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LES AMERICAINS,
TRAGEDIE

DE Mr. DE VOLTAIRE.

NOUVELLE ÉDITION.

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PERSONNAGES.

D. GUSMAN, Gouverneur du Perou.

D. ALVARÉS, Pere de D. Gusman, ancien Gouverneur.

ZAMORE, Souverain d'une partie du Potofi.

MONTEZE, Souverain d'une autre partie.

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La Scéne eft dans la Ville de Los Reyes, autrement Lima.

DISCOURS

PRÉLIMINAIRE.

N'a tâché dans cette Tragédie, toute d'invention & d'une espéce affez neuve, de faire voir combien le véritable efprit de Religion l'emporte fur les vertus. de la nature.

La Religion d'un Barbare confifte à offrir à fes Dieux le fang de fes ennemis. Un Chrétien mal inftruit n'eft fouvent guéres plus jufte. Etre fidéle à quelques pratiques inutiles, & infidéle aux vrais, devoirs de l'homme; faire certaines prieres & garder les vices; jeûner, mais haïr, cabaler perfécuter, voilà fa Religion. Celle du Chrétien véritable eft de regarder tous les hommes comme fes freres, de leur faire du bien, & de leur pardonner le mal.

Tel eft Gufman au moment de fa mort tel eft Alvarés dans le cours de fa vie, tel j'ai peint Henri IV. au milieu de fes foibleffes.

On retrouvera dans prefque tous mes Ecrits cette humanité qui doit être le premier caractére d'un Etre penfant; on y trouvera (fi j'ofe m'exprimer ainfi) le defir du bonheur des hommes, l'horreur de l'injuftice & de l'opreffion : & c'eft cela feul qui a jufqu'ici tiré mes Ouvrages de l'obscurité où leurs défauts devoient les enfevelir.

Voilà pourquoi la Henriade s'eft foutenue malgré les efforts de quelques Français jaloux, qui ne veulent pas abfolument que la France ait un Poëme épique. Il y a toujours un petit nombre de Lecteurs, qui ne laiffent point empoisonner leur jugement du venin des cabales & des intrigues, qui n'aiment que le vrai, qui cherchent toujours l'homme dans l'Auteur. Voilà ceux devant qui j'ai trouvé grace. C'est à ce petit nombre d'hommes que j'adreffe les réfléxions fuivantes; j'efpére qu'ils les pardonneront à la néceffité où je fuis de les

faire.

Un Etranger s'étonnoit un jour à Paris d'une foule de Libelles de toute efpéce, & d'un déchaînement cruel par lequel un homme étoit oprimé. Il faut aparemment, dit-il, que cet homme foit d'une grande ambition, & qu'il cherche à s'élever à quelqu'un de ces poftes qui irritent la cupidité humaine & l'envie. Non, lui répondit-on, c'eft ún Citoyen obfcur, retiré, qui vit plus avec Virgile & Locke, qu'avec fes Compatriotes, & dont la figure n'eft pas plus connue de quelques-uns de fes ennemis, que du Graveur qui a prétendu graver fon Portrait: C'eft l'Auteur de quelques Piéces qui vous ont fait verfer des larmes, de quelques Ouvrages dans lefquels, malgré leurs défauts, vous aimez cet efprit d'humanité, de juftice de liberté qui y régne. Ceux qui le calomnient, ce font des hommes pour la plupart plus obfcurs que lui, qui prétendent lui difputer un peu de fumée, & qui le perfécuteront jufqu'à fa mort, uniquement à caufe du plaifir qu'il vous a donné.

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Cet étranger fe fentit quelqu'indignation pour les perfécuteurs, & quelque bienveillance pour le perfécuté.

Il eft dur, il faut l'avouer, de ne point obtenir de fes Contemporains & de fes Compatriotes, ce que l'on peut espérer des Etrangers & de la pofté

rité. Il est bien cruel, bien honteux pour l'efprit humain, que la Littérature foit infectée de ces haines perfonnelles, de ces cabales, de ces intrigues qui devroient être le partage des efclaves de la fortune. Que gagnent les Auteurs en fe déchirant mutuellement ! Ils aviliffent une profeffion qu'il ne tient qu'à eux de rendre refpectable. Fautil que l'art de penfer, le plus beau partage des hommes, devienne une fource de ridicule? & que les gens d'efprit, rendus fouvent par leurs querelles le jouet des fots, foient les bouffons du Public, dont ils devroient être les maîtres?

Virgile, Varius, Pollion, Horace, Tibulle étoient amis; les monumens de leur amitié fubfiftent, & aprendront à jamais aux hommes que les efprits fupérieurs doivent être unis. Si nous n'atteignons pas à l'exellence de leur génie, ne pouvonsnous au moins avoir leurs vertus ? Ces hommes, fur qui l'univers avoit les yeux, qui avoient à fe difputer l'admiration de l'Afie, de l'Afrique, de l'Eaurope, s'aimoient pourtant & vivoient en freres : & nous, qui fommes renfermés fur un fi petit théa tre; nous, dont les noms à peine connus dans un coin du monde, pafferont bientôt comme nos modes, nous nous acharnons les uns contre les autres pour un éclair de réputation, qui hors de notre petit horifon ne frape les yeux de perfonne. Nous fommes dans un tems de difette, nous avons peu, nous nous l'arrachons. Virgile & Horace ne fe dif putoient rien, parce qu'ils étoient dans l'abondance.

On a imprimé un Livre de morbis Artificum: de la maladie des Artiftes. La plus incurable eft cette jaloufie & cette baffeffe. Mais ce qu'il y a de deshonorant, c'est que l'intérêt a fouvent plus de part encore que l'envie à toutes ces petites Brochures fatyriques dont dous fommes inondés. On demandoit il n'y a pas long-tems à un homme qui avoit fait je ne fçais quelle mauvaife Brochure contre

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