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ÉTUDE SUR LE SAGE

PAR M. VILLEMAIN

Dans son catalogue des écrivains du siècle de Louis XIV, Voltaire a jeté le nom de le Sage, avec ces mots d'une brièveté tant soit peu dédaigneuse : « Son roman de Gil Blas est resté, parce qu'il y a du naturel. » La première partie de Gil Blas parut, en effet, l'année même de la mort de Louis XIV; mais, par le génie plutôt que par la date, ce livre appartient à l'âge littéraire dont il marquait la fin. Le Sage doit. être compté parmi les écrivains les plus purs et du goût le plus vrai dans notre langue. Si c'est là ce que Voltaire a voulu dire, l'éloge est juste: «< Son roman de Gil Blas est resté, parce qu'il y a du naturel ; » oui, du naturel, ce don précieux qui manquait à plusieurs hommes de talent du XVIIe siècle.

A cet égard, le Sage, dans sa vie obscure et modeste, sans prétention de secte ou de parti, fut un modèle à part, un classique de bonne plaisanteric et de bon sens, qui descendait en droite ligne de Molière, et avait emprunté la judicieuse et fine ob

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servation de la Bruyère, avec plus de simplicité

dans l'expression.

Mettons-le donc à part, comme un de ces prosateurs de l'ancienne école qui, dans le xvIIe siècle, conservèrent le goût du siècle précédent.

Né en 1668, à Vannes en Bretagne, le Sage, après d'excellentes études chez les Jésuites de cette ville, et quelques années perdues dans un obscur emploi de finances, vint à Paris chercher fortune, et fit, parmi d'autres essais littéraires, une traduction des lettres d'amour du sophiste grec Aristenète singulier début d'un écrivain si naturel! Bientôt, par le conseil d'un ami, il étudia la langue et la littérature espagnoles, mine abandonnée depuis Corneille. Il n'en tira d'abord que de petites comédies bien écrites, mais d'un effet médiocre, et une traduction de la mauvaise suite de Don Quichotte, par Avellaneda.

Soit que l'amour du plaisir ou les embarras de fortune, ou le goût de libres études, ou peut-être toutes ces choses à la fois aient occupé la jeunesse de le Sage, il fut de ces hommes dont le talent ne paraît que dans leur maturité. Il avait quarantecinq ans quand il publia le Diable boiteux, et cinquante quand il fit jouer Turcaret.

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