dey puisse-t-il par ses discours soulager vos ennuis! » En achevant ces paroles, il sortit, et, rencontrant le Tolédan qui arrivait, il lui dit tout bas : « Tu peux entrer; et, après que tu au«ras entretenu la captive, tu viendras dans mon appar«tement me rendre compte de cet entretien. ‹ »

<«< Zarate entra aussitôt dans la chambre, poussa la porte, salua l'esclave sans attacher ses yeux sur elle, et l'esclave reçut son salut sans le regarder fixement; mais, venant tout à coup à s'envisager l'un l'autre avec

"

-

Oui,

attention, ils firent un cri de surprise et de joie. « O «ciel! dit le Tolédan en s'approchant d'elle, n'est-ce point une image vaine qui me séduit? Est-ce en effet dona Théodora que je vois? Ah! don Juan, s'écria la belle esclave, est-ce vous qui me parlez? « Madame, répondit-il en baisant tendrement une de ses mains, c'est don Juan lui-même. Reconnaissez« moi à ces pleurs que mes yeux, charmés de vous re« voir, ne sauraient retenir, à ces transports que votre « présence seule est capable d'exciter; je ne murmure « plus contre la Fortune, puisqu'elle vous rend à mes « vœux..... Mais où m'emporte une joie immodérée ? « J'oublie que vous êtes dans les fers. Par quel nouveau «< caprice du sort y êtes-vous tombée? Comment avez" vous pu vous sauver de la téméraire ardeur de don « Alvar? Ah! qu'elle m'a causé d'alarmes, et que je crains d'apprendre que le ciel n'ait pas assez protégé la « vertu !

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Le ciel, dit dona Théodora, m'a vengée d'Alvaro "Ponce. Si j'avais le temps de vous raconter...

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Vous " en avez tout le loisir, interrompit don Juan: le dey « me permet d'être avec vous, et, ce qui doit vous sur« prendre, de vous entretenir sans témoins. Profitons « de ces heureux moments: instruisez-moi de tout ce « qui vous est arrivé depuis votre enlèvement jusqu'ici. Eh! qui vous a dit, reprit-elle, que c'est par don « Alvar que j'ai été enlevée ? Je ne le sais que trop « bien, repartit don Juan. » Alors il lui conta succinctement de quelle manière il l'avait appris, et, comme Mendoce et lui s'étant embarqués pour aller chercher son ravisseur, ils avaient été pris par des corsaires. Dès qu'il eut achevé son récit, Théodora commença le sien dans ces termes :

« Il n'est pas besoin de vous dire que je fus fort éton<< née de me voir saisie par une troupe de gens mas

«

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qués je m'évanouis entre les bras de celui qui me portait, et, quand je revins de mon évanouissement, qui fut sans doute très long, je me trouvais seule avec « Inès, une de mes femmes, en pleine mer, dans la « chambre de poupe d'un vaisseau qui avait les voiles << au vent.

« La malheureuse Inès se mit à m'exhorter à prendre « patience, et j'eus lieu de juger par ses discours qu'elle « était d'intelligence avec mon ravisseur. 11 osa se « montrer devant moi, et, venant se jeter à mes pieds: Madame, me dit-il, pardonnez à don Alvar le moyen « dont il se sert pour vous posséder: vous savez quels << soins je vous ai rendus, et par quel attachement j'ai

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disputé votre coeur à don Fadrique jusqu'au jour que « vous lui avez donné la préférence. Si je n'avais eu << pour vous qu'une passion ordinaire, je l'aurais vain«< cue, et je me serais consolé de mon malheur; mais « mon sort est d'adorer vos charmes : tout méprisé que je suis, je ne saurais m'affranchir de leur pouvoir. Ne craignez rien pourtant de la violence de mon amour: je n'ai point attenté à votre liberté pour effrayer votre « vertu par d'indignes efforts, et je prétends que, dans <«< la retraite où je vous conduis, un nœud éternel et sa« cré unisse nos cœurs.

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<< I me tint encore d'autres discours dont je ne puis « bien me ressouvenir; mais, à l'entendre, il semblait qu'en me forçant à l'épouser il ne me tyrannisait pas, « et que je devais moins le regarder comme un ravis<< seur insolent que comme un amant passionné. Pen«dant qu'il parla, je ne fis que pleurer et me désespérer; « c'est pourquoi il me quitta sans perdre le temps à me

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persuader; mais en se retirant il fit un signe à Inès, « et je compris que c'était pour qu'elle appuyat adroite«ment les raisons dont il avait voulu m'éblouir.

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« Elle n'y manqua point; elle me représenta même qu'après l'éclat d'un enlèvement je ne pourrais guère me dispenser d'accepter la main d'Alvaro Ponce, quelque aversion que j'eusse pour lui: que ma réputation << ordonnait ce sacrifice à mon cœur. Ce n'était pas le « moyen d'essuyer mes larmes, que de me faire voir la « nécessité de ce mariage affreux aussi étais-je inconsolable. Inės ne savait plus que me dire, lorsque tout " à coup nous entendimes sur le tillac un grand bruit qui attira toute notre attention.

« Ce bruit que faisaient les gens de don Alvar était « causé par la vue d'un gros vaisseau qui venait fondre « sur nous à voiles déployées comme le nôtre n'était « pas si bon voilier que celui-là, il nous fut impossible « de l'éviter. Il s'approcha de nous, et bientôt nous en« tendîmes crier: Arrive, arrive! Mais Alvaro Ponce et « ses gens, aimant mieux mourir que de se rendre, fu<< rent assez hardis pour vouloir combattre. L'action fut « très vive je ne vous en ferai point le détail; je vous « dirai seulement que don Alvar et tous les siens y pé

rirent, après s'être battus comme des désespérés.

« Pour nous, l'on nous fit passer dans le gros vaisseau,

ང་

qui appartenait à Mezomorto, et que commandait Aby

« Aly Osman, un de ses officiers.

«Aby Aly me regarda longtemps avec quelque sur

prise, et, connaissant à mes habits que j'étais espa

gnole, il me dit en langue castillane: Modérez votre « affliction consolez-vous d'être tombée dans l'esclavage; ce malheur était inévitable pour vous; mais,

:

que dis-je, ce malheur ! C'est un avantage dont vous

« devez vous applaudir. Vous êtes trop belle pour vous << borner aux hommages des chrétiens. Le ciel ne vous << a point fait naître pour ces misérables mortels; vous << méritez les vœux des premiers hommes du monde: les << seuls Musulmans sont dignes de vous posséder. Je << vais, ajouta-t-il, reprendre la route d'Alger: quoique « je n'aie point fait d'autre prise, je suis persuadé que le

dey, mon maître, sera satisfait de ma course. Je ne « crains pas qu'il condamne l'impatience que j'aurai eue « de remettre entre ses mains une beauté qui va faire << ses délices et tout l'ornement de son sérail.

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« A ce discours qui me faisait connaître ce que j'avais « à redouter, je redoublai mes pleurs. Aby Aly, qui voyait <«< d'un autre œil que moi le sujet de ma frayeur, n'en fit « que rire, et cingla vers Alger, tandis que je m'affligeais sans modération. Tantôt j'adressais mes soupirs « au ciel, et j'implorais son secours; tantôt je souhaitais « que quelques vaisseaux chrétiens vinssent nous atta« quer,ou que les flots nous engloutissent. Après cela je << souhaitais que mes larmes et ma douleur me rendis«< sent si effroyable, que ma vue pût faire horreur au «< dey. Vains souhaits que ma pudeur alarmée me fai<< sait former! Nous arrivâmes au port: on me con<< duisit dans ce palais : je parus devant Mezomorto.

« Je ne sais point ce que dit Aby Aly en me présen<< tant à son maître, ni ce que son maître lui répondit, << parce qu'ils se parlèrent en turc; mais je crus m'aper«cevoir aux gestes et aux regards du dey que j'avais « le malheur de lui plaire, et les choses qu'il me dit en« suite en espagnol achevèrent de me mettre au désespoir, en me confirmant dans cette opinion.

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« Je me jetai vainement à ses pieds, et lui promis tout

« ce qu'il voudrait pour ma rançon; j'eus beau tenter

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