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« lui de nouveaux charmes.

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Si cela est, reprit la gouvernante, je ne vous comprends pas. Vous êtes prévenue pour lui d'une inclination violente, et vous « refusez de souscrire à une chose dont on vous a représenté la nécessité?

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Ma bonne, répliqua la fille de don Luis, vous << avez plus de prudence et plus d'expérience que moi; « mais avez-vous bien pensé aux suites que peut avoir << un mariage contracté sans l'aveu de mon père?

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« Oui, oui, répondit la duègne, j'ai fait là-dessus toutes << les réflexions nécessaires, et je suis fàchée que vous << vous opposiez avec tant d'opiniâtreté au brillant établissement que la Fortune vous présente. Prenez garde que votre obstination ne fatigue et ne rebute « votre amant. Craignez qu'il n'ouvre les yeux sur l'in« térêt de sa fortune, que la violence de sa passion lui « fait négliger. Puisqu'il veut vous donner sa foi, rece<< vez-la sans balancer. Sa parole le lie : il n'y a rien de plus sacré pour un homme d'honneur; d'ailleurs, je « suis témoin qu'il vous reconnaît pour sa femme; ne savez-vous pas qu'un témoignage tel que le mien suf« fit pour faire condamner en justice un amant qui << oserait se parjurer? »

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« Ce fut par de semblables discours que la perfide Marcelle ébranla Léonor, qui, se laissant étourdir sur le péril qui la menaçait, s'abandonna de bonne foi, quelques jours après, aux mauvaises intentions du comte. La duègne l'introduisait toutes les nuits par le balcon dans l'appartement de sa maîtresse, et le faisait sortir avant le jour.

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Une nuit qu'elle l'avait averti un peu plus tard qu'à l'ordinaire de se retirer, et que déjà l'aurore commençait à percer l'obscurité, il se mit brusquement en devoir de

se couler dans la rue; mais par malheur il prit si mal ses mesures, qu'il tomba par terre assez rudement.

<< Don Luis de Cespedes, qui était couché dans l'appartement au-dessus de sa fille, et qui s'était levé ce jourlà de très grand matin, pour travailler à quelques affaires pressantes, entendit le bruit de cette chute. Il ouvrit sa fenêtre pour voir ce que c'était. Il aperçut un homme qui achevait de se relever avec beaucoup de peine, et la dame Marcelle sur le balcon, occupée à détacher l'échelle de soie, dont le comte ne s'était pas si bien servi pour descendre que pour monter. Il se frotta les yeux, et prit d'abord ce spectacle pour une illusion; mais après l'avoir bien considéré, il jugea qu'il n'y avait rien de plus réel, et que la clarté du jour, toute faible qu'elle était encore, ne lui découvrait que trop sa honte.

« Troublé de cette fatale vue, transporté d'une juste colère, il descend en robe de chambre dans l'appartement de Léonor, tenant son épée d'une main et une bougie de l'autre. Il la cherche, elle et sa gouvernante, pour les sacrifier à son ressentiment. Il frappe à la porte de leur chambre, ordonne d'ouvrir : elles reconnaissent sa voix; et elles obéissent en tremblant. Il entre d'un air furieux, et, montrant son épée nue à leurs yeux éperdus « Je viens, dit-il, laver dans le sang d'une in« fame l'affront qu'elle fait à son père, et punir en même « temps la lâche gouvernante qui trahit ma con

<< fiance. >>

Elles se jetèrent à genoux devant lui l'une et l'autre, et la duègne prenant la parole: « Seigneur, dit-elle, « avant que nous recevions le châtiment que vous « nous préparez, daignez m'écouter un moment.

Не

<< bien! malheureuse, répliqua le vieillard, je consens de suspendre ma vengeance pour un instant; parle, ap

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prends-moi toutes les circonstances de mon malheur; « mais que dis-je ? toutes les circonstances! je n'en ignore qu'une : c'est le nom du téméraire qui désho«nore ma famille. Seigneur, reprit la dame Marcelle, le comte de Belflor est le cavalier dont il s'agit. - Le comte de Belflor! s'écria don Luis. Où a-t-il vu « ma fille? par quelles voies l'a-t-il séduite? ne me caSeigneur, repartit la gouvernante, je vais « vous faire ce récit avec toute la sincérité dont je suis

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«< che rien.

capable.

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Alors elle lui débita avec un art infini tous les discours qu'elle avait fait accroire à Léonor que le comte lui avait tenus : elle le peignit avec les plus belles couleurs : c'était un amant tendre, délicat et sincère. Comme elle ne pouvait s'écarter de la vérité au dénouement, elle fut obligée de la dire; mais elle s'étendit sur les raisons que l'on avait eues de faire, à son insu, ce mariage secret, et elle leur donna un si bon tour, qu'elle apaisa la fureur de don Luis. Elle s'en aperçut bien; et pour achever d'adoucir le vieillard : « Seigneur, lui dit-elle, « voilà ce que vous vouliez savoir. Punissez-nous pré" sentement; plongez votre épée dans le sein de Léonor. "Mais qu'est-ce que je dis? Léonor est innocente, elle « n'a fait que suivre les conseils d'une personne que « vous avez chargée de sa conduite; c'est à moi seule "que vos coups doivent s'adresser; c'est moi qui ai " introduit le comte dans l'appartement de votre fille ; « c'est moi qui ai formé les noeuds qui les lient. J'ai fermé les yeux sur ce qu'il y avait d'irrégulier dans « un engagement que vous n'autorisiez pas, pour vous "assurer un gendre dont vous savez que la faveur est « le canal par où coulent aujourd'hui toutes les grâces << de la cour ; je n'ai envisagé que le bonheur de Léonor,

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« et l'avantage que votre famille pourrait tirer d'une si << belle alliance; l'excès de mon zèle m'a fait trahir mon « devoir. >>

<< Pendant que l'artificieuse Marcelle parlait ainsi, sa maîtresse ne s'épargnait point à pleurer; et elle fit paraître une si vive douleur, que le bon vieillard n'y put résister. Il en fut attendri; sa colère se changea en compassion; il laissa tomber son épée, et dépouillant l'air d'un père irrité: « Ah! ma fille, s'écria-t-il les larmes « aux yeux, que l'amour est une passion funeste! hélas! << vous ne savez pas toutes les raisons que vous avez « de vous affliger; la honte seule que vous cause la présence d'un père qui vous surprend excite vos pleurs en ce moment. Vous ne prévoyez pas encore << tous les sujets de douleur que votre amant vous prépare peut-être. Et vous, imprudente Marcelle, qu'a« vez-vous fait ? dans quel précipice nous jette votre « zèle indiscret pour ma famille ! j'avoue que l'alliance << d'un homme tel que le comte a pu vous éblouir, el « c'est ce qui vous sauve dans mon esprit; mais, mal« heureuse que vous êtes, ne fallait-il pas vous défier << d'un amant de ce caractère ? Plus il a de crédit et de « faveur, plus vous deviez être en garde contre lui. S'il << ne se fait pas un scrupule de manquer de foi à Léonor, quel parti faudra-t-il que je prenne? Implorerai-je le <«< secours des lois? une personne de son rang saura bien « se mettre à l'abri de leur sévérité. Je veux bien que, « fidèle à ses serments, il ait envie de tenir parole <«< ma fille: si le roi, comme il vous l'a dit, a dessein de «<lui faire épousér une autre dame, il est à craindre que «< ce prince ne l'y oblige par son autorité.

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Oh! pour l'y obliger, seigneur, interrompit Léo«nor, ce n'est pas ce qui doit nous alarmer. Le comte

« nous a bien assuré que le roi ne fera pas une si grande << violence à ses sentiments. J'en suis persuadée, « dit la dame Marcelle : outre que ce monarque aime << trop son favori pour exercer sur lui cette tyrannie, il « est trop généreux pour vouloir causer un déplaisir « mortel au vaillant don Luis de Cespedes, qui a donné << tous ses beaux jours au service de l'État.

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- Fasse le ciel, reprit le vieillard en soupirant, que << mes craintes soient vaines! je vais chez le comte lui demander un éclaircissement là-dessus; les yeux d'un père sont pénétrants: je verrai jusqu'au fond de son << ȧme; si je le trouve dans la disposition que je souhaite, « je vous pardonnerai le passé; mais, ajouta-t-il d'un "ton plus ferme, si dans ses discours je démêle un cœur perfide, vous irez toutes deux dans une retraite pleu«rer votre imprudence le reste de vos jours. » A ces mots, il ramassa son épée, et, les laissant se remettre de la frayeur qu'il leur avait causée, il remonta dans son appartement pour s'habiller. »

Asmodée, en cet endroit de son récit, fut interrompu par l'écolier, qui lui dit : « Quelque intéressante que soit l'histoire que vous me racontez, une chose que j'aperçois m'empêche de vous écouter aussi attentivement que je voudrais. Je découvre dans une maison une femme qui me paraît gentille, entre un jeune homme et un vieillard. Ils boivent tous trois apparemment des liqueurs exquises; et tandis que le cavalier suranné embrasse la dame, la friponne par derrière donne une de ses mains à baiser au jeune homme, qui sans doute est son galant.

Tout au contraire, répondit le boiteux, c'est son mari, et l'autre son amant. Ce vieillard est un homme de conséquence, un commandeur de l'ordre militaire de Calatrava. Il se ruine pour cette femme, dont l'époux a

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