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abandonnant fes parens, fes biens & fon pays, comme autant d'obstacles au facrifice qu'il vouloit faire à Dieu de fon cœur & de fa volonté. A peine fut-il forti de la maison de fon pere, qu'il donna son habit à un pauvre qu'il rencontra dans fon chemin ; & s'étant revêtu de fa dépouille, il s'embarqua pour Avignon, où à fon arrivée, il fe vit réduit à mendier fon pain. Il alla enfuite à Notre-Dame de Lorette, où les vieux haillons dont il étoit couvert le firent d'abord traiter fort indignement; mais on reconnut dans la fuite quelque chofe de fi extraordinaire en lui, qu'on lui fit une glorieufe réparation du mépris qu'on avoit eu pour fa perfonne. Ce fut dans cette fainte chapelle que, prévenu des bénédictions du ciel, il fe confacra au fervice de Dieu. par les trois vœux qu'il fit, de chafteté, de pauvreté & d'obéiffance.

De retour en France, il acheva fes études à Dijon, où il vivoit d'aumônes, & pratiquoit des mortifications fi extraordinaires, que peu s'en fallut qu'il n'y fuccombât. Sa mere étant devenue veuve, & ayant fu, comme par miracle, le lieu où il étoit, lui écrivit de la venir trouver pour être fa confolation dans fa viduité. Ce fut pour lui un nouveau fujet d'inquiétude, par la crainte qu'il avoit de fe laiffer vaincre à la tendreffe d'une mere dont il n'avoit que fujet de fe louer. Mais par une admirable difpofition de la divine Providence, qui avoit fes deffeins, la chofe réuffit tout autrement; car au lieu d'être obligé de reprendre les maximes du monde, comme il l'avoit craint, il eut au contraire le bonheur de perfuader à fa mere de fe faire religieuse. Elle le fit avec beaucoup de courage, s'enfermant chez les Filles de la Présentation de Notre-Dame à l'âge de 55 ans.

M. Vachet fe voyant libre & maître de fes biens, les vendit & en donna l'argent aux pauvres, ne fe réservant qu'un titre pour entrer dans le facerdoce. Il fe rendit à Paris, où s'étant fait prêtre, il travailla dans les miffions pendant vingtcinq ans au falut des ames, avec un zèle infatigable & une charité ardente. Sa plus grande occupation étoit d'instruire les pauvres dans les hôpitaux, & de diriger plufieurs communautés célébres, avec un fi grand défintéreffement que, fi on le forçoit quelquefois à recevoir quelque récompenfe c'étoit toujours pour en faire des aumônes aux pauvres, &

aux prifonniers qu'il alloit fouvent vifiter, tâchant de les gagner à Dieu par ces fecours & de les engager à faire des confeffions générales. Enfin il n'y eut point de faintes entreprises de fon temps auxquelles il n'eût quelque part. Il vit naître & former les communautés féculieres dont nous avons parlé dans les chapitres précédens & il contribua beaucoup à leur établissement par fes foins & par fes confeils. Mais ce qui lui est le plus glorieux, c'est d'avoir été l'instituteur du féminaire des filles & veuves de l'Union Chrétienne, que madame Polaillon avoit projeté.

L'eftime que la foeur Renée des Bordes s'étoit acquife dans l'établissement des Filles de la Propagation de la Foi à Metz, engagea ce faint eccléfiaftique à choifir cette servante de J. C. pour jetter les fondemens du féminaire de l'Union Chrétienne; il la fit revenir à Paris, & la joignit à la fœur Anne de Croze, jeune demoiselle qui, pour vaquer plus librement aux exercices de piété, s'étoit retirée au village de Charonne près Paris, dans une maison qui lui appartenoit, où la première communauté de l'Union Chretienne fut commencée en 1661, par deux des fept premieres filles qui s'étoient jointes à madame de Polaillon, dont l'une étoit la foeur des Bordes; ces filles, fous la conduite de M. Vachet, & aidées de la foeur de Croze qui leur donna fa maison, furent en peu de temps fuivies de plufieurs autres remplies de piété, qui fe préfenterent pour embraffer le même inftitut.

Elles firent leur noviciat avec tant de régularité & de ferveur, que dès-lors le féminaire commença à produire des fruits de bénédiction. On y fecourut les pauvres & les malades des environs; on y fit des inftructions réglées aux enfans & aux perfonnes qui ignoroient les obligations du chriftianifme; on y éleva de jeunes filles dans les exercices de la religion & de la piété; enfin on y reçut grand nombre d'orphelines & de nouvelles catholiques qui s'y réfugioient de toutes parts, tant du royaume que des pays étrangers. Elles y étoient gardées & inftruites avec tant de charité, que l'on ne s'en déchargeoit que pour leur procurer un établiffement conforme à leur état, dans lequel elles puffent faire aifément leur falut & vivre avec édification.

L'intention de M. Vachet, dans l'établiffement de ces féminaires, fut d'employer les foeurs qui les compoferoient dans la fuite; 1. à la converfion des filles & femmes hérétiques, à l'exception néanmoins de celui de Charonne, dans lequel elles ne recevoient que celles qui avoient fait leur abjuration; 2°. à retirer & inftruire des filles & veuves de qualité deftituées de biens ou de protections, qui ne pouvant être reçues en d'autres communautés, voudroient entrer dans l'inftitut, ou apprendre & fe difpofer à vivre faintement dans leur état ; 3°. à élever de jeunes filles dans la vertu & dans la piété, & leur enfeigner non-feulement les vérités de la religion, mais encore à lire, écrire & travailler à des ouvrages qui conviennent à des perfonnes de leur fexe.

Ce premier féminaire établi d'abord à Charonne, & depuis transféré à l'hôtel de S. Chaumont, rue S. Denis à Paris, où elles demeurent depuis 1685, fit en peu d'années des progrès fi furprenans, que M. Vachet eut la consolation de voir plufieurs communautés établies par les filles de ce même féminaire, tant à Paris que dans les provinces. Ces communautés recurent toutes les réglemens qu'il avoit dreffés & fait approuver en 1662, par M. de la Brunetiere, qui après avoir été archidiacre de Paris & l'un des administrateurs de ce diocèfe pendant la vacance du fiége, fut enfuite évêque de Xaintes. La maifon de Metz, établie du vivant de madame de Polaillon, par la foeur des Bordes, reçut la premiere ces réglemens qui, quelque temps après, furent approuvés par le cardinal de Vendôme, légat du pape Clément IX, comme il paroît par fes lettres données à Paris le 15 mai 1668. La fœur des Bordes, qui avec les foeurs du féminaire de Charonne, avoit déja fait un troifieme établiffement à Caen, en fit un quatrieme & un cinquieme dans les années 1672 & 1673, l'un à Loudun & l'autre à Sedan: ils furent fuivis de ceux de Noyon & de Libourne au diocèfe de Bordeaux en 1675, & de ceux de Tours, Luçon, aux Sables d'Olonne & à Angoulême dans les années fuivantes. M. Vachet voyant que Paris étoit rempli de filles que la néceffité réduifoit à fe mettre en fervice, & fouvent fans favoir de quelle maniere elles

devoient

devoient s'y comporter tant pour le bien de leur ame, que pour l'intérêt & l'avantage des perfonnes qu'elles fervoient, entreprit par une charité peu commune de former une communauté où les dames engagées dans le monde puffent prendre des femmes de chambre & des fervantes après qu'elles y auroient été élevées dans la piété & dans le travail, & qui pût être un afile pour ces filles, quand elles feroient forties de condition. Ce deffein paroiffoit difficile à caufe des fommes d'argent qu'il falloit pour établir cette maison; mais rien n'étant impoffible à celui qui, animé d'une charité ardente & d'une foi vive, efpere en la Providence, ce faint prêtre eut le bonheur, lorfqu'il y penfoit le moins, de le voir réuffir par les foins de M. de Noailles, évêque comte de Châlons, & depuis cardinal & archevêque de Paris. Ce prélat, touché de l'état malheureux auquel ces filles font exposées, en parla à mademoiselle Lamoignon, fille du premier président de ce nom & à mademoiselle Mallet, toutes deux d'une piété rare; mais particuliérement la premiere, qui, héritiere de la piété de fes ancêtres, avoit part à toutes les bonnes œuvres qui fe faifoient dans Paris : fa vertu avoit engagé le roi à lui confier la diftribution de fes aumônes. Elles lui furent d'un grand fecours pour cet établissement, que ces trois illuftres perfonnes réfolurent enfin, après une mûre délibération, & qui fut exécuté en 1679, par l'érection d'une nouvelle communauté nommée ordinairement la petite Union, pour la diftinguer du féminaire qui eft à l'hôtel de S. Chaumont. M. Berthelot & fa femme y contribuerent beaucoup, en donnant une maifon qu'ils avoient fait bâtir à la Villeneuve pour retirer les foldats eftropiés & invalides, jufqu'à ce que le roi les eût logés dans ce fuperbe hôtel royal des Invalides. Sa majesté confirma cette donation par. fes lettres patentes de la même année, & permit aux foeurs du féminaire de l'Union Chrétienne d'en prendre poffeffion pour y vivre conformément à leur inftitut. M. Vachet vécut peu après cet établissement. Il y avoit déja du temps qu'il étoit attaqué d'une maladie, qu'il supporta pendant trois ans avec une patience admirable; il mourut enfin en 1681, âgé de foixante & dix-huit ans Tome VIII

V

après avoir reçu les facremens de l'église avec une piété qui répondoit à fa vie. Il fut enterré à S. Germain l'Auxerrois.

Après fa mort l'inftitut des Filles de l'Union Chrétienne a fait de nouveaux établissemens à Poitiers, à Auxerre, à Saint-Lo, à Bayonne, à Pau, à Parthenay, à Alençon, à Mantes, à Chartres, à Fontenay-le-Comte, fans compter plufieurs hofpices formés fur le modele de ces communautés. Quoique, dans les lettres que le cardinal de Vendôme donna pour l'approbation de cet inftitut, la fœur des Bordes foit nommée la premiere, & que même dans la préface des Constitutions imprimées en 1703, on lui donne la qualité de fondatrice & d'inftitutrice de la congrégation, la foeur Anne de Croze eft néanmoins la véritable fondatrice de l'institut conjointement avec M. Vachet. Ce fut fon humilité qui lui fit donner ce titre à la fœur des Bordes, qui mourut quelques années avant elle. Il eft vrai que fes infirmités ne lui permettant pas d'entreprendre de longs voyages, elle n'a pas fait de nouveaux établissemens comme la foeur des Bordes; mais elle n'étoit pas moins néceffaire à Paris pour y foutenir par fon exemple le poids de la régularité de ces communautés, où elle formoit les foeurs qui, après avoir pris l'efprit du féminaire fous fa direction, étoient trouvéesdignes de remplir les places de fupérieures dans les autres

maisons.

Cette fainte fille naquit le 30 avril 1625; elle donna dès fa plus tendre jeuneffe des marques d'un efprit fupérieur, qui dans la fuite fut cultivé par la connoiffance des belles lettres & par l'étude de la philofophie qu'elle fe rendit familiere. Elle étoit douée d'un jugement folide, avec le cœur grand & généreux, une mémoire heureuse qu'elle a confervée jufques dans fon extrême vieilleffe; tous ces avantages de la nature étoient foutenus par une modeftie & une douceur qui lui attiroient l'eftime de tous ceux qui la connoiffoient. Pourvue par la naiffance & par la fortune de tout ce qui pouvoit la faire diftinguer dans le monde & y paroître avec honneur, elle n'eut jamais d'autre ambition que celle de plaire à Dieu & de fe confacrer à fon fervice dès fes premieres années. Pénétrée des vérités éternelles

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