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qu'il avait plus de soin de sa personne qu'une vieille coquette, et qu'enfin c'était un de ces fats qui s'imaginent qu'une femme ne saurait les voir sans les aimer. Cette remarque lui fournit une idée de vengeance, qu'il communiqua à une jeune soubrette de son voisinage, de laquelle il avait besoin pour l'exécution de son projet, et dont il était tellement ami, qu'il ne pouvait le devenir davantage.

« Cette suivante, appelée Floretta, pour avoir la liberté de lui parler plus aisément, le faisait passer pour son cousin dans la maison de dona Luziana sa maitresse, dont le père était alors absent. Le malin Domingo, après avoir instruit sa fausse parente de ce qu'elle avait à faire, entra un matin dans la chambre de don Come, où il trouva cet écuyer qui essayait un habit neuf, se regardait avec complaisance dans un miroir, et paraissait charmé de sa figure. Le page fit semblant d'admirer ce Narcisse, et lui dit avec un feint transport: « En vérité, seigneur don Côme, vous avez la mine d'un prince. Je vois tous les jours des grands superbement « vêtus; cependant, malgré leurs riches habits, ils n'ont « pas votre prestance. Je ne sais, ajouta-t-il, si, étant « votre serviteur autant que je le suis, je vous considère << avec des yeux trop prévenus en votre faveur ; mais, franchement, je ne vois point à la cour de cavalier que « que vous n'effaciez. »>

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L'écuyer sourit à ce discours qui flattait agréablement sa vanité, et répondit en faisant l'aimable : « Tu me flat«tes, mon ami, ou bien il faut en effet que tu m'aimes, et « que ton amitié me prête des grâces que la nature m'a << refusées. Je ne le crois pas, répliqua le flatteur; <«< car il n'y a personne qui ne parle de vous aussi avan<tageusement que moi. Je voudrais que vous eussiez

« entendu ce que me disait encore hier une de mes cousines, qui sert une fille de qualité. »

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« Don Côme ne manqua pas de demander ce que cette cousine avait dit. « Comment! reprit le page; elle s'éten« dit sur la richesse de votre taille, sur l'agrément qu'on voit répandu dans toute votre personne; et ce « qu'il y a de meilleur, c'est qu'elle me dit confidemment que dona Luziana, sa maitresse, prenait plaisir « à vous regarder au travers de sa jalousie, toutes les « fois que vous passiez devant sa maison.

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Qui peut être cette dame, dit l'écuyer, et où demeure-t-elle ? Quoi! répondit Domingo, vous ne « savez pas que c'est la fille unique du mestre de camp don Fernando, notre voisin? - Ah! je suis à présent au fait, reprit don Côme. Je me souviens d'avoir ouï « vanter le bien et la beauté de cette Luziana; c'est « un excellent parti. Mais serait-il possible que je « me fusse attiré son attention? N'en doutez pas, repartit le page; ma cousine me l'a dit quoique soubrette, ce n'est point une menteuse, et je vous réponds « d'elle comme de moi-même. Cela étant, dit l'écuyer, « il me prend envie d'avoir une conversation particulière avec ta parente, de la mettre dans mes intérêts par « quelques petits présents, suivant l'usage; et si elle me « conseille de rendre des soins à sa maîtresse, je tente« rai la fortune. Pourquoi non? Je conviens qu'il y a de « la distance de mon rang à celui de don Fernando; « mais je suis gentilhomme une fois, et je possède cinq "cents bons ducats de rente. Il se fait tous les jours « des mariages plus extravagants que celui-là. »

« Le page fortifia son gouverneur dans sa résolution, et lui ménagea une entrevue avec la cousine, qui, trouvant l'écuyer disposé à tout croire, l'assura que sa maî

tresse avait du goût pour lui. «Elle m'a souvent interrogée sur votre chapitre, lui dit-elle, et ce que je lui « ai répondu là-dessus ne doit pas vous avoir nui. Enfin, seigneur écuyer, vous pouvez vous flatter justement. « que dona Luziana vous aime en secret. Faites-lui << hardiment connaître vos légitimes intentions; montrez« lui que vous êtes le cavalier de Madrid le plus galant, «< comme vous en êtes le plus beau et le mieux fait: <«< donnez-lui surtout des sérénades, rien ne lui sera plus « agréable; de mon côté, je lui ferai bien valoir vos ga«lanteries, et j'espère que mes bons offices ne vous se«<ront pas inutiles. » Don Come, transporté de joie de voir la soubrette entrer si chaudement dans ses intérêts, l'accabla d'embrassades, et lui mettant au doigt une bague de peu de valeur qu'il avait apportée exprès pour lui faire présent: «Ma chère Floretta, lui dit-il, je << ne vous donne ce diamant que pour faire connaissance avec vous j'ai dessein de reconnaître par une plus « solide récompense les services que vous me ren« drez. »

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On ne saurait être plus satisfait qu'il le fut de son entretien avec la suivante. Aussi, non seulement il remercia Domingo de le lui avoir procuré, il le gratifia d'une paire de bas de soie et de quelques chemises garnies de dentelles, lui promettant d'ailleurs de ne laisser échapper aucune occasion de lui être utile. Ensuite, le consultant sur ce qu'il avait à faire : « Mon « ami, lui dit-il, quel est ton sentiment? me conseilles« tu de débuter par une lettre passionnée et sublime à << dona Luziana? C'est mon avis, répondit le page; « faites-lui une déclaration d'amour en haut style; j'ai << un pressentiment qu'elle ne le recevra point mal. — Je «<le crois de même, reprit l'écuyer, je vais à tout hasard

<< commencer par là. » Aussitôt il se mit à écrire, et après avoir déchiré pour le moins vingt brouillons, il parvint à faire un billet doux auquel il s'arrêta. Il en fit la lecture à Domingo, qui, l'ayant écouté avec des gestes d'admiration, se chargea de le porter sur-lechamp à sa cousine. Il était conçu dans ces termes fleuris et recherchés :

Il y a longtemps, charmante Luziana que, sur la foi de la renommée qui publie partout vos perfections, je me suis laissé enflammer d'un ardent amour pour vous. Néanmoins, malgré les feux dont je suis la proie, je n'ai osé hasarder aucun acte de galanterie; mais comme il m'est revenu que vous daignez arrêter vos regards sur moi quand je passe devant la jalousie qui dérobe aux yeux des hommes votre beauté céleste, et même que, par une influence de votre astre très heureuse pour moi, vous inclinez à me vouloir du bien, je prends la liberté de vous demandler la permission de me consacrer à votre service. Si je suis assez fortuné pour l'obtenir, je renonce à toutes les dames passées, présentes et à venir.

DON CÔME DE LA HIGUERA.

« Le page et la suivante ne manquèrent pas de s'égayer aux dépens du seigneur don Côme, et de se divertir de sa lettre. Ils n'en demeurèrent pas là: ils composèrent à frais communs un billet tendre, que la femme de chambre écrivit de sa main, et que Domingo rendit le jour suivant à l'écuyer, comme une réponse de dona Luziana. Il contenait ces paroles :

J'ignore qui peut vous avoir si bien instruit de mes sentiments secrets. C'est une trahison que quelqu'un m'a

faite; mais je la lui pardonne, puisqu'elle est cause que vous m'apprenez que vous m'aimez. De tous les hommes que je vois passer dans ma rue, vous êtes celui que je prends le plus de plaisir à regarder, et je veux bien que vous soyez mon amant. Peut-être ne devrais-je pas le vouloir, et encore moins vous le dire. Si c'est une faute que je fais, votre mérite me rend excusable.

DONA LUZIANA.

« Quoique cette réponse fùt un peu trop vive pour la fille d'un mestre de camp, car les auteurs n'y avaient pas regardé de si près, le présomptueux don Côme ne s'en défia point; il s'estimait assez pour s'imaginer qu'une dame pouvait oublier pour lui les bienséances. « Ah! Domingo, s'écria-t-il d'un air triomphant, après << avoir lu à haute voix la lettre supposée, tu vois, mon ami, si la voisine en tient je serai bientôt gendre « de don Fernand, ou je ne suis pas don Côme de la Hi« guera.

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Il n'en faut pas douter, dit le bourreau de confi. «dent; vous avez fait sur sa fille une furieuse impres«sion. Mais à propos, ajouta-t-il, je me souviens que « ma parente m'a bien recommandé de vous dire que « dès demain, tout au plus tard, il était nécessaire que << vous donnassiez une sérénade à sa maîtresse, pour Je «< achever de la rendre folle de votre seigneurie. << le veux bien, dit l'écuyer. Tu peux assurer ta cousine « que je suivrai son conseil, et que demain, sans faute, << elle entendra dans sa rue, au milieu de la nuit, un des << plus galants concerts qu'on ait jamais entendus à Ma«drid. » En effet, il alla trouver un habile musicien, et après lui avoir communiqué son projet, il le chargea du soin de l'exécution.

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